DISCOURS DU PAPE FRANÇOIS
AUX RELIGIEUX DE ROME
Salle Paul VI
Samedi 16 mai 2015
La première question a été posée par sœur Fulvia, augustine du monastère des Quatre Saints Couronnés: «Les monastères vivent un équilibre délicat entre vie cachée et visibilité, clôture et participation à la vie diocésaine, le silence priant et la parole qui annonce. De quelle manière un monastère en ville peut-il enrichir, et se laisser enrichir par la vie spirituelle du diocèse et par les autres formes de vie consacrée, tout en restant ferme dans ses prérogatives monastiques?
Pape François - Vous parlez d’un «équilibre délicat» entre vie cachée et visibilité. Je dirais même plus: une tension entre vie cachée et visibilité. La vocation monastique est cette tension, une tension dans le sens vital du terme, une tension de fidélité. L’équilibre peut être entendu comme «créons l’équilibre, un peu par ici, un peu par là...». En revanche, la tension est l’appel de Dieu vers la vie cachée et l’appel de Dieu à se rendre visible d’une certaine manière. Mais comment doit être cette visibilité et comment doit être cette vie cachée? C’est cette tension que vous vivez dans votre âme. C’est cela, votre vocation: vous êtes des femmes «en tension»: en tension entre cette attitude de rechercher le Seigneur et de se cacher dans le Seigneur, et cet appel à donner un signe. Les murs du monastère ne sont pas suffisants pour donner ce signe. J’ai reçu une lettre, il y a six ou sept mois, d’une sœur de clôture qui avait commencé à travailler avec les pauvres, à la porterie; puis elle est sortie travailler dehors avec les pauvres; et ensuite, elle a continué de plus en plus, et à la fin, elle a dit: «Ma clôture, c’est le monde». Je lui ai répondu: «Dis-moi, chère sœur, tu as une grille mobile?» C’est une erreur.
Une autre erreur consiste à ne rien vouloir entendre, ne rien vouloir voir. «Père, les nouvelles peuvent- elles entrer au monastère?» Elles le doivent! Mais pas les nouvelles — disons — des médias «de commérages»; les nouvelles de ce qui se passe dans le monde, les nouvelles — par exemple — des guerres, des maladies, de tout ce qui fait souffrir les gens. C’est pourquoi, l’une des choses que vous ne devez jamais, jamais abandonner, c’est un peu de temps pour écouter les gens! Même pendant les heures de contemplation, de silence... Certains monastères ont un répondeur téléphonique et les gens appellent, demandent une prière pour telle ou telle personne: ce lien avec le monde est important! Dans certains monastères, on regarde le journal télévisé; je ne sais pas, c’est un discernement de chaque monastère, selon la règle. Dans un autre, on reçoit le journal, on lit; dans d’autres, on fait ce lien d’une autre manière. Mais le lien avec le monde est toujours important: savoir ce qui se passe. Parce que votre vocation n’est pas un refuge; c’est d’aller précisément sur le champ de bataille, c’est une lutte, c’est de frapper au cœur du Seigneur pour cette ville. C’est comme Moïse qui levait les bras en l’air, en priant, tandis que le peuple combattait (cf. Ex 17, 8-13).
De nombreuses grâces proviennent du Seigneur dans cette tension entre la vie cachée, la prière et l’écoute des nouvelles qui proviennent des personnes. En cela, la prudence, le discernement, vous feront comprendre combien de temps doit être consacré à une chose et combien de temps à une autre. Il y a aussi des monastères qui s’occupent une demi-heure par jour, une heure par jour, de donner à manger à ceux qui viennent le demander; et cela n’est pas contre la vie cachée en Dieu. C’est un service; c’est un sourire. Le sourire des moniales ouvre le cœur! Le sourire des moniales rassasie ceux qui viennent plus que le pain! Cette semaine, c’est à toi de donner à manger pendant une demi-heure aux pauvres qui demandent même un sandwich. Une fois l’un, une fois l’autre: cette semaine, c’est à toi de sourire à ceux qui ont besoin! N’oubliez pas cela. Si une sœur ne sait pas sourire, il lui manque quelque chose.
