COMMISSION PONTIFICAL BIBLIQUE UNITÉ ET DIVERSITÉ DANS L'ÉGLISE
L'Eglise vit aujourd'hui, plus encore, peut-être, qu'autrefois, une tension difficile qui devrait se révéler féconde. Les Eglises locales, et même des groupes à l'intérieur de celles-ci, prennent une conscience de plus en plus vive de leurs particularités au sein de l'Eglise universelle. La conviction grandit que, pour s'épanouir pleinement, la grâce de la catholicité implique une authentique diversité entre les communautés ecclésiales dans la même communion. Cette conviction est d'autant plus forte qu'en beaucoup de nations se développe parallèlement une vive conscience de leurs spécificités ethniques et culturelles. Mais l'accent mis sur les particularités locales renforce le besoin de préciser les éléments qui unissent toutes les communautés ecclésiales dans l'unique peuple de Dieu. Deux questions se posent donc: a) Comment assurer que la reconnaissance des Eglises locales dans leur originalité, loin de mettre en question l'unité, la féconde au contraire et rende plus riche son universalité? b) Comment éviter que la recherche nécessaire de l'unité étouffe la vitalité de chaque Eglise? Les réponses à ces questions ont une portée qui dépasse les frontières d'une confession chrétienne. Elles devraient pouvoir enrichir le dialogue oecuménique entre tous les baptisés, qui poursuivent un cheminement difficile vers cette pleine unité de tous qu'a voulue Jésus. Sur sa route à travers les siècles, l'Eglise trouve dans les Ecritures le sens de sa destinée et de sa mission. Au moment où la situation du monde l'appelle à prendre de nouvelles initiatives, elle relit la Bible et l'écoute. Pour éclairer la situation présente et préciser les questions qu'elle pose, la Commission Biblique Pontificale a été invitée à interroger l'Ecriture sur «les rapports entre les Eglises locales ou les groupes particuliers et l'universalité d'un seul peuple de Dieu». Le présent document expose d'abord les témoignages successifs de l'Ancien ou Premier Testament, puis du Nouveau Testament; il tente ensuite une présentation synthétique du témoignage de la Bible. D'où le plan suivant: A. LES TÉMOIGNAGES SUCCESSIFS DES ÉCRITS BIBLIQUES I. Diversité dans l'unité, au-delà de la division et de l'uniformité, selon l'Ancien Testament II. De l'Ancien au Nouveau Testament
III. Unité et diversité dans le Corpus paulinien
IV. Unité et diversité dans les Evangiles Synoptiques et dans les Actes VI. Unité et diversité dans le Corpus johannique
B. BRÈVE SYNTHÈSE DU TÉMOIGNAGE BIBLIQUE
A. I.
1. La diversité dans l'univers
a) La Bible se présente dès le début comme la manifestation du Dieu de l'univers, créateur «du ciel et de la terre», c'est-à-dire de la variété des êtres et de leurs espèces (Gn 1,11-31). Cette diversité des êtres dans l'univers et, dans l'histoire, des familles, des nations et des peuples (Gn 10,5...), est voulue par Dieu et considérée comme «bonne» (Gn 1,12.17.21.25.31). b) Cependant l'heureuse diversité des hommes (sexes, tribus et nations) peut devenir la source de divisions malheureuses, si l'homme n'écoute pas la voix de Dieu (Gn 2-3) et pervertit «sa voie» (Gn 6,12). L'humanité perd son contact avec une nature bienfaisante (3,18), l'homme opprime la femme (3,16), un frère tue son frère (4,8.23.24); les nations se dispersent (Gn 11) et se combattent.
Malgré ces oppositions, souvent sanglantes, les groupes humains subsistent. Ils maintiennent, au moins partiellement, leur cohésion interne: par le patriarche dans la famille, par les anciens dans les clans ou les nations, par des chefs dans les peuples, et même par des alliances de types divers entre peuples dont les diversités sont ainsi respectées. Pour surmonter les divisions ou oppositions entre individus, familles et peuples, le Dieu de la Bible utilise certaines institutions: a) Par l'élection, le Dieu Créateur choisit un patriarche qui assurera sa bénédiction à sa parenté, réelle ou juridique. Ainsi, à Abraham, se rattacheront non seulement Israël, mais Ismaël, Edom, Madian et les descendants de Qeturah (Gn 25,1-4). b) Le Dieu d'Abraham et d'Israël transforme les alliances (berît) entre groupes humains, où le dieu national était témoin, en une Alliance dont il a l'initiative: Moïse en est médiateur et les tribus s'engagent envers Dieu même, par des stipulations (paroles, commandements). Cette Alliance est conclue par des actes cultuels divers (Ex 24,1-13), et les fidèles devront renouveler leur engagement envers Dieu et envers les hommes.
c) En fait, ce régime d'Alliance n'assure pas une protection suffisante contre les oppositions internes et externes (Livre des Juges). Dieu accorde à son peuple l'institution monarchique (1 S 8,22) et dynastique (2 S 7,8-16). Sous condition de fidélité à l'Alliance mosaïque, elle donnera au roi justice et équité (
mishpat et
sedaqah: Ps 72,1-4; Gn 18,19; 2 S 8,15; Jr 22,3...). Avec ses fonctions politiques, le roi reçoit un statut religieux par l'onction. Ses décisions sont reconnues par ses serviteurs comme paroles du Dieu national (Pr 16,10-15), lui-même étant serviteur de ce Dieu (2 S 7,8-19; Ps 89,4).
d) Bien qu'avec David l'institution royale réalise certaines des promesses du Dieu d'Abraham, elle ne peut surmonter toutes les divisions. Dès le début, elle suscite des rivalités entre tribus et des dissensions redoutables dans la famille royale. Même un David ne peut assurer la justice au peuple (cf. 2 S 15,1-6). Son successeur perd le contrôle des états voisins et mécontente les tribus du Nord (1 R 11). Le schisme se consomme à la mort de Salomon. En se réclamant du même Dieu, les Israélites se divisent et s'affrontent. e) Dès l'époque de David, des voix s'élèvent dans les milieux prophétiques contre les rois et même contre l'institution royale. Le peuple cesse peu à peu de considérer la décision royale comme parole de Dieu; des groupes de disciples reconnaissent cette Parole dans les oracles de certains prophètes, leurs maîtres. Ceux-ci interviennent parfois contre les divisions (1 R 12,24). Comme facteur de paix et d'unité, ils invoquent l'antique tradition de justice du Dieu d'Israël, tant à l'égard des rois et du peuple que des nations étrangères elles-mêmes (Am 1-2). Ils entretiennent l'espérance qu'un descendant de David rassemblera, dans la justice (Is 11, 1ss; Jr 23,5) et la paix (Ez 34,24-25), non seulement les tribus d'Israël (Ez 37,15-28), mais aussi d'autres peuples (Is 55,4-5). Une Alliance nouvelle est promise (Jr 31,31-33); cf. Ez 11,17-20; 36,25-28; Is 24-26. f) Les écoles prophétiques présentent une grande diversité de mentalités et d'options politiques, et le peuple ne dispose pas encore de critères pour distinguer vrais et faux prophètes. Pour tous, il n'y a cependant qu'un seul peuple du Dieu unique d'Israël. Le mouvement Deutéronomique tente donc de réaliser l'unité de la nation élue et consacrée (Dt 7,6) par la centralisation du culte au «Lieu choisi par le Seigneur», le Temple bâti par le fils de David (Dt 12,5; 1 R 8,29). Le Deutéronome connaît les insuffisances de l'institution prophétique (18,20ss; cf. Jr 28,8-9) qu'il subordonne à Moïse (Dt 18,15) et à sa Loi (Torah). Celle-ci est confiée aux prêtres lévites (31,9); ils sont chargés du service du culte qui réunit les familles de toutes les tribus en une «assemblée du Seigneur», un qehal YHWH (23,2ss; cf. Ne 13,1; Mi 2,5...), en grec (LXX), Ekklèsia YHWH.
