CONGRÉGATION POUR LA DOCTRINE DE LA FOI OBSERVATIONS SUR LE DOCUMENT DE L'ARCIC II
Préface Les observations suivantes constituent un jugement doctrinal autorisé, qui est offert aux membres de
1. Jugement général Dans son ensemble, même s’il ne présente pas un enseignement complet sur la question et s’il contient plusieurs formes ambiguës, le document de la seconde Commission internationale anglicane-catholique (ARCIC II), intitulé « Salvation and the Church », peut être interprété d’une façon conforme à la foi catholique. Il comporte, notamment sur des points classiquement controversés, nombre d’éléments satisfaisants. Le jugement de
2. Observations principales a) Le document est rédigé dans un langage de nature plutôt symbolique qui en rend difficile une interprétation univoque, pourtant nécessaire là où l’on entend arriver à une déclaration définitive d’accord. b) Concernant le chapitre « Salvation and Faith » : - L’importance, dans la discussion avec les protestants, de la problématique générale de la « sola fides » rendrait souhaitable un développement plus large sur ce point controversé ; - Il conviendrait de préciser le rapport entre la grâce et la foi en tant qu’« initium salutis » (cf. n. 9) ; - Le rapport « fides quae - fides qua », ainsi que la distinction entre « assurance » et « certitude » ou « certainty », devraient être mieux élaborés. c) Concernant le chapitre « Salvation and Good Works » : - Il conviendrait de mieux préciser la doctrine de la grâce et du mérite en rapport avec la distinction entre justification et sanctification ; - Si l’on tient à la conserver, la formule « simul iustus et peccator » devrait être davantage expliquée, en évitant toute équivoque ; - De façon générale, l’économie sacramentelle de la grâce dans la reconquête de la liberté rachetée sur le péché devrait être mise davantage en évidence (p. ex. aux n. 21 et 22). d) Concernant le chapitre « The Church and Salvation » - Le rôle de l’Église dans le salut n’est pas seulement de rendre témoignage de celui-ci, mais aussi et surtout d’être instrument efficace – notamment par le moyen des sept sacrements – de la justification et de la sanctification : ce point essentiel devrait être mieux élaboré, notamment à partir de Lumen gentium ; - Il importe en particulier de faire plus clairement la distinction entre la sainteté de l’Église en tant que sacrement universel de salut, et ses membres qui, pour une part, cèdent encore au péché (cf. n. 29). 3. Conclusion Les divergences qui, à la lumière de ce document, demeurent encore entre l’Église catholique et
La vision de l’Église comme sacrement du salut et la dimension proprement sacramentelle de la justification et de la sanctification de l’homme restent trop vagues et faibles pour qu’il soit permis d’affirmer que l’ARCIC II est arrivé à un accord substantiel.
Nature des observations et but du présent commentaire La publication, l’an dernier, de Salvation and the Church – « le Salut et l’Église » – , (premier) document de la seconde Commission internationale anglicane-catholique romaine (ARCIC II), était accompagnée d’une note préliminaire qui en expliquait le statut. Il était entre autres précisé : « Il ne s’agit pas d’une déclaration faisant autorité de la part de l’Église catholique romaine ou de
C’est dans cet esprit qu’est aujourd’hui faite cette publication, ayant l’autorité d’un texte approuvé par le Saint-Père, des Observations de
Un point souligné dans le document Dans l’introduction, les auteurs esquissent une sorte de typologie de leurs positions respectives et affirment pouvoir déterminer une raison importante du désaccord existant dans les explications différentes de la relation entre la grâce divine et la réponse de l’homme. Laissant de côté les inévitables simplifications de cette présentation, un point souligné dans le document peut être ici mis en évidence : la transformation de l’homme intérieur opérée par la présence de l’Esprit-Saint. Le salut est présenté, en effet, dans le document, comme un « don de grâce » (n. 9), le « don et le gage du Saint-Esprit à tout croyant » (n. 10), le Saint-Esprit établissant en chaque croyant « sa présence continuelle et son action » (n. 12). C’est, à proprement parler, dans cette « inhabitation du Saint-Esprit » (n. 9) que consiste la présence du Dieu qui justifie en faisant don d’une justice « qui est la sienne et qui devient la nôtre » (n. 15), et qui opère en nous la « délivrance du mal », la « rémission du péché », le « rachat de l’esclavage » et la « suppression de la condamnation » (n. 13). Il ne s’agit pas d’un don qui serait conféré d’une façon purement extérieure mais bien d’un don qui, rendant l’homme participant de la nature divine, le transforme intimement (cf. Lumen gentium, 40). Cherchant à exprimer les différentes acceptions du verbe « dikaioun », le document parle d’une « déclaration divine d’acquittement » (n. 18), après avoir souligné que « la grâce de Dieu réalise ce qu’elle déclare : sa parole créatrice accorde ce qu’elle impute. En nous déclarant justes, Dieu nous fait également justes » (n. 15). Il précise ensuite : « La justification de Dieu notre Sauveur est non seulement déclarée dans un jugement prononcé par lui en faveur des pécheurs, mais elle leur est aussi accordée comme un don pour les rendre juste. » (n. 17). Dans une perspective juridique, la justification représente le « verdict d’acquittement » des pécheurs, mais, à un niveau ontologique, il faut dire que « la déclaration de pardon et de réconciliation de la part de Dieu ne laisse pas inchangés les croyants repentants mais établit avec eux une relation intime et personnelle » (n. 18). Nous signalons, à ce propos, l’ambiguïté de la référence à l’expression luthérienne « simul iustus et peccator » (n. 21), qui du reste n’appartient pas à la tradition anglicane. Si l’on veut maintenir à tout prix cette formule, il faudrait préciser ce qu’elle signifie exactement : il ne s’agit pas de la coexistence, dans le baptisé, de deux états contradictoires entre eux (celui de la grâce et celui du péché mortel), mais de la présence possible, dans le juste qui possède la grâce sanctifiante, de ce « péché qui conduit à la mort » (1 Jn 5, 17).