Dans le monastère, il y a des problèmes, des luttes — comme dans toutes les familles — des petites luttes, quelques jalousies, ceci ou cela... Et cela nous fait comprendre combien les gens souffrent en famille, les luttes dans les familles; quand le mari et la femme se disputent et quand il y a des jalousies; quand les familles se séparent... Lorsque vous aussi devez affronter ce type d’épreuve — il y a toujours ce genre de choses — sentir que ce n’est pas la voie et offrir au Seigneur, en cherchant un chemin de paix, au sein même du monastère, pour que le Seigneur fasse régner la paix dans les familles, entre les gens.
«Mais, dites-moi, Père, nous lisons souvent que dans le monde, dans la ville, il y a de la corruption; est-ce que dans les monastères aussi, il peut y avoir aussi de la corruption?» Oui, quand on perd la mémoire. Quand on perd la mémoire! La mémoire de sa vocation, de la première rencontre avec Dieu, du charisme qui a fondé le monastère. Quand on perd cette mémoire et que l’âme commence à être mondaine, à penser à des choses mondaines et que l’on perd le zèle de la prière d’intercession pour les gens. Tu as dit quelque chose de beau, beau, beau: «Le monastère est présent dans la ville, Dieu est dans la ville et nous entendons les bruits de la ville». Ces bruits, qui sont des bruits de vie, des bruits des problèmes, des bruits de nombreuses personnes qui vont travailler, qui rentrent du travail, qui pensent ces choses, qui aiment...; tous ces bruits doivent vous pousser à lutter avec Dieu, avec ce courage qu’avait Moïse. Souviens-toi quand Moïse était triste parce que le peuple faisait fausse route. Le Seigneur a perdu patience et a dit à Moïse: «Je vais détruire ce peuple! Mais toi, sois tranquille, je te mettrai à la tête d’un autre peuple». Qu’a dit Moïse? Qu’a-t-il dit? «Non! Si tu détruis ce peuple, tu me détruis aussi!» (cf. Ex 32, 9-14). Ce lien avec ton peuple est la ville. Dire au Seigneur: «C’est ma ville, c’est mon peuple. Ce sont mes frères et mes sœurs!» Cela veut dire donner sa vie pour le peuple. Cet équilibre délicat, cette tension délicate signifie tout cela.
Je ne sais pas comment vous faites, vous les Augustines des Quatre Saints: est-il possible de recevoir des personnes au parloir...? Combien de grilles avez-vous? Quatre ou cinq? Ou il n’y a plus de grille... Il est vrai que l’on peut glisser dans des imprudences, donner beaucoup de temps pour parler — sainte Thérèse dit beaucoup de choses à ce sujet — mais voir votre joie, voir la promesse de la prière, de l’intercession, cela fait beaucoup de bien aux gens! Et vous, après une petite demi-heure de conversation, vous retournez au Seigneur. Cela est très important, très important! Parce que la clôture a toujours besoin de ce lien humain. C’est très important.
La question finale est: comment un monastère peut-il enrichir et se laisser enrichir par la vie spirituelle du diocèse et par les autres formes de vie consacrée, en demeurant fidèle à ses prérogatives monastiques? Oui, le diocèse: prier pour l’évêque, pour les évêques auxiliaires et pour les prêtres. Il y a de bons confesseurs partout! Quelques-uns ne sont pas très bons... Mais il y en a de bons! Je connais des prêtres qui vont dans les monastères écouter ce que dit une religieuse, et vous faites beaucoup de bien aux prêtres. Priez pour les prêtres. Dans cet équilibre délicat, dans cette tension délicate, il y a aussi la prière pour les prêtres. Pensez à sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus... Prier pour les prêtres, mais aussi écouter les prêtres, les écouter quand ils viennent, pendant ces minutes au parloir. Ecouter. Je connais beaucoup, beaucoup de prêtres qui — permettez-moi l’expression — vident leur sac quand ils parlent à une religieuse cloîtrée. Et puis le sourire, le petit mot et l’assurance de la prière de la sœur les renouvellent et ils retournent heureux dans leur paroisse. Je ne sais pas si j’ai répondu...