Dans la diversité accrue des communautés juives en diaspora, désormais privées d'une autorité politique nationale, c'est l'institution sacerdotale qui se trouve chargée du service de l'unité. Elle ne l'est qu'en fonction de l'autorité de la Torah qui rassemble le peuple en
'edah (grec.
synagôgè) autour de la présence élective de son Dieu. Non seulement celui-ci a choisi un sanctuaire, mais il y fait «demeurer» sa Gloire (Ex 40,34-35; Lv 9,23). Roi par son acte créateur de l'univers (Ps 93), c'est «sur les chérubins» (Ps 99,1) qu'il trône dans son sanctuaire (Ps 96,6), sans que personne puisse l'approcher, sinon, une fois l'an, le grand-prêtre consacré. Cette communauté, pour laquelle celui-ci a mission d'intercéder, fait l'objet de métaphores diverses qui en soulignent l'unité organique: la vigne (Is 5,7; Ps 80,9-17), l'arbre (Ez 17,23), la cité (Is 26,1-2; Ps 46,5), le troupeau (Ps 95,7; Ez 34).
La consécration du peuple (Ex 19,6) est garantie, par des lois de pureté (Lv 11-16), de la contamination des nations séductrices (Ez 16,23-29). Mais les nations sont appelées à participer à son espérance (Is 51,5) et à son culte (Is 2,2-4; 56,6-7; 60,13-14; Ps 102,19-23). C'est le cas d'étrangers comme Ruth la Moabite, les descendants de l'Edomite et de l'Egyptien à la troisième génération (Dt 23,4-9) et même des Babyloniens, des Tyriens et des Philistins (Ps 87), dans leurs diversités d'origine, à condition de «renaître en Sion» (Ps 87,5-6) et de pratiquer la Torah (sabbat, cf Is 56,2.6-7; et circoncision, Gn 17,12-14). L'unité n'est assurée ni par la seule parenté du sang, qui peut être discutée (Esd 2,59-63; cf. 62) ou menacée par des mariages mixtes (Ne 13,23-30; Esd 9-10), ni par la berît mosaïque, qui peut être rompue par les hommes (Dt 31,16.20; Os 2,4; Jr 11,10; 14,21: 31,32; Ez 17,15 19; 44,7), ni par le pouvoir politique monarchique, qui n'a pas maintenu la justice et l'équité (Jr 22,13-17; cf. v. 3), ni par le sacerdoce aaronide qui a violé l'alliance de Lévi (Ml 2,5-8). Le peuple rompt l'Alliance, mais il n'est jamais dit que Dieu la révoque. Quand, selon le livre de Daniel, viendra un roi étranger, «au coeur hostile à l'Alliance sainte» (11,28), et que, «furieux contre l'Alliance sainte, il favorisera ceux qui l'abandonnent» (11,30), celui qui «se tient près des enfants de ton peuple» se lèvera pour sauver ceux qui sont inscrits au livre de vie, et ce sera la résurrection pour beaucoup (12,1-2). C'est aussi en Daniel que les saints du Très-Haut reçoivent une domination éternelle avec celui qui est «comme un fils d'homme venant avec les nuées» (7,13-14.27), tandis que sont jugés les empires monstrueux. II. 1. Unité et diversité du Judaïsme à l'époque du Second Temple La diversité des communautés juives, dans une diaspora influencée par des pouvoirs politiques et des cultures différentes, s'est avérée féconde, qu'il s'agisse de l'Egypte (Eléphantine), de la Perse (Suse, Nippur et Babylone), ou du bassin méditerranéen, où les colonies juives vont se multiplier à l'époque hellénistique. Leur rayonnement attire des prosélytes et des «craignant Dieu».
C'est la fidélité à la Torah, à la fois morale et cultuelle (pèlerinage au Temple, lieu élu et Demeure de la Gloire) qui assure l'unité du peuple d'Israël. Certes la Torah n'empêche pas que cette riche diversité tourne à la division par l'apparition des groupes religieux:
a) Les Samaritains ne reconnaissent ni le Temple de Jérusalem ni l'autorité des Prophètes et autres Ecrits. b) Les Juifs d'Egypte reconnaissent la Torah dans sa traduction grecque des Septante, à partir de l'époque des Lagides (III-II siècles). Certains se refusent à reconnaître la validité du sacerdoce de Jérusalem et adhèrent au temple de Léontopolis et à son sacerdoce oniade. c) Les Sadducéens par contre sont très attachés au Temple de Jérusalem et à son culte. d) La communauté essénienne se regarde comme le seul sanctuaire authentique et le véritable Israël; ses membres opposent les «fils de lumière» aux «fils de ténèbre». e) Les partisans de Judas le Gaulanite et ceux qui vont devenir «sicaires» et «zélotes» refusent la distinction d'Ezéchiel entre le «prince» et le «prêtre», c'est à dire le civil et le cultuel (cf. Ez 44-46; cf. Nb 27,18-23). Ils considèrent comme incompatibles l'obéissance à Dieu et l'obéissance à l'Empire romain païen. f) Les Baptistes donnent une importance nouvelle à la «purification». g) Les Pharisiens cherchent à pratiquer rigoureusement la pureté légale au sein du monde profane, en précisant les dispositions de la Torah écrite par un droit coutumier. La manifestation de la Gloire de Dieu est réservée aux derniers temps. Après la disparition totale du culte du Temple et du sacerdoce aaronide, le pharisaïsme va sauver l'unité du Judaïsme par la fidélité à la morale de la Torah et au culte synagogal. La 'edah du Lévitique devient alors la Synagogue; la pureté et la séparation sont célébrées dans les grandes fêtes de Rosh ha-Shanah et Kippur, où sont proclamés la royauté de YHWH et le pardon des fautes du peuple. La diversité des rites et des traditions locales n'ébranlera pas l'unité du Judaïsme, pas plus que la variété des interprétations légales des Rabbins.
A une époque où le peuple juif réalise son unité par la fidélité à la Torah de Moïse et au culte du Temple de Jérusalem, en même temps que sa division en groupes différents (
haireseis) menace cette unité, Jésus commence son ministère en Galilée. Ce n'est que plusieurs années après sa mort que les souvenirs de ses gestes et de ses paroles seront mis par écrit et feront partie de ce qu'on appelle le Nouveau Testament. Il n'est pas possible de préciser le détail de sa vie terrestre à partir des textes évangéliques qui nous sont conservés. Toutefois certaines données fondamentales sur sa vie et sa mission sont reconnues comme assurées.
Jésus appartient au peuple juif et s'adresse à Israël. Ses disciples aussi sont juifs et, quand ils sont envoyés pour étendre son action, ils se limitent à Israël. En constituant le cercle des Douze (qui ne sont pas encore appelés Apôtres dans les plus anciennes couches de la tradition synoptique), Jésus pose un geste prophétique et manifeste sa volonté de rassembler à nouveau et de reconstituer le peuple d'Israël avec ses douze tribus, comme la tradition juive l'attend au temps messianique. Il est accusé de vouloir détruire le Temple. Les études critiques n'ont pas abouti à un consensus sur le contenu exact de sa prédication. Il s'y est certainement trouvé des aspects qui mettaient en question l'ancienne unité d'Israël et esquissaient les contours d'une unité nouvelle qui la débordait. Ainsi ce que la tradition apostolique lui reconnaît de prises de position sur le Règne de Dieu et sur la Torah: - Certains éléments traditionnels sont absents de sa prédication du Règne de Dieu: les éléments politico-nationalistes, la restauration du trône royal de David dans toute sa splendeur, et l'expulsion des ennemis du peuple hors du pays, alors que ces éléments faisaient partie de la brûlante espérance de ce peuple (Ps Sal 17). Sa prédication a une ouverture universelle; selon des idées prophétiques (Is 25,6), Jésus attend le rassemblement des peuples au festin du Royaume avec les Patriarches (Mt 8,11; Lc 13,28). - Il n'abroge pas la Torah, mais lui donne une interprétation nouvelle. Il critique la forme que reçoivent alors les préceptes de pureté et la loi sabbatique, considérée comme un bien propre par la piété juive. Son appel à la conversion exige de tous une décision personnelle. Par là-même il fait surgir des divisions entre les personnes. Mais «la multitude» doit bénéficier de sa mort.
Paul se présente comme
apostolos: le moindre des Apôtres (1 Co 15,9), certes, mais apôtre à titre égal (cf. Ga 1-2), car apôtre de Jésus Christ (1 Co 1,1; 2 Co 1,1). Sa mission est de porter l'Evangile de Dieu, annoncé par les Prophètes, concernant le Fils ressuscité en puissance selon l'Esprit de sanctification (Rm 1,1-4). Le problème des rapports entre les Eglises locales et l'universalité d'un seul peuple de Dieu n'est pas traité directement par Paul; mais on trouve dans ses lettres certaines discussions et données qui peuvent aider notre réflexion sur la question: relations entre juifs et nations, entre faibles et forts, entre pauvres et riches, entre hommes et femmes; rapports des fidèles avec Paul et ses collaborateurs; existence de plusieurs Eglises domestiques (Rm 16,5; Phm 2); hérésies, schismes et désordres, diversité des dons et charismes...