Le problème de la foi En ce qui concerne le baptême, « sacrement non réitérable de la justification et de l’incorporation au Christ » (n. 16), le document souligne, et non sans raison, l’importance de la foi. « Sacramentum fidei » : cette expression de saint Augustin, à laquelle il est fait ici référence (n. 12), a été reprise, est-il spécifié, par le Concile de Trente (DS 1529). Le baptême est, en effet, un sacrement de la foi, comme en témoignent l’Écriture et les Pères. Le document met cependant l’accent, depuis le début, sur la dimension subjective de la foi (« fides qua ») – interprétée avant tout comme « une réponse vraiment humaine et personnelle » (n. 9), et comme « un engagement de notre volonté » (n. 10) – et ne fait que mentionner en passant « l’assentiment à la vérité de l’Évangile » (n. 10). Même si, de cette façon, la « fides fiducialis » est, dans une certaine mesure, complétée par l’aspect de 1’« assensus intellectus », il demeure toutefois dans le rapport entre « fides qua » et « fides quae » un déséquilibre sur lequel
Que la foi soit nécessaire à la justification, c’est une vérité qui ne saurait être mise en question, mais qui doit être bien comprise. Selon le Concile de Trente, « nous sommes déclarés justifiés par la foi parce que la foi est le point de départ du salut de l’homme, le fondement et la racine de toute justification «sans laquelle il est impossible de plaire à Dieu » (He 11, 6) ou de partager la destinée de ses enfants » (DS 1532). Ce n’est qu’à cette lumière que l’affirmation suivante acquiert tout son poids : « C’est par la foi que nous le recevons » (le salut, le don de la grâce) (n. 9). Si la justification est avant tout le don objectif de Dieu – que les sacrements communiquent à titre principal –, la foi ne cesse pas d’avoir un réel rôle décisif, même s’il est subordonné. En effet, la foi seule peut reconnaître la réalité de ce don et préparer l’esprit à le recevoir ; elle seule assure cette intime participation aux sacrements qui rend efficace leur action dans l’âme du croyant. En même temps, la foi est incapable, d’elle-même, de justifier le pécheur. En outre, pour mieux clarifier ce point, il serait utile de traiter aussi la question de la foi dans le cas du baptême des enfants. Pour rendre pleinement compte de l’incapacité de la sola fides à justifier l’homme, il aurait fallu mieux distinguer entre « assurance » et « certitude » ou « certainty », à propos du salut. L’authentique « assurance du salut » (n. 10 ; cf. n. 11) que possède l’homme est fondée sur la certitude de foi que Dieu veut « user de miséricorde à l’égard de tous les hommes » (Rm 11, 32) et qu’il leur a offert, dans les sacrements, les moyens du salut. Ceci ne saurait signifier une certitude personnelle de son propre salut, ni de son propre état de grâce, cela en raison de la fragilité et du péché de l’homme qui peuvent toujours être un obstacle à l’amour de Dieu.