La deuxième question a été posée par Iwona Langa, de l’Ordo virginum, maison d’accueil Ain Karim: «Le mariage et la virginité chrétienne sont deux modes de réalisation de la vocation à l’amour. Fidélité, persévérance, unité du cœur, sont des engagements et des défis pour les époux chrétiens comme pour nous, personnes consacrées: comment éclairer le chemin les uns des autres, les uns pour les autres, et cheminer ensemble vers le Royaume?».
Si la première sœur, sœur Fulvia Sieni, était — disons — «en prison», cette autre sœur est... «sur la route». Toutes deux apportent la parole de Dieu à la ville. Vous avez posé une belle question: «L’amour dans le mariage et l’amour dans la vie consacrée représentent-ils le même amour?» A-t-il ces qualités de persévérance, de fidélité, d’unité, de cœur? Y a-t-il des engagements et des défis? C’est pour cela que les personnes consacrées se disent «épouses du Seigneur». Elles épousent le Seigneur. J’avais un oncle dont la fille est devenue religieuse et il disait: «Maintenant, je suis le beau-père du Seigneur! Ma fille a épousé le Seigneur!». Dans la consécration féminine, il y a une dimension sponsale. Dans la consécration masculine aussi: on dit de l’évêque qu’il est l’«époux de l’Eglise», parce qu’il est à la place de Jésus, l’époux de l’Eglise. Mais cette dimension féminine — je m’éloigne un peu de la question, pour y revenir — chez les femmes est très importante. Les sœurs sont l’icône de l’Eglise et de la Vierge Marie. N’oubliez pas que l’Eglise est au féminin. Ce n’est pas le Eglise, mais la Eglise. Et c’est pour cela que l’Eglise est l’épouse de Jésus. Nous oublions bien souvent cela; et nous oublions cet amour maternel de la sœur, parce que l’amour de l’Eglise est maternel; cet amour maternel de la sœur, parce que l’amour de la Vierge Marie est maternel. La fidélité, l’expression de l’amour de la femme consacrée, «doit» — mais pas comme un devoir, mais par connaturalité — refléter la fidélité, l’amour, la tendresse de la Mère l’Eglise et de notre mère, Marie. Une femme qui ne prend pas cette voie pour se consacrer, finit par se tromper. La maternité de la femme consacrée! Penser beaucoup à cela. La manière dont Marie est maternelle et la manière dont l’Eglise est maternelle.
Et tu demandais: comment illuminer la route les uns des autres, les uns pour les autres, et cheminer vers le Royaume? L’amour de Marie et l’amour de l’Eglise sont un amour concret! La dimension concrète est la qualité de cette maternité des femmes, des sœurs. Amour concret. Quand une sœur commence avec les idées, trop d’idées, trop d’idées... Mais que faisait sainte Thérèse? Quel conseil donnait sainte Thérèse, la grande, à sa supérieure? «Donne-lui un bifteck et nous en parlons après!» La faire redescendre dans la réalité. Le concret. Et le concret de l’amour est très difficile. C’est très difficile! Et qui plus est, quand on vit en communauté, parce que nous connaissons tous les problèmes de la communauté: les jalousies, les commérages; que cette supérieure est comme ceci, que l’autre est comme cela... Ces choses-là sont concrètes, mais pas bonnes! Le concret de la bonté, de l’amour, qui pardonne tout! Si on doit dire une vérité, on la dit en face, mais avec amour; prie avant de faire un reproche et puis demande au Seigneur que cela avance avec la correction. C’est l’amour concret! Une sœur ne peut pas se permettre un amour dans les nuages; non, l’amour est concret.