Notre thème sera tout particulièrement éclairé par l'analyse de deux situations concrètes: 1. Comment dans Galates Paul juge-t-il les relations entre païens convertis et judéo-chrétiens? 2. Comment voit-on, dans 1 Corinthiens et Romains, la diversité dans l'unité de ces deux communautés? 1. En Ga 1-2, Paul affirme l'unité des croyants en mettant l'accent sur l'unicité de l'Evangile: la même grâce vient du Dieu-Père et du Seigneur Jésus-Christ, qui s'est livré pour nos péchés afin de nous arracher à ce «monde du mal» (1,3-4). L'expression Ekklèsia tou Theou (1,13) a probablement déjà une résonance plus que locale. Néanmoins il n'y a pas seulement plusieurs Eglises en Galatie (1,2) et ailleurs, ce qui est signe de vitalité. Il y a aussi des tensions sérieuses causées par les judaïsants qui déforment l'Evangile du Christ. Paul raconte ce qui s'est passé quand, avec Barnabé, il emmena Tite à Jérusalem. Il y exposa son Evangile aux notables; ceux-ci reconnurent l'apostolat qui lui avait été confié. Les participants acceptèrent deux évangélisations différentes, l'une des circoncis, confiée à Pierre, l'autre, des incirconcis, confiée à Paul. A l'occasion du Conflit d'Antioche, Paul démontra que, pour tous, la justification vient de la foi en Jésus-Christ et non des oeuvres de la Loi. Reprochant à Pierre, qui se dérobait aux repas avec les ethnico-chrétiens, de ne plus marcher selon la vérité de l'Evangile (Ga 2,14), Paul défendit pour ses païens convertis la liberté devant la loi. 2. Les divisions dans l'Eglise de Corinthe, mentionnées en 1 Co 1-3, ont pour cause les différences entre partis. Paul ne les considère pas comme légitimes. Mais, en 1 Co 12 et Rm 12, Paul donne une description de la diversité nécessaire, en utilisant l'image du corps et des membres. L'Esprit distribue à chacun ses dons selon sa volonté: «Il y a diversité de dons, mais c'est le même Esprit, diversité de ministères, mais c'est le même Seigneur, divers modes d'action, mais c'est le même Dieu qui produit tout en tous» (1 Co 12,4-6.15-22; Rm 14,2-3). Cette diversité, voulue certainement par Dieu, ne peut pas devenir désordre. Dieu, Jésus-Christ et l'Esprit doivent garantir l'unité au niveau le plus fondamental, mais aussi, d'une autre manière et à leurs propres titres, le baptême (Ga 3,27-28; Rm 6,3-4) et l'Eucharistie (1 Co 10,16-17), la foi (Rm 1,16; 3,22) et l'agapè (1 Co 13; Rm 5,3-8).
3. Avec ces deux exemples à l'appui, nous pouvons esquisser une synthèse paulinienne et amorcer une réflexion sur les moyens par lesquels Dieu assure la cohésion des chrétiens. Nous soulignerons ensuite les exigences d'une diversité bien intégrée.
Certains facteurs d'unité d'Israël ne jouent qu'un rôle très diminué. Sans nier la sainteté, la justice et la bonté de la Torah (Rm 7,12), Paul souligne en d'autres textes son caractère exclusif et national (cf . Ga 2,14) . Il rejette comme principes d'unité la circoncision et les règles alimentaires. Tout en reconnaissant dans le culte un privilège d'Israël (Rm 9,4), Paul parle peu du Temple, car les chrétiens eux-mêmes sont sanctuaire (naos) de Dieu (1 Co 3,16-17; 2 Co 6,16). Jérusalem n'a d'importance qu'à titre d'Eglise-mère, preuve de la fidélité de Dieu à son Alliance. Cette Eglise a autorité par les chefs réputés qui s'y trouvent. Ils sont considérés comme les colonnes (staloi) de la communion (Ga 2,9); sans leur accord. Paul estime qu'il aurait «couru en vain» (Ga 2,2). On ne parle pas de «Terre sainte». Le chrétien se rattache à Abraham et au peuple élu par la foi dans le Christ. Paul insiste au contraire sur l'apostolat (Ga 1,1; 1 Co 9,1). C'est une fonction d'universalité et d'unité qui n'est pas limitée à une Eglise locale. L'apôtre Paul constitue lui-même, sans aucun doute, un lien d'unité entre les Eglises particulières. La prédication d'un Evangile commun unifie tous les croyants des diverses Eglises (1 Co 15,11). Aussi bien le baptême que l'eucharistie (et les repas communs) opèrent la communion entre les chrétiens. On peut inférer de 1 Co 11,23s que l'Eucharistie est la même fondamentalement à Corinthe, à Antioche ou à Jérusalem. De même, la complémentarité des charismes est médiatrice d'unité. Sans la diversité des dons, le fonctionnement du corps serait impossible. Les prescriptions, établies par Paul et parfois bien uniformes, servent l'unité; Paul estime avoir sur ce point pouvoir (exousia, 2 Co 10,8; 13,10), même s'il ne veut pas toujours s'en servir. Dans ce qu'il prescrit, il invoque ce qui se fait ailleurs. Et enfin, la communion (koinônia) entre les apôtres (Ga 2,9) favorise l'unité entre les Eglises diverses. La multiplicité de celles-ci pourrait provoquer la division, et cela rendrait vain l'apostolat. «Ne pas oublier les pauvres» de Jérusalem (Ga 2,10) manifestera concrètement la communion. Ce sera la collecte dont parlent les épîtres, un acte expressif de la solidarité des chrétiens dans un sens éminemment ecclésial.
En ce qui concerne la diversité, Paul accepte comme une richesse dans le corps les différences entre les membres. A ce niveau l'uniformité n'existe pas. Paul se fait tout à tous, «comme Juif pour les Juifs», et «comme sans-Loi pour les sans-Loi» (1 Co 9,19-22). Il exige des autorités de Jérusalem qu'elles sachent discerner ce qui est essentiel et doit demeurer identique pour tous les chrétiens. Il refuse donc tout sectarisme conformiste. Sans promouvoir formellement les valeurs humaines qui varient selon les races, régions et cultures, Paul s'efforce de libérer ses ethnico-chrétiens de l'inculturation religieuse des Juifs. On peut dès lors se demander si, suivant les perspectives de Paul, les différentes Eglises locales ne devraient pas se distinguer par leurs charismes particuliers, et contribuer ainsi à la légitime et enrichissante diversification de l'Eglise une et universelle.
2. Les épîtres dites «de la Captivité» Deux de ces épîtres doivent nous retenir: Colossiens et Ephésiens. Leurs perspectives ne sont plus celles des Epîtres proto-pauliniennes. Le Christ est la tête d'une Eglise qui est son corps. L'eschatologie y apparaît plus «réalisée», la christologie plus cosmique. 1. Dans l'Epître aux Colossiens, l'autorité de Paul est soulignée face aux dangers de l'hérésie. Mais la diversité dans l'unité est plus d'une fois énoncée. Le Christ est «la tête du corps qui est l'Eglise» (1,18), «la tête de qui le corps tout entier, nourri et bien uni grâce aux articulations et ligaments, tire la croissance que Dieu lui donne» (2,19) . Les chrétiens sont appelés à la paix du Christ en un seul corps (1,15). L'origine de ce vocabulaire est plus cosmologique que politique. Dans Colossiens, l'Eglise a une vocation dans le monde. L'Evangile y porte du fruit et s'accroît (1,6): il est proclamé à toute créature sous le ciel (1,23). Les Colossiens doivent prier pour que Dieu ouvre la porte à la prédication (4,3-4). Des préceptes moraux indiquent un style de vie chrétien à chaque membre de la grande famille: maris, parents, maîtres, d'un côté, et épouses, enfants, esclaves, de l'autre (3,18-4,1). Par dessus tout, les chrétiens doivent revêtir l'agapè; c'est le lien parfait (3,14). 2. L'Epître aux Ephésiens a encore développé cette même exhortation. Dans le code familial de 5,21-6,9, l'union entre le Christ (tête, époux, sauveur) et l'Eglise, son corps-épouse, sert d'exemple aux relations entre mari et femme. L'Esprit fait habiter par la foi le Christ dans les coeurs des chrétiens, de sorte qu'ils sont enracinés et fondés dans l'amour (3,16-17). Dieu fait connaître son dessein bienveillant pour réunir l'univers entier sous un seul chef, le Christ (1,9-10). Le Paul de l'épître aux Ephésiens, qui se nomme lui-même «le dernier de tous les saints», a reçu la grâce d'annoncer aux païens l'insondable richesse du Christ (3,8). C'est la révélation de la présence active de Dieu dans le monde.