Dimension sacramentelle de la sanctification La traditionnelle crainte de la part des protestants qu’exprime le document (n. 14) – selon laquelle la vision catholique de la sanctification trahirait l’absolue gratuité du salut – ne semble pas fondée, dans la mesure où l’on demeure bien conscient que la communication, totalement libre, de la grâce vient d’en haut (cf. Jn 3, 7). Il faut cependant souligner que le document n’a pas suffisamment pris en compte la dimension sacramentelle de la sanctification, ne faisant que de brèves mentions des sacrements post-baptismaux qui sont les modalités privilégiées de communication de la grâce. En plus de l’Eucharistie, à laquelle il n’est fait qu’une allusion sans grande rigueur doctrinale (cf. n. 16 et 27), il aurait été particulièrement important de souligner la signification et la nécessité du sacrement de la pénitence, dont – selon la doctrine catholique – le « repentir » (n. 21), bien que fondamental, ne représente qu’un aspect, non réductible, par ailleurs, à la « discipline pénitentielle » (n. 22). Surtout l’affirmation du document selon laquelle « c’est par le repentir quotidien et par la foi que nous acquérons notre liberté par rapport au péché » (n. 21) aurait eu besoin d’une plus ample explication ultérieure. Il est vrai que le repentir (et la foi qui le présuppose) constitue le noyau de la conversion du péché et que la parfaite contrition réconcilie avec Dieu. Mais, sur ce sujet, le Concile de Trente établit une distinction décisive : « Bien qu’il advienne parfois que la contrition soit rendue parfaite par la charité et réconcilie l’homme avec Dieu avant la réception effective du sacrement, néanmoins cette réconciliation ne doit pas être attribuée à la seule contrition, séparée du désir du sacrement (Votum sacramenti), qui est inclus en elle » (DS 1677). En effet, l’homme est libéré du « péché qui conduit à la mort » (1 Jn 5, 16) à travers le contact sacramentel avec le Rédempteur ou, au moins, à travers le désir d’être guéri par une grâce sacramentelle que personne ne peut se donner à lui-même.
Liberté et mérite À juste titre, le document cherche à aborder la question des bonnes œuvres à partir d’une réflexion sur la liberté ; mais l’approche adoptée reste insuffisante sur plusieurs points. Le don prééminent de la liberté, qui provient de
Ceci étant posé, il est alors possible d’aborder le problème du mérite. Cherchant à écarter, à juste titre, une interprétation inacceptable du salut « à cause des œuvres » – qui supposerait la possibilité, pour l’homme, d’accéder au salut par ses propres forces – le document se tourne vers l’expression paulinienne « en vue des bonnes œuvres » (Ep 2, 10 ; cf. aussi 2 Co 9, 8). La principale section consacrée à ce thème (n. 19 s.) s’efforce d’accorder entre eux les enseignements de saint Paul (Ga 2, 16) et de saint Jacques (Je 2, 17 s.) à propos des œuvres. Cependant, si ces textes avaient été mieux resitués dans leurs contextes respectifs, cela aurait contribué à mieux saisir le point signalé par
En ce sens, dire que les chrétiens ne sont « en aucune manière... une fois justifiés, capables de faire de Dieu leur débiteur », c’est se borner à une affirmation par trop extrinsèque au regard du mystère de la coopération intime avec la grâce, tel que l’Église le contemple d’une façon éminente dans la coopération de Marie à l’œuvre du salut. Une telle coopération n’est pas la condition de notre manière d’être agréables aux yeux de Dieu ni de son pardon. Il s’agit bien plutôt d’une grâce que le Christ confère librement et avec une libéralité absolue. C’est le fruit de la « foi qui opère par le moyen de la charité » (Ga 5, 6).
Le rôle de l’Église dans le salut
Cet aspect, que
En outre, seul ce point peut faire comprendre vraiment le fondement du lien intrinsèque de l’Église avec le salut. Un tel rapport n’est pas absent du document, spécialement quand il est fait référence au Saint-Esprit (n. 28) ou à l’Eucharistie (n. 27). Cependant, ici aussi, quelques clarifications seraient nécessaires. Il est dit, par exemple, que dans l’Eucharistie « est célébrée » l’« œuvre de rachat accomplie une fois pour toutes par le Christ, réalisée et vécue dans la vie de l’Église » (n. 27). Cette expression signifie-t-elle vraiment une reconnaissance de la « valeur propitiatoire » du sacrifice eucharistique (2) ? Et le terme « réalisée » implique-t-il donc une authentique actualisation de ce sacrifice par la médiation d’un ministre ordonné (3), dont le sacerdoce diffère essentiellement du sacerdoce commun des fidèles (cf. Lumen gentium, 10) ? On mesure aisément la portée de ces questions : en effet, si cette doctrine n’est pas pleinement acceptée, le rôle de l’Église dans la promotion du salut risque de se limiter au témoignage d’une vérité qu’elle est incapable de rendre effectivement présente, une vérité qui court alors le risque d’être réduite à une « expérience » subjective, qui ne porte pas en elle-même la garantie de son pouvoir rédempteur. Quant au contenu doctrinal,
Cet aspect humain de l’Église est réel, mais ne doit pas être considéré d’une manière isolée. Dans son essence la plus intime, l’Église est « sainte et immaculée » (Ep 5, 27), et c’est pour cette raison précisément qu’elle est vraiment le « sacrement universel de salut » (Lumen gentium, 48, cf. 52) et que ses membres sont « saints » (1 Co 1, 2 ; 2 Co 1,1). Le fait que, en tant que pèlerine, elle « comprenne en son sein des pécheurs » (Lumen gentium, 8) et soit « imparfaite » (Lumen gentium, 48), ne l’empêche pas d’être « déjà sur la terre parée d’une sainteté véritable » (ibid.) et « nécessaire au salut » (Lumen gentium, 14). En effet, elle accomplit sa mission salvifique non seulement « par la proclamation de l’Évangile du salut par ses paroles et ses actes » (n. 31), mais aussi en tant que mystère qui demeure dans l’histoire humaine par la communication aux hommes de la vie divine et par la diffusion de la lumière que cette vie divine irradie dans le monde entier (cf. Gaudium et spes, 40).