Et à quoi ressemble la dimension concrète de la femme consacrée? A quoi ressemble-elle? Tu peux la trouver dans deux passages de l’Evangile. Dans les Béatitudes: elles te disent ce que tu dois faire. Jésus, le programme de Jésus, est concret. Bien souvent, je pense que les Béatitudes sont la première encyclique de l’Eglise. C’est vrai, parce que tout le programme est là. Et puis la dimension concrète, tu la trouves dans le protocole sur lequel nous serons tous jugés: Matthieu 25. La dimension concrète de la femme consacrée se trouve là. Avec ces deux passages, tu peux vivre toute la vie consacrée; avec ces deux règles, avec ces deux choses concrètes, en faisant ces choses concrètes. Et en faisant ces choses concrètes, tu peux aussi arriver à un degré, à une hauteur de sainteté et de prière très grands. Mais il faut être concret: l’amour est concret! Et votre amour de femmes est un amour maternel concret. Une maman ne dit jamais de mal de ses enfants. Mais si tu es une sœur, au couvent ou dans une communauté de laïcs, tu as cette consécration maternelle et il ne t’est pas permis de dire du mal des autres sœurs! Non! Toujours les excuser, toujours! Je trouve beau ce passage de l’autobiographie de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, où elle trouvait cette sœur qui la détestait. Que faisait- elle? Elle souriait et elle avançait. Un sourire d’amour. Et que faisait-elle quand elle devait accompagner cette sœur qui était toujours mécontente, parce qu’elle boitait des deux jambes et que, la pauvre, elle était malade: que faisait-elle? Elle faisait de son mieux! Elle la portait bien et elle coupait aussi son pain, elle faisait pour elle quelque chose en plus. Mais jamais de critique par derrière! Cela détruit la maternité. Une maman qui critique, qui dit du mal de ses enfants n’est pas une mère! Je crois qu’on dit «marâtre» en italien... ce n’est pas une mère. Je te dirai ceci: l’amour — et tu vois qu’il est aussi conjugal, c’est la même figure, la figure de la maternité de l’Eglise — c’est le concret. Le concret. Je vous recommande de faire cet exercice: lire souvent les Béatitudes, et lire souvent Matthieu 25, le protocole du Jugement. Cela fait beaucoup de bien pour le concret de l’Evangile. Je ne sais pas, nous arrêtons ici?
La troisième question a été posée par le père Gaetano Saracino, missionnaire scalabrinien, curé de la paroisse du Très Saint Rédempteur: «Comment mettre en commun et faire fructifier les dons dont sont porteurs les différents charismes dans cette Eglise locale si riche en talents? Parfois, la communication des différents parcours est à elle seule difficile, nous sommes incapables de réunir nos forces, entre congrégations, paroisses, autres organismes pastoraux, associations et mouvements de laïcs; c’est presque comme s’il y avait une concurrence au lieu d’un service partagé. Et puis parfois, nous, consacrés, nous avons l’impression d’être des «bouche-trous». Comment «cheminer ensemble»?