En Ephésiens aussi, l'Eglise est le corps du Christ qui est sa tête. A cette Eglise, il a donné une grande diversité de ministères pour bâtir son corps (4,7.11-12). De lui «le corps tout entier, coordonné et bien uni grâce à toutes les articulations qui le desservent, selon une activité répartie à la mesure de chacun, réalise sa propre croissance» (4,16). L'Eglise est encore comparée à une construction-temple, qui a pour fondation les apôtres et les prophètes, et pour pierre de faîte (
akrogôniaios) le Christ (2,20). C'est sans aucun doute le Christ qui est notre paix. Il a fait de la division entre juifs et nations une seule unité. Au moyen de la croix, il les a réconciliés tous les deux avec Dieu en un seul Corps (2,14-22). L'auteur exhorte ses chrétiens: «Appliquez-vous à garder l'unité de l'esprit par le lien de la paix. Il y a un seul Corps et un seul Esprit, de même que vous avez été appelés à une seule espérance; un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père de tous, qui règne sur tous, agit par tous et demeure en tous» (4,3-6). Bien qu'il n'utilise pas l'expression «une seule Eglise», il affirme fortement l'unité du Corps qui est l'Eglise.
3. Les épîtres dites «pastorales» Pour les Eglises locales d'Ephèse et de Crète, on constate dans ces Epîtres une évolution de la situation décrite dans les autres épîtres du Corpus paulinien. On y trouve une organisation des ministères plus articulée. La foi est présentée moins comme un acte que comme un «dépôt» qu'on doit garder, une doctrine à laquelle il faut rester fidèle. L'Eglise est présentée moins comme un sôma que comme un oikos. L'auteur ne parle pas explicitement des rapports entre ces Eglises et l'Eglise universelle. Il faut néanmoins remarquer comment est acceptée l'autorité de Paul qui transcende les localités; c'est à ce titre qu'est reconnue celle de ses délégués, Timothée et Tite. A Timothée, le don de la grâce fut conféré par une intervention prophétique, accompagnée de l'imposition des mains par le collège des anciens (1 Tm 4,14) et par Paul (2 Tm 1,6). Timothée lui-même imposera les mains à d'autres (1 Tm 5,22). Ici donc apparaît une sorte de succession dans l'exercice de l'autorité légitime (voir aussi 2 Tm 2,2). Sans qu'on puisse affirmer qu'une situation identique ait existé dans les autres communautés, on constate de grandes ressemblances dans ces deux Eglises d'Ephèse et de Crète. Elles vont jusqu'à l'uniformité. Ainsi Timothée, qui connaît les Ecritures depuis sa jeunesse, doit, comme Tite, défendre la foi et la saine doctrine contre les erreurs (1 Tm 6,20-21; 2 Tm 3,13; Tt 1,9; 3,10). Tous deux doivent achever l'organisation des Eglises. Tite établira, selon les instructions de Paul, des anciens dans chaque ville (Tt 1,5). On trouve aussi les anciens en 1 Tm 5,17-19. Les qualités requises de l'épiscope sont les mêmes en 1 Tm 3,2-7 et Tt 1,7-9. Timothée doit veiller aux qualités des diacres (1 Tm 3,8-10.12-13) et aussi des femmes (diacres?) en 3,11. Enfin, ils doivent exhorter leurs chrétiens suivant des directives pauliniennes pour que tous, dans chaque classe (1 Tm 5 et 6; Tt 2,1-10), se comportent d'une manière irréprochable. De cette manière, l'unité dans l'Eglise locale, déjà dûment structurée, sera préservée. Les chrétiens sont «la maison de Dieu, l'Eglise du Dieu vivant, colonne et soutien de la vérité» (1 Tm 3,15). Les chrétiens font partie du peuple qui appartient à Jésus-Christ grâce à son sacrifice (Tt 2,14).
IV.
Les évangiles synoptiques poursuivent par leur kérygme la prédication de Jésus et, comme Paul, portent l'Evangile en territoire non juif.
1. L'annonce du Règne de Dieu tient une place centrale dans 1'Evangile selon Marc (Mc 1,50); toutefois le message du Règne de Dieu devient «Evangile de Jésus-Christ, Fils de Dieu» (1,1). C'est la marque d'une situation post-pascale, où l'on vise rétrospectivement les événements centraux de la foi chrétienne, à savoir: la crucifixion et la résurrection de Jésus. a) La confession de Jésus comme Messie par Pierre (8,29) et comme Fils de Dieu par le Centurion au pied de la croix (15,39) est devenue, avec la célébration du Repas du Seigneur, le nouveau point de rassemblement où s'unit le peuple de Dieu. Certes, le terme d'ekklèsia n'apparaît pas chez Marc, pas plus que chez Luc; mais l'existence d'une telle réalité est clairement supposée. Il est difficile de préciser les rapports de l'Eglise et de la Synagogue, mais la séparation se prépare (cf. Mc 7,3-4; 12,9; 13,9). Les interdits alimentaires n'ont plus aucune valeur (7,15.19). Jésus apporte quelque chose de fondamentalement nouveau (1,27; 2,21-22), il s'émeut sur le troupeau sans pasteur (6,34) et condamne les vignerons du vignoble (12,1-12). b) L'intervention de Jésus contre les «marchands du Temple» est justifiée par la parole d'Is 56,7: «Ma Maison sera appelée une Maison de prière pour toutes les nations» (11,17). La proximité du Règne de Dieu, qui paraît exprimée en 9,1 et 13,30, est assumée; mais «cet Evangile doit d'abord être annoncé à toutes les nations» (13,10). c) Les Douze, qui ne sont appelés qu'une fois Apôtres (6,30), représentent premièrement le groupe témoin; il a accompagné la vie et l'action du Christ; il doit maintenant poursuivre son oeuvre; parmi eux, Pierre est le premier nommé (3,16). Il est le porte-parole (8,29). d) La mort rédemptrice de Jésus (10,45) fonde l'alliance dans son sang versé pour la multitude (14,24). Après sa résurrection, Jésus, comme pasteur, rassemble ses brebis dispersées (14,27-28). 2. L'Evangile selon Matthieu a été appelé l'Evangile de l'Eglise par excellence. Il emploie deux fois le terme d'ekklèsia (16,18; 18,17-18). La continuité avec Israël et le détachement d'avec la Synagogue sont les deux pôles qui commandent sa réflexion ecclésiologique.
a) De multiples citations explicites établissent que Jésus est le Messie d'Israël et le sauveur de son peuple, comme l'avait annoncé l'Ecriture. Mais Israël, dans son ensemble, ne l'a pas accepté et s'en trouve ostensiblement critiqué (Mt 20,16; 22,5-8). Le «Règne de Dieu», compris par Matthieu comme une donnée de l'histoire du Salut dans le passé, le présent et l'avenir, sera enlevé aux chefs d'Israël et donné à une nation qui en portera les fruits (21,43).