Un accord substantiel ? L’analyse qui précède a montré que le document de l’ARCIC II contient de nombreux éléments de satisfaction en cette matière traditionnellement controversée. On ne peut que féliciter les membres de
Déjà, dans ses Observations sur le Rapport final de l’ARCIC I,
Néanmoins, il faut reconnaître que la nature symbolique du langage utilisé rend difficile, voire impossible, un accord vraiment univoque là où sont en jeu – et c’est le cas ici – des questions décisives d’un point de vue dogmatique et qui comptent au nombre des articles de foi historiquement les plus controversés. En adoptant des formules doctrinales plus rigoureuses – et pas nécessairement scholastiques –, on aurait évité davantage ces doutes qui affleurent dans le dialogue si on ne cherche pas, sans cesse, à établir une rigoureuse confrontation entre les positions respectives ou si, parfois, on se contente d’un consensus seulement verbal, fruit de compromis réciproques. Sans rien désavouer d’une méthode qui a produit d’incontestables résultats, on peut se demander, aussi, s’il ne serait pas opportun de perfectionner la procédure de façon à permettre une définition plus précise du contenu doctrinal des formules employées pour exprimer une foi commune. Ne conviendrait-il pas, à ce propos, d’indiquer aussi, éventuellement dans un protocole séparé, les éléments sur lesquels les divergences persistent ? Dans le même sens, il serait souhaitable de voir concédée à
(1) Observations on the Final Report of ARCIC by the Congregation for the Doctrine of the Faith, Acta Apostolicae Sedis 74 (1982), 1063-1074. (2) Ibid., 1066. « La valeur propitiatoire que le dogme catholique attribue à l’Eucharistie, et qui n’est pas mentionnée par l’ARCIC, est précisément celle de (l’)offrande sacramentelle » (Sec. B, I, 1). (3) Ibid. « Par lui (le prêtre), l’Église offre sacramentellement le sacrifice du Christ » (Sec. B, II, 1) ; « (La) présence réelle du sacrifice du Christ s’accomplit par les paroles sacramentelles, c’est-à-dire par le ministère du prêtre prononçant in persona Christi les paroles du Seigneur » (Ibid., Sec. B, I, 1). (4) Ibid., 1064-1065. « Certaines formulations dans le Rapport ne sont pas suffisamment explicites et peuvent, de ce fait, se prêter à une double interprétation, où les deux parties peuvent trouver, inchangée, l’expression de leur propre position. Cette possibilité de lectures différentes et, en définitive, incompatibles, de formulations apparemment satisfaisantes pour les deux parties, soulève la question du consensus réel des deux Communions, des pasteurs comme des fidèles. En effet, si la formulation qui a reçu l’accord des experts peut être diversement interprétée, comment peut-elle servir de base pour une réconciliation au niveau de la vie de l’Église et de sa pratique ? » (Sec. A, 2, iii). (5) Ibid., 1065. « Il aurait été utile – afin d’évaluer le sens exact de certains points de l’accord – que l’ARCIC indique sa position par rapport aux documents qui ont contribué d’une manière significative à la formulation de l’identité anglicane (les Thirty-nine articles of religion, Book of common prayer, Ordinal), dans les cas où les affirmations du Rapport final semblaient incompatibles avec ces documents. Le manque de prise de position sur ces textes peut donner lieu à une incertitude au sujet de l’exacte signification des accords obtenus » (Sec. A, 2, iii). (6) Déclaration commune,
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