J’ai été dans cette paroisse et je sais ce que fait ce prêtre révolutionnaire: il fait du bon travail! Du bon travail! Tu as commencé en parlant de la fête. C’est une des choses que nous, chrétiens, nous oublions: la fête. Mais la fête est une catégorie théologique, on en parle aussi dans la Bible. Quand vous rentrerez chez vous, prenez Deutéronome 26. Là, Moïse, au nom du Seigneur, dit ce que doivent faire les paysans chaque année: apporter les premiers fruits de la récolte au temple. Il dit cela: «Tu vas au temple, apporte la corbeille avec les premiers fruits pour les offrir au Seigneur en remerciement». Et ensuite? Tout d’abord, fais mémoire. Et il lui fait réciter un petit credo: «Mon père était un Araméen errant, Dieu l’a appelé; nous avons été esclaves en Egypte, mais le Seigneur nous a libérés et nous a donné cette terre…» (cf. Dt 26,5-9). Tout d’abord, la mémoire. Deuxièmement, donne la corbeille à celui qui en est chargé. Troisièmement, rend grâce au Seigneur. Et quatrièmement, rentre chez toi et fais la fête. Fais une fête et invite ceux qui n’ont pas de famille, invite les esclaves, ceux qui ne sont pas libres, invite aussi ton voisin à la fête… La fête est une catégorie théologique de la vie. Et on ne peut pas vivre la vie consacrée sans cette dimension festive. On fait la fête. Mais faire la fête, ce n’est pas la même chose que faire du vacarme, du bruit… Faire la fête c’est ce qu’il y a dans ce passage que j’ai cité. Souvenez-vous: Deutéronome 26. A la fin, il y a une prière: c’est la joie de se souvenir de tout ce que le Seigneur a fait pour nous; tout ce qu’il m’a donné; y compris ce fruit pour lequel j’ai travaillé et je fais la fête. Dans les communautés, et aussi dans les paroisses comme dans ton cas, là où l’on ne fait pas de fête — quand il arrive qu’on en fasse une — il manque quelque chose! Elles sont trop rigides: «La discipline nous fera du bien». Tout ordonné: les enfants font leur communion, très belle, on enseigne un beau catéchisme… Mais il manque quelque chose: il manque le vacarme, il manque le bruit, il manque la fête! Il manque le cœur festif d’une communauté. La fête. Certains écrivains spirituels disent que l’Eucharistie aussi, la célébration de l’Eucharistie est une fête: oui, elle a une dimension festive dans la commémoration de la mort et de la résurrection du Seigneur. Je ne voulais pas laisser cela de côté, parce que si ce n’était pas vraiment dans ta question, c’était dans ta réflexion intérieure. Et puis tu parles de la concurrence entre telle paroisse et telle autre, telle congrégation et telle autre… Une des choses les plus difficiles pour un évêque, c’est de faire régner l’harmonie dans son diocèse! Et tu dis: «Mais pour l’évêque, les religieux sont-ils des bouche-trous?» Quelquefois, c’est possible… Mais je te pose une autre question: Quand on te fera évêque, par exemple — mets-toi à la place de l’évêque — tu as une paroisse, avec un bon curé qui est un religieux; trois ans après, le provincial vient te dire: «Celui-ci, je le change et je t’en envoie un autre». Les évêques aussi souffrent de cette attitude. Bien souvent — pas toujours, parce qu’il y a des religieux qui entrent en dialogue avec l’évêque — nous devons comprendre. «Nous avons eu un chapitre et le chapitre a décidé cela…». Il y a beaucoup de religieuses et de religieux qui passent leur vie, si ce n’est pas dans des chapitres, dans des versets… Mais ils la passent toujours comme cela! Je prends la liberté de parler comme cela parce que je suis évêque et je suis religieux. Et je comprends les deux parties, et je comprends les problèmes. C’est vrai: l’unité entre les différents charismes, l’unité du presbyterium, l’unité avec l’évêque… n’est pas facile à trouver: chacun œuvre dans son intérêt, je ne dis pas toujours, mais il y a cette tendance, elle est humaine… Et il y a un peu de péché derrière, mais c’est comme cela. C’est pourquoi l’Eglise, en ce moment, pense à offrir un vieux document, à le remettre en vigueur, sur les relations entre le religieux et l’évêque. Le synode de 1994 avait demandé de le réviser Mutuae relationes (14 mai 1978). Beaucoup d’années ont passé et cela n’a pas été fait. La relation des religieux avec l’évêque, avec le diocèse et avec les prêtres non-religieux n’est pas facile. Mais il faut s’engager pour le travail commun. Dans les préfectures, comment travaille-t-on sur le plan pastoral dans ce quartier, tous ensemble? C’est ainsi qu’on fait l’Eglise. L’évêque ne doit pas utiliser les religieux comme bouche-trous, mais les religieux ne doivent pas utiliser l’évêque comme s’il était le patron d’une entreprise qui donne un travail. Je ne sais pas… Mais la fête, je veux retourner à la chose principale: quand une communauté ne suit pas des intérêts propres, il y a toujours un esprit de fête. J’ai vu ta paroisse et c’est vrai. Tu sais faire cela! Merci.