b) Simon, le premier des douze apôtres (10,2), se voit imposer le nom de Pierre; il est constitué roc de fondation de l'Eglise universelle du Messie (16,18; «mou tèn ekklèsian»), qui en assure la cohésion. En tant que dépositaire des clés du Règne céleste et pourvu des pleins pouvoirs de lier et de délier, il est garant de la fidélité à la personne et à l'enseignement de Jésus. Le plein pouvoir de lier et de délier est également exercé dans la communauté locale (18,18). c) Chargés de la Mission par le Seigneur glorifié, les Onze disciples sont envoyés dans le monde entier pour faire de toutes les nations des disciples (28,19). C'est dans leur communauté que la toute-puissance du Christ continuera d'opérer pour le salut (28,18-20). 3. Les conceptions théologiques lucaniennes se trouvent dans l'Evangile selon Luc et dans les Actes des Apôtres. Dans l'Evangile, l'action de Jésus est centrée sur le pays d'Israël. Jésus commence par agir dans sa patrie immédiate, Nazareth (4,16-30); il ne franchit pas les limites du pays juif (à la différence de Mc 7,24ss = Mt 15,21ss). En envoyant ses apôtres (9,2) et disciples (10,1), il a le souci de mettre la totalité d'Israël en face du message de salut. Luc développe dans son oeuvre une théologie de la route (hodos, poreuomai). Jésus, enfant, est venu deux fois au Temple, chez son Père (2,41; cf. 2,23). Il reprend avec ses disciples le chemin vers Jérusalem (9,51ss), où les hommes le tueront (13,33), mais où Dieu le ressuscitera (24,34). Cette route se poursuit dans les Actes et mène de Jérusalem à l'«extrémité de la terre» (1,8). Jérusalem est au centre d'une conception de l'histoire du salut, selon laquelle l'antique peuple de Dieu se transmue en peuple de Dieu pris «parmi les nations» (Ac 15,14). Le transfert de l'Evangile, d'Israël aux nations, correspond au plan de Dieu dans sa continuité et sa discontinuité. Les douze apôtres (Ac 6,2), devenus les serviteurs de la Parole (cf. Lc 1,2), parmi lesquels Simon Pierre, le premier appelé (Lc 5,1-10), reçoit la mission de confirmer ses frères (22,32), sont les témoins qualifiés de l'action, de la mort et de la résurrection de Jésus (Ac 1,8.21-22). Dans les Actes des Apôtres, la vie de l'Eglise primitive est décrite avec insistance comme la vie d'un peuple de Dieu dans la diversité et l'unité.
Le récit de la Pentecôte (2,1ss) fait connaître la descente de l'Esprit de Dieu se faisant comprendre par des hommes de multiples langues (et cultures); ainsi est abolie la confusion des langues provoquée par l'orgueil des constructeurs de Babel. Née de l'Esprit, l'Eglise est dès le début composée d'hommes de différentes langues et cultures, rassemblés maintenant par l'Esprit dans la foi. Ils sont désigné comme «les frères» (1,15), «les croyants», (2,44), les «disciples» (6,1), «ceux qui invoquent le Nom du Seigneur» (cf. 9,14.21), les «sauvés» (2,47), «le parti des nazôréens» (24,5), les «chrétiens» (11,26; 26,28).
Le terme d'ekklèsia désigne le plus souvent l'Eglise locale (ainsi celles de Jérusalem et d'Antioche); mais on parle aussi de «l'Eglise dans toute la Judée, la Samarie et la Galilée» (9,31), ou encore de «l'Eglise de Dieu qu'il s'est acquise par son sang» (20,28). On entend dire que les Eglises locales échangent des délégations et qu'il y a des aides matérielles réciproques (11,29). Les «sommaires» qui décrivent la vie de l'Eglise de Jérusalem (2,42-47; 4,32-35; 5,12-16) ont, dans la rédaction lucanienne, une portée exemplaire pour toutes les Eglises. Les croyants se rassemblent encore sous la portique de Salomon situé dans le Temple (5,12). On loue leur unité et leur concorde, qui ont pour garantes la doctrine des apôtres à laquelle on s'attache, la communion (koinônia), la fraction du pain et les prières qui ont lieu dans les maisons privées. La vente libre des propriétés et la mise en commun des ressources visent à supprimer l'indigence et renforcent la conscience de la fraternité. L'unanimité des chrétiens est constamment soulignée (homothymadon: 1,14; 2,46; 4,24; 5,12...), même si elle peut parfois être troublée par des incidents (5,1-11). Les discours de la prédication missionnaire du christianisme primitif sont composés à partir de modèles d'origines différentes. On peut y voir des types de la prédication chrétienne, qui varie selon les milieux et les auditoires. Le discours de Pierre à Jérusalem pour la Pentecôte peut être compris comme le modèle d'un discours de mission à un public juif (2,14-36), tandis que le discours de Paul à l'Aréopage d'Athènes est un modèle de discours missionnaire devant un cercle d'auditeurs grecs (17,22-31). Cela est confirmé par le choix des arguments et des images, qui tiennent compte chaque fois de l'univers mental de ceux auxquels on s'adresse. On y discerne aussi les différences d'opinions et les conflits dans l'Eglise primitive. Ces différences sont en grande partie conditionnées par la diversité d'origine des membres. Les Actes le rapportent sans crainte. C'est le cas du ressentiment des Hellénistes envers les Hébreux dans l'Eglise de Jérusalem, leurs veuves ayant été négligées dans le service quotidien (6,1-6). C'est aussi le cas du conflit sur la manière dont les païens convertis pouvaient être admis dans l'Eglise. Il y avait un grand nombre de conversions du paganisme et certains judéo-chrétiens estimaient rigoureusement nécessaire l'acceptation de la circoncision (15,1-5). Ce fut encore le cas des réticences manifestées à l'égard de l'apôtre Paul lors de sa dernière visite à Jérusalem (21,21).
Les solutions que l'on trouva, et que proposent les Actes, ne sont pas telles qu'elles négligent complètement les particularités culturelles ou religieuses de ceux qui sont entrés dans l'Eglise. Les accords réalisés à l'Assemblée apostolique, et que représentent dans Actes 15 la non-imposition de la circoncision et les «clauses de Jacques», acceptent au contraire et, dans certaines limites, invitent par là à respecter le bien propre de chacun. Dans le même sens, les Actes nous montrent un Paul disposé à se comporter pleinement en Juif à Jérusalem (21,23-26) .
Les Actes reflètent une large diversité d'organisation ecclésiale et ministérielle selon les lieux et les groupes ethniques. Les Eglises locales apparaissent largement autonomes dans leur fonctionnement interne, tout en étant solidaires les unes des autres et en gardant un lien privilégié avec Jérusalem. Cette diversité valorise manifestement une unité qui ne néglige pas les particularités, mais les assume dans une communion qui les transcende. Pour les cas où surgissent des conflits, les Actes indiquent les moyens de sauvegarder l'unité: les directives données par les Apôtres (6,2; 15,7-11), la foi que tous confessent de manière identique (15,7-9), l'amour que tous doivent se porter les uns aux autres, se respectant mutuellement et vivant les uns pour les autres, enfin et surtout la présence de l'Esprit Saint, qui non seulement a rassemblé l'Eglise, mais aussi la dirige et la conduit. Selon la foi de la communauté, cet Esprit-Saint lui-même s'est exprimé dans la décision de l'Assemblée apostolique (15,28). Cependant, quand il y a décision, la communauté dans son ensemble est impliquée. En 6,5 elle approuve la proposition des Apôtres; en 15,22, elle donne son accord aux Apôtres et aux Anciens. Par ce tableau de la vie de l'Eglise primitive, d'une certaine manière idéalisé, les Actes ont voulu donner à la génération future l'exemple d'une vie menée dans l'amour sous la direction de l'Esprit.
La question de l'unité dans la diversité n'est jamais traitée explicitement dans l'Epître aux Hébreux. Mais un principe d'unité est affirmé avec grande insistance en termes nouveaux: l'unique sacrifice du Christ, offert une fois pour toutes, a remplacé la diversité des oblations anciennes (10,5-10). Proclamé grand-prêtre, le Christ «est devenu cause de salut éternel pour tous ceux qui lui obéissent» (5,9).
L'initiation chrétienne vaut mieux que l'expérience terrifiante de l'Horeb (12,18-21; cf. Dt 4,11; Ex 19,12.16), car elle met en rapport avec la «Jérusalem céleste», une «assemblée (
ekklèsia) de premiers-nés inscrits dans les cieux», ainsi qu'avec «Jésus, médiateur d'une alliance nouvelle» (12,22-24; cf. Jr 31,31-34). On peut voir là que l'unité chrétienne a un fondement qui n'est pas terrestre, bien qu'elle s'exprime dans une solidarité concrète (3,12-4,16). Les «participants du Christ» (3,14) doivent prendre part aux réunions de la communauté (10,25), garder le souvenir de leurs premiers dirigeants (13,7) et se montrer dociles à leurs dirigeants actuels (13,17), se garder des «doctrines variées et étrangères», car «Jésus Christ est le même hier, aujourd'hui et pour les siècles» (13,8-9).
