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MESSAGE DU PAPE FRANÇOIS 
AUX PARTICIPANTS AU 4ème 
CONGRÈS INTERNATIONAL DE LA 
PLATEFORME UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SUR L'ISLAM

 

Chers frères et sœurs !

Je vous adresse mes cordiales salutations, à vous qui participez à Abou Dhabi à ce Congrès international de PLURIEL, la Plateforme Universitaire de Recherche sur l’Islam, à l’occasion des cinq ans du Document sur la fraternité humaine pour la paix mondiale et la coexistence commune que j’ai cosigné avec mon ami et frère, le Grand Imam d’Al-Azhar, Ahmad al-Tayyeb. Lors de cet événement, nous demandions à ce que « ce Document devienne objet de recherche et de réflexion dans toutes les écoles, dans les universités et dans les instituts d’éducation et de formation, afin de contribuer à créer de nouvelles générations qui portent le bien et la paix et défendent partout le droit des opprimés et des derniers. » Je félicite donc vivement les organisateurs de cette rencontre académique pour le lieu et le thème qu’ils ont choisis, « Impact et perspectives du Document », à l’heure où la fraternité et le vivre ensemble sont remis en question par les injustices et les guerres qui - je le rappelle - sont toujours des défaites de l’humanité. Les racines de ces maux sont trois : la méconnaissance de l’autre, l’absence d’écoute et le manque de flexibilité intellectuelle. Trois failles de l’esprit humain qui détruisent la fraternité et qu’il convient de bien identifier pour retrouver la sagesse et la paix.

La méconnaissance de l’autre d’abord. Car les problèmes d’aujourd’hui et de demain resteront insolubles si nous n’apprenons pas à nous connaître, à nous estimer, et si nous restons isolés. Connaître l’autre, construire une confiance mutuelle, changer l’image négative que nous pouvons avoir sur cet « autre », qui est mon frère en humanité, dans les publications, les discours et l’enseignement, est le moyen d’initier des processus de paix acceptables par tous. La paix sans une éducation basée sur le respect et la connaissance de l’autre n’a en effet ni valeur ni avenir. Si nous ne voulons pas construire une civilisation de l’anti-frère, où « l’autre différent » est trivialement perçu comme un ennemi, si nous voulons bâtir au contraire ce monde tant désiré où le dialogue est assumé comme chemin, la collaboration commune comme conduite ordinaire, la connaissance réciproque comme méthode et critère (cf. Document), alors la voie à suivre aujourd’hui est celle de l’éducation au dialogue et à la rencontre. Comme je le disais dans mon dernier Message à l’occasion de la Journée Mondiale de la Paix consacrée à l’intelligence artificielle, « la paix, en effet, est le fruit de relations qui reconnaissent et qui accueillent l’autre dans sa dignité inaliénable » (Message pour la 57ème Journée Mondiale de la Paix 2024, 8 décembre 2023). L’intelligence humaine, quant à elle, est fondamentalement relationnelle : elle ne peut s’épanouir que si elle demeure curieuse et ouverte à tous les champs du réel, et si elle sait communiquer librement le fruit de ses découvertes.

Pour cela, il est nécessaire de prendre le temps d’écouter, écouter mon frère différent, que je n’ai pas choisi, pour pouvoir vivre avec lui sur la même terre. L’absence d’écoute est le deuxième piège qui nuit à la fraternité. Au contraire : écouter, avant de parler. « Chacun devrait être toujours prêt à écouter, lent à parler, lent à se mettre en colère, car la colère de l’homme n’accomplit pas ce que Dieu attend du juste », dit saint Jacques (Jc 1, 19-20). Combien de maux seraient évités s’il y avait davantage d’écoute, de silence et de vraies paroles tout à la fois, dans les familles, les communautés politiques ou religieuses, au sein même des universités et entre les peuples et les cultures ! Le fait de créer des espaces d’accueil de l’opinion différente n’est pas une perte de temps, mais un gain en humanité. Rappelons-nous que « sans relation et sans contraste avec celui qui est différent, il est difficile de se comprendre de façon claire et complète soi-même ainsi que son propre pays, puisque les autres cultures ne sont pas des ennemis contre lesquels il faudrait se protéger, mais des reflets divers de la richesse inépuisable de la vie humaine » (Fratelli tutti, n. 147). Pour débattre, il faut apprendre à écouter, c’est-à-dire à faire silence et ralentir, à l’opposé de la direction actuelle de notre monde post-moderne toujours agité, rempli d’images et de bruits. Débattre tout en sachant écouter et sans céder à l’émotionnel, sans craindre non plus les « malentendus », qui seront toujours présents et font partie du jeu de la rencontre, voilà ce qui permettra de parvenir à une vision commune pacifique pour bâtir la fraternité.

Mais débattre présuppose une éducation à la flexibilité intellectuelle. La formation et la recherche doivent viser à rendre les hommes et les femmes de nos peuples non pas rigides mais souples, vivants, ouverts à l’altérité, fraternels. Comme je le disais lors de la Conférence internationale pour la paix organisée à Al-Azhar, au Caire, en 2017, « la sagesse recherche l’autre, en surmontant la tentation de se raidir et de s’enfermer ; ouverte et en mouvement, humble et en recherche à la fois, elle sait valoriser le passé et le mettre en dialogue avec le présent, sans renoncer à une herméneutique appropriée » (Discours aux participants à la Conférence internationale pour la paix, 28 avril 2017). Chers frères et sœurs, faisons en sorte que notre rêve de fraternité dans la paix ne se cantonne pas aux mots ! Le mot « dialogue » est, en effet, d’une très grande richesse et ne peut se borner à discuter autour d’une table. « Se rapprocher, s’exprimer, s’écouter, se regarder, se connaître, essayer de se comprendre, chercher des points de contact, tout cela se résume dans le verbe “dialoguer” » (Fratelli tutti, n. 198). Ne craignez pas de sortir de vos disciplines, restez curieux, cultivez la souplesse, écoutez le monde, n’ayez pas peur de ce monde, écoutez votre frère que vous n’avez pas choisi mais que Dieu a mis à côté de vous pour vous apprendre à aimer. « En effet, celui qui n’aime pas son frère, qu’il voit, est incapable d’aimer Dieu, qu’il ne voit pas » (1 Jn 4, 20).

Merci pour ce que vous faites déjà, comme chercheurs, étudiants, hommes et femmes curieux qui désirez comprendre et changer le monde. Je vous encourage dans le travail que vous allez entreprendre lors de ce Congrès et j’invoque la bénédiction de Dieu sur vous tous ainsi que sur vos familles.

Du Vatican, le 4 février 2024

FRANÇOIS



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