La quatrième question a effet été posée par le père Gaetano Greco, tertiaire capucin de l’Addolorata, aumônier de la prison pour mineurs de Casal del Marmo: «La vie consacrée est un don de Dieu à l’Eglise, un don de Dieu à son peuple. Mais ce don n’est pas toujours apprécié et valorisé dans son identité et dans sa spécificité. Souvent, dans notre Eglise locale, les communautés, surtout féminines, ont des difficultés à trouver des accompagnateurs et des accompagnatrices, des formateurs, des directeurs spirituels, des confesseurs sérieux. Comment redécouvrir cette richesse? La vie consacrée, à 80%, a un visage féminin. Comment est-il possible de valoriser la présence de la femme et en particulier de la femme consacrée dans l’Eglise?
Dans sa réflexion, pendant qu’il racontait son histoire, le père Gaetano a parlé de ce «remplacement de 2 ou 3 semaines» qu’il devait faire à la prison pour mineurs. Il y est depuis 45 ans, je crois. Il l’a fait par obéissance. «Ta place est là», lui a dit son supérieur. Et il lui a obéi à contre-cœur. Puis il a vu que cet acte d’obéissance, ce que lui avait demandé son supérieur, était la volonté de Dieu. Je me permets, avant de répondre à la question, de dire un mot sur l’obéissance. Quand Paul veut nous parler du mystère de Jésus Christ, il emploie cette parole; quand il veut dire comment a été la fécondité de Jésus Christ, il emploie cette parole: «Il s’est fait obéissant jusqu’à la mort et la mort sur une croix» (cf. Ph 2,8). Il s’est abaissé. Il a obéi. Le mystère du Christ est un mystère d’obéissance, et l’obéissance est féconde. C’est vrai que, comme toutes les vertus, comme tous les lieux théologiques, il peut y avoir la tentation d’en faire une attitude disciplinaire. Mais l’obéissance dans la vie consacrée est un mystère. Et de même que j’ai dit que la femme consacrée est l’image de Marie et de l’Eglise, nous pouvons dire que l’obéissance est l’image du chemin que Jésus a emprunté. Et on en voit les fruits. Et je remercie le père Gaetano pour son témoignage sur ce point, parce qu’on dit beaucoup de choses sur l’obéissance — le dialogue préalable, oui, toutes ces choses sont bonnes, elles ne sont pas mauvaises — mais qu’est-ce que l’obéissance ? Reprenez la lettre de Paul aux Philippiens, chapitre 2: c’est le mystère de Jésus. C’est seulement là que nous pouvons comprendre l’obéissance. Pas dans les chapitres généraux ou provinciaux: là, on pourra approfondir, mais pour la comprendre, c’est seulement dans le mystère de Jésus.
Passons maintenant à la question suivante: la vie consacrée est un don, un don de Dieu à l’Eglise. C’est vrai. C’est un don de Dieu. Vous parlez de la prophétie: c’est un don de prophétie. C’est Dieu présent, Dieu qui veut se rendre présent par un cadeau: il choisit des hommes et des femmes, mais c’est un don, un don gratuit. La vocation aussi est un don, ce n’est pas un enrôlement de personnes qui veulent emprunter cette route. Non, c’est le don fait au cœur d’une personne; le don fait à une congrégation; et cette congrégation est aussi un don. Mais ce don n’est pas toujours apprécié et valorisé dans son identité et dans sa spécificité. C’est vrai. Il y a la tentation d’homologuer les personnes consacrées, comme si elles étaient toutes la même chose. Au Concile Vatican ii, il y avait eu une proposition de ce genre, d’homologuer les personnes consacrées. Non, c’est un don avec une identité particulière, qui vient à travers le don charismatique que Dieu fait à un homme ou à une femme pour former une famille religieuse.