2. La première épître de Pierre Cette épître se présente comme écrite de Babylone ( = Rome: 5,13). Elle est adressée aux élus qui vivent en étrangers dans la diaspora du Pont, de la Galatie, de la Cappadoce, de l'Asie et de la Bithynie (1,1) et sont persécutés en tant que chrétiens. Ils appartiennent évidemment à diverses Eglises locales, mais l'auteur traite ses correspondants comme les membres d'une même Eglise, recevant les témoignages et les exhortations de l'Apôtre Pierre. Dans cet écrit, les chrétiens, qui sont «renés» à une nouvelle espérance dans la résurrection de Jésus-Christ, prennent conscience de leur vocation. Nés de la Parole de Dieu (1,23), ils sont les pierres vivantes d'un édifice spirituel (2,5). En s'incorporant au Christ, pierre vivante qu'ont rejetée les bâtisseurs mais qui est devenue la pierre d'angle (2,4), ils reçoivent l'héritage et les privilèges d'Israël, que l'auteur exprime par les principales métaphores dont l'Ancien Testament fait usage en ce sens: «race élue, communauté sacerdotale royale, nation sainte, peuple destiné au salut» (2,9; cf. Is 43,20-21; Ex 19,5-6). Ils sont finalement le peuple de Dieu, ceux qui ont obtenu miséricorde (2,10; cf. Os 1,6.9). L'auteur encourage les chrétiens à demeurer fermes dans la persécution, «en sachant que les mêmes souffrances atteignent la communauté de vos frères dans le monde» (5,9). Il exhorte les anciens, en se nommant «ancien avec eux», à paître le troupeau de Dieu qui leur est confié et duquel le Christ est «le souverain berger» (5,1.2.4). La lettre nous présente une Eglise consciente de sa dignité de peuple de Dieu.
VI. 1. L'intention déclarée du IV évangile est de fonder chez ses lecteurs la foi en Jésus, «le Christ, le Fils de Dieu», pour qu'ils aient la vie «en son nom» (20,31). Aucune discrimination n'est imposée, le dessein de Dieu étant de sauver le monde (3,17). «Quiconque croit» (3,16) a la vie éternelle. On peut donc dire que le but de l'évangile est l'unité de tous dans la foi et la vie chrétiennes. L'évangéliste note la diversité des réactions devant la personne de Jésus (7,12; 11,45-46); mais, pour lui, les réactions hostiles et incrédules sont injustifiables (3,18-20).
2. Jésus s'adresse à des gens d'origines et de situations très variées, qui s'attachent à lui de façons diverses: des disciples de Jean-Baptiste (1,35) qui sont Galiléens (1,44); Nicodème le Pharisien, «un des notables juifs» (3,1; 7,50; 19,39); une Samaritaine (4,7) et ses compatriotes (4,39), malgré la rupture entre Juifs et Samaritains (4,10); un fonctionnaire royal (4,46). Parfois «une grande foule vient à lui» (6,5). Des non-Juifs sont attirés par lui (12,20-21).
3. Toute cette diversité doit arriver à l'unité grâce à Jésus, «le bon berger» (10,11). «Il y aura un seul troupeau et un seul berger» (10,16). Les «mercenaires», eux, laissent le troupeau se disperser (10,12). L'unité ne se limite pas au «peuple d'Israël», mais doit s'ouvrir à d'autres brebis (10,16), bien plus, à «tous les enfants de Dieu dispersés» (11,52). Elle est présentée comme le but de la mort de Jésus (11,51-52), comme l'objet de la prière instante du Christ (17,11. 22-23), comme le moyen d'amener le monde à la foi (17,21. 23). Le modèle et la source de l'unité des disciples est l'unité parfaite du Père et du Fils, leur intériorité réciproque (17,11.12). Les disciples doivent «demeurer dans le Christ», comme les sarments sont attachés au cep de vigne (15,1-7). L'adoration «en Esprit et en vérité» leur permet de dépasser le problème de la division occasionné par le désaccord sur les lieux de culte (4,21-24). Le vrai sanctuaire sera le corps de Jésus ressuscité (2,19-22) . L'Esprit, que le Père enverra à la demande de Jésus, constituera évidemment un lien mystérieux entre les disciples (cf. 14,16-18) . Le IV' Evangile est très attentif à l'unité spirituelle des croyants avec Dieu grâce à l'intériorisation du message de Jésus. Il est moins préoccupé des structures de l'unité. En indiquant la nouvelle naissance par l'eau et l'Esprit comme condition d'entrée dans le Règne de Dieu (3,5), et le «pain de vie» comme condition de la vie du Fils dans les disciples (6,57), grâce à l'Esprit vivifiant selon 6,63, cet évangile implique l'existence de certains actes, à la fois personnels et communautaires, où les hommes reçoivent du Fils la vie venue du Père. 4. L'unité ne se situe donc plus au plan politique (6,15; 18,37), elle n'utilise pas les armes humaines (18,36; cf. 18,10-11). Jésus la réalise par l'humble service (13,2-15) et le don de soi jusqu'au bout (10,14-18; 13,1; 15,13). Il ordonne à ses disciples de suivre son exemple: «Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés»; c'est le «commandement nouveau» (13,34).
5. Le IV évangile ne décrit pas l'organisation des communautés chrétiennes. Il parle en règle générale des «disciples» (78 fois), sans marquer aucune distinction entre eux. Les disciples témoigneront avec l'Esprit (15,26-27). Leur unité ne se définit donc pas en termes d'autorité mais en termes d'amour mutuel, et elle a valeur de témoignage (17,20.23). Celui-ci n'est pas seulement humain, il manifeste devant «le monde» le témoignage que l'Esprit rend à Jésus.
6. Le choix des Douze n'en est pas moins mentionné (6,70; cf. 13,18; 15,16.19), sans que leur rôle soit alors précisé; il le sera après la résurrection, lorsque Jésus, communiquant l'Esprit, les charge de continuer sa propre mission (20,21-23). Parmi eux, Pierre est mis en évidence: il fait une profession de foi à un moment décisif (6,68-69). Il a une fonction spéciale pour l'ensemble des croyants, car, malgré son triple reniement (18,17.25-27), il est le seul à recevoir du Christ ressuscité la mission de «paître ses brebis» (21,15-19). Peu auparavant, Pierre a tiré le filet de la pêche miraculeuse, qui - détail symbolique? - «ne se déchire pas» (21,11). 7. Le même chapitre final manifeste par ailleurs la diversité des vocations dans l'unité de la foi au Christ: le chemin prévu pour Pierre n'est pas le même que celui du «disciple que Jésus aimait» (21,20-23). Le rôle attribué à ce dernier laisse entrevoir le pluralisme qui existait dans l'Eglise au temps de la rédaction du IV' évangile. Les communautés qui ont conservé et cultivé les traditions johanniques différaient sur bien des points de celles où se sont exprimées les traditions synoptiques: christologie qui explicite fortement la filiation divine de Jésus et même sa divinité, pneumatologie détaillée, eschatologie présentée souvent comme déjà réalisée. Elles insistaient sur la «vérité» (alètheia) révélée en Jésus et sur l'agapè apportée par lui. Ces différences n'aboutissent pas cependant à un séparatisme; la place reconnue à Pierre par la communauté du «disciple bien-aimé» en témoigne (Jn 20 et 21).
Quoique plus directement ecclésiales que l'Evangile, les épîtres johanniques parlent moins explicitement d'unité. Cependant la koinônia (1 Jn 1,3.6.7) est en rapport avec ce thème. C'est le «témoignage» des premiers disciples au sujet du «Verbe de vie» qui permet d'entrer dans la «communion» que les croyants ont «avec le Père et avec son Fils Jésus-Christ» (1,1-3) et par là les uns avec les autres (1,7). La communion est donc basée sur la foi au Verbe incarné. Elle s'exprime dans l'amour mutuel (agapè). On retrouve en 1 Jn les thèmes principaux du IV évangile, y compris celui de l'intériorité réciproque, liée à la foi en Jésus, et à l'agapè (4,16); 1 Jean va jusqu'à affirmer: «Dieu est amour (agapè) et qui demeure dans l'amour demeure en Dieu et Dieu demeure en lui» (4,16). L'attention se porte habituellement sur l'amour entre chrétiens, incompatible avec l'amour du monde caractérisé par les «désirs égoïstes» (2,15-17; 5,4.19). Toutefois une perspective universelle est clairement exprimée en 1 Jn 2,2: Jésus-Christ est «sacrifice d'expiation pour les péchés... du monde entier».
La préoccupation principale de l'auteur est de fournir à ses lecteurs des critères d'authenticité chrétienne, car on ne peut admettre n'importe quelle diversité à l'intérieur de la communion chrétienne. Il met en garde contre les «antichrists» (2,18.19; 4,3) et les faux prophètes (4,1). Les critères donnés sont d'ordre de foi christologique et de fidélité aux commandements (seul est précisé celui de l'amour mutuel). Au sujet de la «doctrine» (
didachè) sur le Christ venu dans la chair (1 Jn 4,2; 2 Jn 7), 2 Jn 10-11 ordonne d'être intransigeant.
La 3 Jn reflète une situation de conflit pour des raisons d'ambition et d'attachement au pouvoir dans l'Eglise. Le «presbytre» s'en plaint, mais il ne va pas au-delà d'une annonce de reproche (3 Jn 10). Le mot ekklèsia, absent du IV évangile et des deux premières épîtres, désigne, aux vv. 6.9.10, l'Eglise locale.
A propos de l'oeuvre rédemptrice (ègorasas) de 1'«Agneau», l'Apocalypse affirme très fortement la diversité dans l'unité: L'Agneau a «acheté pour Dieu dans son sang» des gens «de toute tribu et langue et peuple et nation»; il a fait d'eux pour Dieu «une royauté et des prêtres» (5,9-10). Plus loin, une formule analogue précise qu'il s'agit d'une «foule innombrable» qui se tient «devant le trône et devant l'Agneau» (7,9); la mention de cette foule vient après celle de 144.000 «serviteurs de Dieu», provenant de «toute tribu des fils d'Israël» (7,3-8). Outre la diversité d'origine, on remarque la diversité des situations géographiques et spirituelles des «sept Eglises». Jean s'adresse à elles d'abord collectivement (1,4), avant de transmettre à l'«ange» de chacune un message du Seigneur ressuscité (cf. 1,18; cf. 2-3), qui vaut d'ailleurs aussi pour toutes (2,7.11 etc.). «L'ange» désigne peut-être le dirigeant de la communauté. Son rapport avec le Christ est présenté comme très étroit (1,16.20). Le chiffre de 7 symbolise une totalité. Toutes les Eglises sont unies par leur commune soumission à l'autorité du Christ et à la voix de l'Esprit. La manière dont Jean se présente (1,9) atteste la fraternité des chrétiens de toutes ces Eglises; mais on ne dit rien sur l'organisation de cette fraternité; rien n'est dit non plus des rapports entre une Eglise et une autre. Les lettres n'en imposent pas moins une attitude commune; en particulier vis-à-vis du culte païen (2,14-15.20). C'est l'intervention d'un inspiré (1,3.10) en vue de renforcer la fidélité unanime de toutes les Eglises, et cette intervention est présentée comme un «témoignage» (1,21) qui encourage à garder le «témoignage de Jésus» (1,9; 12,17).
La vision de la femme vêtue du soleil et couronnée de douze étoiles, mère du Messie, est un puissant symbole d'unité et de continuité du peuple des deux Testaments (12,1-2.5-6). Par ailleurs le symbole de la Jérusalem nouvelle, épouse de l'Agneau (21,9; 22,17), qui descend du ciel (21,2.10) et dont les douze portes restent constamment ouvertes à toutes les nations (21,12.25.26), exprime fortement la conscience de la vocation à l'unité. La Jérusalem nouvelle est l'unique «habitation de Dieu avec les hommes», mais la diversité n'y est pas abolie. «Ils seront ses peuples» (selon une leçon probable de 21,3). La référence aux «douze Apôtres de l'Agneau» comme fondements (
themelious) du rempart de la cité (21,14) suggère une certaine structuration de l'unité. Mais la préoccupation principale de l'Apocalypse n'est pas d'exprimer une ecclésiologie, c'est bien plutôt de renforcer l'espérance chrétienne en temps de persécution.
B.
Dans la diversité des points de vue que représentent les livres bibliques, on peut discerner plusieurs voies par lesquelles le Dieu de l'univers préparait la venue du Christ pour «rassembler dans l'unité les enfants de Dieu dispersés» (Jn 11,52; cf. Lc 13,29). Le Dieu de la Bible n'est pas seulement le Dieu des Juifs, mais aussi le Dieu des nations. Il justifie les uns en vertu de (ek) la foi, et les autres par le moyen de (dia) la foi au Christ (Rm 3,29-30; cf. 26). Il est le Père qui a envoyé son Fils unique pour sauver le monde (Jn 3,16). L'union du Père et du Fils est le fondement de l'unité entre tous (Jn 17,21). Le Père est l'origine de tout (1 Co 8,6) et le terme de tout (1 Co 15,28). L'unité est exprimée: - par les différents noms donnés à l'Eglise du Christ; - par l'horizon d'universalité proposé au dynamisme de chaque Eglise et les facteurs de communion entre Eglises.
1. Les différents noms de l'unique Eglise Les noms donnés à l'Eglise dans le Nouveau Testament sont non seulement variés, mais parfois disparates, si l'on prend à la lettre les mots et les images. C'est que l'Eglise ne se laisse pas enfermer dans une définition. Comme tous les êtres vivants, elle a son individualité propre. Elle se laisse atteindre à travers des noms et des images variés, nés de milieux divers et traduisant des expériences différentes et complémentaires. 1. Son nom spécifique, Eglise, désigne toujours la même réalité, même si elle apparaît sous des formes différentes, tantôt limitée à un lieu particulier, tantôt reproduisant son identité à travers le temps et l'espace, et faite pour s'étendre au monde entier.
Ce nom désignait dans l'Ancien Testament grec le peuple du Seigneur rassemblé par Moïse au désert pour écouter la Parole de Dieu et s'engager à lui obéir (Dt 4,10; 5,22; cf. Ac 7,38): Assemblée sacrée, composée de participants purifiés (Dt 23,2.3.4.8-9; Ex 19,14-15; cf. Ac 7,38), convoquée pour un événement fondateur, elle continuait à vivre de l'événement et devait constamment le renouveler rituellement (cf. Dt 5,3). Dans le Nouveau Testament, l'événement fondateur, qui accomplit les promesses de l'Ancien Testament, est la mort et la résurrection du Christ. L'Eglise en est issue et en vit.
2. Avec le Christ, manifestation de Dieu dans un corps crucifié et ressuscité, l'Eglise acquiert, elle aussi, une figure nouvelle, celle du corps. L'image, familière à l'Antiquité classique, prend un sens plus profond: les chrétiens sont «corps du Christ» (1 Co 12,27). Dans le Christ, ils sont les membres, nécessairement divers, d'un corps unique (Rm 12,5; 1 Co 12,12; Ep 2,16; Col 3,15). Ils ont des dons différents (Rm 12,6; 1 Co 12,4), mais ils écoutent la même Parole de Dieu, reçoivent tous la doctrine du Christ (Mc 1,27; Ac 13,12; Tt 1,9) et se nourissent du même pain (1 Co 10,17). Ce Corps est un organisme vivant et articulé (Ep 4,16; Col 2,19). Le Christ en est dit la tête (Col 1,18); les fidèles sont membres les uns des autres (Rm 12,5). Cet organisme grandit dans l'Esprit (Ep 2,21-22), jusqu'à ce que tous ensemble, parvenus à l'âge adulte, atteignent la stature du Christ en sa plénitude (Ep 4,13). 3. L'image du corps concentre l'attention sur l'organisation de l'Eglise, son fonctionnement et sa croissance. Celle du troupeau évoque à la fois le risque et l'aventure, la responsabilité du pasteur. C'était dans l'Ancien Orient une image traditionnelle de portée à la fois politique et religieuse. Ces peuples d'éleveurs étaient habitués à attendre de leurs rois et de leurs dieux nationaux l'abondance et la sécurité. Le Dieu d'Israël est le Pasteur de son peuple (Ps 23). David qui, dans sa jeunesse, avait gardé le troupeau de la famille (1 S 16,11; 2 S 7,8) se sait, lui aussi, responsable du peuple (2 S 24,17). Quand Dieu décide de sauver ses brebis maltraitées par des pasteurs indignes, il promet à son peuple un nouveau prince, «mon serviteur David» (Ez 34,22-24). Jésus, fils de David, est ce berger promis. Il est l'unique pasteur de ce troupeau unique (Jn 10,16; cf. 1 P 5,4; He 13,20). Il donne sa vie pour ses brebis (Jn 10,11-16). Il conduit dans son bercail d'autres brebis venues d'ailleurs (Jn 10,16). Il confie à des disciples la charge de son troupeau (Jn 21,15-17; cf. Ac 20,28; 1 P 5,2). Le Christ pasteur est également le roi de son peuple. Après avoir, pendant son ministère, annoncé le Règne de Dieu (Mc 1,15 et par.), au moment de mourir, il revendique sa royauté devant Pilate en déclarant qu'elle n'est pas de (ek) ce monde-ci (Jn 18,33-37). Ressuscité, il l'exerce (1 Co 15,25; Ap 1,12-3,2), jusqu'au moment où il remettra la royauté à son Père (1 Co 15,24).