Et puis un problème: le problème de savoir comment accompagner les religieux. Souvent, dans notre Eglise locale, les communautés, en particulier féminines, ont des difficultés à trouver des accompagnateurs et accompagnatrices, des formateurs, des pères spirituels et des confesseurs sérieux. Soit parce qu’ils ne comprennent pas ce qu’est la vie consacrée, soit parce qu’ils veulent se mettre dans le charisme et donner des interprétations qui font du mal au cœur de la sœur… Nous parlons des sœurs qui ont des difficultés, mais les hommes aussi en ont. Et ce n’est pas facile d’accompagner. Il n’est pas facile de trouver un confesseur, un père spirituel. Il n’est pas facile de trouver un homme avec une rectitude d’intention; et que cette direction spirituelle, cette confession ne soit pas une belle conversation entre amis mais sans profondeur; ou alors on risque de trouver ceux qui sont rigides, qui ne comprennent pas bien où est le problème, parce qu’ils ne comprennent pas la vie religieuse… Dans l’autre diocèse où j’étais, je conseillais toujours aux sœurs qui venaient me demander conseil: «Dis-moi, dans ta communauté ou dans ta congrégation, n’y a-t-il pas une sœur sage, une sœur qui vit bien le charisme, une sœur qui a une bonne expérience?... Poursuis ta direction spirituelle avec elle ! — Mais c’est une femme! — Mais c’est un charisme des laïcs!». La direction spirituelle n’est pas un charisme exclusif des prêtres; c’est un charisme des laïcs! Dans le monachisme primitif, les laïcs étaient les grands directeurs. En ce moment, je lis la doctrine, précisément sur l’obéissance, de saint Silouane, ce moine du Mont Athos. Il était charpentier, il exerçait le métier de charpentier, puis d’économe, mais il n’était même pas diacre; c’était un grand directeur spirituel! C’est un charisme des laïcs! Et quand les supérieurs voient qu’un homme ou une femme dans cette congrégation ou dans cette province, a un charisme de père spirituel, il faut chercher à l’aider à se former, pour faire ce service. Ce n’est pas facile. Etre directeur spirituel est une chose, être confesseur une autre. Au confesseur, je vais dire mes péchés, je sens les coups de bâton; et puis il me pardonne tout et j’avance. Mais au directeur spirituel, je dois dire ce qui se passe dans mon cœur. L’examen de conscience n’est pas le même pour la confession et pour la direction spirituelle. Pour la confession, tu dois chercher où tu as manqué, si tu as perdu patience; si tu as éprouvé de l’envie: ces choses, des choses concrètes, qui sont des péchés. Mais pour la direction spirituelle, tu dois faire un examen sur ce qui s’est passé dans ton cœur; quel mouvement de l’esprit, si j’ai eu une déception, si j’ai eu une consolation, si je suis fatigué, pourquoi je suis triste: ce sont les choses dont parler avec le directeur ou la directrice spirituelle. C’est cela. Les supérieurs ont la responsabilité de chercher qui dans la communauté, dans la congrégation, dans la province, a ce charisme, donner cette mission et les former, les aider en cela. Accompagner sur la route, c’est marcher pas à pas avec le frère ou avec la sœur consacrée. Je crois que sur ce point nous sommes encore immatures. Nous ne sommes pas mûrs sur ce point, parce que la direction spirituelle vient du discernement. Mais quand tu te trouves devant des hommes et des femmes consacrés qui ne savent pas discerner ce qui se passe dans leur cœur, qui ne savent pas discerner une décision, c’est un manque de direction spirituelle. Et cela, seul un homme sage, une femme sage peuvent le faire. Mais aussi formés! Aujourd’hui, on