4. Eglise, corps, troupeau, il y a forcément une part d'images dans ces noms. Tous trois définissent des relations précises entre le Christ et le peuple de Dieu. D'autres noms donnés à l'Eglise supposent définies ces relations et mettent l'accent sur leur portée affective. Loin d'être secondaires, ils mettent en valeur des aspects essentiels.
Trois images en particulier s'imposent: le peuple de Dieu est une construction, une plantation, une épouse. Il est permis de rapprocher ces trois images: elles répondent aux trois actes fondamentaux qui, dans la Bible, donnent son prix à l'existence humaine: bâtir, planter, épouser (cf. Dt 20,5-7). La merveille est que Dieu veuille se bâtir une maison, se planter une vigne, se donner une épouse, et que ce projet soit justement l'Eglise. a) Le peuple de Dieu est une construction (oikodomè, 1 Co 3,9) qui monte pour devenir un sanctuaire saint (naos hagios, Ep 2,21). L'Eglise locale se réunit souvent dans une maison (kat'oikon: Rm 16,5). Tous les chrétiens sont les enfants de la Jérusalem d'en-haut (Ga 4,26). Ils sont, dans leur corps, le sanctuaire de Dieu (1 Co 3,16; 2 Co 6,16) dans lequel demeure l'Esprit (1 Co 6,19). Le Christ se présente tantôt comme le constructeur de son Eglise qu'il bâtit sur Pierre (Mt 16,18), tantôt comme fondement (themelion) de l'édifice construit par les Apôtres (1 Co 3,11), tantôt comme sa pierre angulaire (akrogôniaios, Ep 2,20; 1 P 2,6; kephalè gônias Mc 12,10; Ac 4,11). En Ephésiens (2,20; 4,16), les Apôtres et les Prophètes sont les fondements de cet édifice (2,20) qui se construit dans l'agapè (4,16). b) Le peuple de Dieu est aussi appelé une vigne, culture délicate et précieuse dont le vigneron attend du fruit (Is 5,1-7; Ez 15; 17,6-8; Ps 80,9-17; Mc 12,1-12 et par.). Pour porter du fruit, les disciples doivent demeurer attachés au cep (Jn 15,1-8). L'olivier aussi est, chez Paul, une image du peuple d'Israël choisi par Dieu, sur lequel a été greffée par grâce une branche sauvage destinée à recevoir la sève sainte (Rm 11,16-24). c) L'amour de Dieu pour son peuple s'exprime par une image encore plus audacieuse, celle du mariage. Dès son élection. Israël était l'épouse choisie, souvent décevante, jamais définitivement abandonnée (Os 2,4-25; Jr 2,2; 31,3-4; Ez 16,6-62). L'image est reprise par plusieurs auteurs du Nouveau Testament qui l'appliquent au Christ et à l'Eglise (Mt 9,15 et par.; cf. Jn 3,29; Mt 22,1-14; 2 Co 11,2; Ep 5,23-32). La relation nuptiale trouve sa plénitude à la fin des temps (Ap 19,7-9; 21,2.9; 22,17).
Les données fournies par le Nouveau Testament permettent de constater quelques traits caractéristiques et d'esquisser une description phénoménologique de l'Eglise telle qu'elle se révèle dans ses premières années. D'une part, il y a des communautés locales et des groupes divers; d'autre part, on parle de l'Eglise de Dieu et du Christ comme d'une réalité universelle.
On constate l'existence d'Eglises à Jérusalem, à Antioche, à Corinthe, à Rome, dans les régions de Judée, de Galatie, de Macédoine. Aucune ne prétend être à elle seule toute l'Eglise de Dieu, mais celle-ci est réellement présente en chacune d'elles. Des relations s'établissent entre les Eglises: entre Jérusalem et Antioche, entre Eglises fondées par Paul et Jérusalem où elles envoient le produit d'une collecte, entre les Eglises auxquelles la I lettre de Pierre est adressée, et entre celles auxquelles s'adresse l'Apocalypse. Paul écrit qu'il porte le souci de toutes les Eglises (2 Co 11,28) et l'autorité apostolique est reconnue partout dans l'Eglise. 1. Dans les phénomènes ainsi décrits, visée universelle et réalisations diverses, les Ecritures révèlent des dynamismes. La puissance d'universelle unité est celle de Dieu. Bien que Ep 4,4-6 ne mentionne pas «une seule Eglise», ce texte dit à la fois la source de l'unité et les moyens d'action: «Il n'y a qu'un Corps et qu'un Esprit, comme il n'y a qu'une espérance au terme de l'appel que vous avez reçu; un seul Seigneur, une seule foi, une seul baptême, un seul Dieu et Père de tous, qui est au dessus de tous, par tous et en tous». «Un seul Seigneur», le Christ, qui rassemble en Lui hommes et femmes quels qu'ils soient. Tous se découvrent unis en lui, libérés de leurs propres limites. «Une seule foi», qui est le principe et la richesse de la vie nouvelle dans l'Esprit, et la porte d'accès à un monde nouveau où tous peuvent voir le Père en son Fils (cf. Jn 14,9) et se recevoir mutuellement comme frères et soeurs. «Un seul baptême», qui est la liturgie d'initiation où, par le rite, est scellée l'adhésion au Christ Seigneur et à son Eglise. «Une seule espérance», «qui ne déçoit pas» (Rm 5,5) ceux qui s'acheminent pour «être toujours avec le Seigneur» (1 Th 4,17). «Un seul corps», parce que tous participent à un pain unique (1 Co 10,17). «Un seul Esprit», agissant dans la diversité de dons spirituels, de ministères et d'opérations en vue du bien commun (cf. 1 Co 12,4-7). «Un seul Dieu et Père de tous», qui «dans le Christ s'est réconcilié le monde» (2 Co 5,19), «de qui tout vient et vers qui nous allons» (1 Co 8,6). 2. Cette puissance divine et cette expérience de l'unité sont vécues par des hommes divers, porteurs de forces diverses et parfois antagonistes. Les dynamismes de ce monde sont nombreux, les charismes des Eglises sont variés, l'action des saints s'exerce selon leur propre personnalité. Les ministères sont divers: apôtres et prophètes, épiscopes et presbytres, diacres, didascales, pasteurs... Leurs désignations varient selon les lieux et certains peuvent être confiés à des personnes de l'un ou l'autre sexe. Du fait de ces diversités la foi unique reçoit des expressions doctrinales et théologiques, des réalisations culturelles et sociales, où peuvent à la fois s'épanouir et se purifier la diversité des pensées et des traditions de l'humanité, et s'exercer les inventions de l'agapè. Grâce à cet amour diffusé dans les coeurs par l'Esprit (Rm 5,5), grâce à la fraction du pain (1 Co 10,16-17), grâce au témoignage des Douze, dont Pierre, «premier» (Mt 10,2), est chargé par Jésus de paître ses brebis (Jn 21,16-17), grâce à la prédication de Paul, continuée par ses collaborateurs, par Tite et Timothée, grâce au message des quatre évangiles, l'unité de l'Eglise du Christ se réalise à travers toutes les diversités. Elle est la réconciliation des peuples divisés par la haine (Ep 2,14-16). Par la miséricorde de Dieu, par l'action du Christ ressuscité et par la puissance de l'Esprit, l'unité de l'Eglise peut surmonter des divisions en apparence insurmontables. En elle, les diversités légitimes trouvent une merveilleuse fécondité. Rome, 11 avril 1988
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