ne peut pas y aller seulement avec de la bonne volonté; aujourd’hui, le monde est très complexe et les sciences humaines nous aident aussi, sans tomber dans le psychologisme, mais elles nous aident à voir le chemin. Les former par la lecture des grands, des grands directeurs et directrices spirituels, surtout du monachisme. Je ne sais pas si vous avez un contact avec les œuvres du monachisme primitif: que de sagesse de direction spirituelle on y trouvait! C’est important de les former avec cela. Comment redécouvrir cette richesse? La vie consacrée a un visage féminin à 80 %: c’est vrai, il y a plus de femmes consacrées que d’hommes. Comment est-il possible de valoriser la présence de la femme, et en particulier de la femme consacrée, dans l’Eglise? Je me répète un peu dans ce que je veux dire: donner aussi à la femme consacrée cette fonction, que beaucoup pensent n’appartenir qu’aux prêtres; et aussi concrétiser le fait que la femme consacrée est le visage de l’Eglise notre Mère et de Marie notre Mère, c’est-à-dire avancer sur la maternité; et la maternité, ce n’est pas seulement faire des enfants! La maternité consiste à accompagner la croissance; la maternité consiste à passer des heures aux côtés d’un malade, d’un fils malade, d’un frère malade; c’est dépenser sa vie dans l’amour, dans cet amour de tendresse et de maternité. C’est sur ce chemin que nous trouverons davantage le rôle de la femme dans l’Eglise.
Le père Gaetano a abordé différents thèmes, c’est pour cela qu’il m’est difficile de répondre… Mais quand on me dit: «Non! Dans l’Eglise, les femmes doivent être chefs de dicastère, par exemple!». Oui, elles peuvent, dans certains dicastères elles peuvent; mais ce que tu demandes là, c’est un simple fonctionnalisme. Cela n’est pas redécouvrir le rôle de la femme dans l’Eglise. Ce rôle est plus profond et suit cette voie. Oui, qu’elles fassent ces choses, qu’elles soient promues — actuellement, à Rome, nous en avons une qui est recteur d’une université, et c’est très bien! —, mais ce n’est pas un triomphe. Non, non. C’est quelque chose de grand, c’est quelque chose de fonctionnel; mais l’essentiel du rôle de la femme — je vais le dire en termes non-théologiques — consiste à faire en sorte qu’elle exprime le génie féminin. Quand nous traitons un problème entre hommes, nous arrivons à une conclusion, mais si nous traitons le même problème avec les femmes, la conclusion sera différente. Elle ira sur la même route, mais plus riche, plus forte, plus intuitive. C’est pour cela que la femme dans l’Eglise doit avoir ce rôle; il faut expliciter, aider à expliciter de nombreuses manières le génie féminin.
Je crois qu’avec cela, j’ai répondu comme j’ai pu aux questions et à la tienne. Et à propos de génie féminin, j’ai parlé du sourire, j’ai parlé de la patience dans la vie de communauté, et je voudrais dire un mot à cette sœur de 97 ans que j’ai saluée: elle a 97 ans… Elle est là, je la vois bien. Levez la main, pour que tout le monde vous voie… J’ai échangé deux ou trois mots avec elle, elle me regardait avec des yeux limpides, elle me regardait avec ce sourire de sœur, de maman et de grand-mère. En elle, je veux rendre hommage à la persévérance dans la vie consacrée. Certains croient que la vie consacrée est le paradis sur terre. Non! Peut-être le purgatoire… Mais pas le paradis! Ce n’est pas facile d’aller de l’avant. Et quand je vois une personne qui a donné toute sa vie, je rends grâce au Seigneur. A travers vous, ma sœur, je remercie toutes et tous les consacrés. Merci beaucoup!
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