VOYAGE APOSTOLIQUE DU PAPE FRANÇOIS
EN POLOGNE
À L'OCCASION DE LA XXXIe JOURNÉE MONDIALE DE LA JEUNESSE
(27-31 JUILLET 2016)
RENCONTRE AVEC LES ÉVÊQUES POLONAIS
DISCOURS DU SAINT-PÈRE
Cathédrale de Cracovie
Mercredi 27 juillet 2016
Pape François :
Avant de commencer le dialogue, avec les questions que vous avez préparées, je voudrais accomplir une œuvre de miséricorde envers vous tous et en suggérer une autre. Je sais qu’en ces jours, avec les Journées de la Jeunesse, beaucoup d’entre vous ont été très pris et qu’ils n’ont pas pu aller aux obsèques du bien-aimé Mgr Zimowski. Enterrer les morts est une œuvre de charité, et je voudrais que tous ensemble, maintenant, nous fassions une prière pour Mgr Zygmund Zimowski et que cette prière soit une vraie manifestation de charité fraternelle, enterrer un frère qui est mort. Pater noster… Ave Maria… Gloria Patri… Requiem aeternam…
Et puis, l’autre œuvre de miséricorde que je voudrais suggérer. Je sais que vous en êtes préoccupés : notre cher cardinal Macharski qui est très malade… Au moins s’approcher, parce que je crois qu’on ne pourra pas entrer là où il se trouve, dans le coma, mais au moins s’approcher de la clinique, de l’hôpital, et toucher le mur comme pour dire : ‘‘Frère, je te suis proche’’. Visiter les malades est une autre œuvre de miséricorde. Moi aussi, j’irai. Merci !
À présent, l’un d’entre vous a préparé les questions, au moins il les fait parvenir. Je suis à [votre] disposition.
S.E. Mgr. Marek Jędraszewski :
Saint-Père, il semble que les fidèles de l’Église catholique, et en général tous les chrétiens en Europe occidentale, en viennent à se trouver toujours davantage en minorité dans le domaine d’une culture contemporaine athée-libérale. En Pologne, nous assistons à une confrontation profonde, à une lutte impressionnante entre la foi en Dieu d’une part, et d’autre part une pensée et des styles de vie tendant à faire croire que Dieu n’existait pas. A votre avis, Saint-Père, quel genre d’actions pastorales l’Église catholique devrait entreprendre dans notre pays, afin que le peuple polonais demeure fidèle à sa tradition chrétienne désormais plus que millénaire ? Merci !
Pape François :
Excellence, vous êtes l’Évêque de… ?
S.E. Mons. Marek Jędraszewski :
De Łodź, où le cheminement de sainte Faustine a commencé ; parce qu’elle entendu, là-même, l’appel du Christ à aller à Varsovie et à devenir moniale, à Łodź même. L’histoire de sa vie a commencé dans ma ville.
Pape François :
Vous êtes un privilégié !
C’est vrai, la déchristianisation, la sécularisation du monde moderne est forte. Elle est très forte. Mais certains disent : Oui, elle est forte, néanmoins on voit des phénomènes de religiosité, comme si le sens religieux se réveillait. Et cela peut être aussi un danger. Je crois que, dans ce monde si sécularisé, il y a aussi l’autre danger, [celui] de la spiritualisation gnostique : cette sécularisation nous donne la possibilité de faire croître une vie spirituelle un peu gnostique. Souvenons-nous que ce fut la première hérésie de l’Église : l’apôtre Jean fustige les gnostiques – et avec quelle force ! -, qui ont une spiritualité subjective, sans le Christ. Le plus grave problème, selon moi, de cette sécularisation est la déchristianisation : enlever le Christ, enlever le Fils. Je prie, je sens… et rien de plus. C’est le gnosticisme. Il y a une autre hérésie également à la mode, en ce moment, mais je la laisse de côté parce que votre question, Excellence, va dans cette direction. Il y a aussi un pélagianisme, mais laissons cela de côté, pour en parler à un autre moment. Trouver Dieu sans le Christ : un Dieu sans le Christ, un peuple sans Église. Pourquoi ? Parce que l’Église est la Mère, celle qui te donne la vie, et le Christ est le Frère aîné, le Fils du Père, qui renvoie au Père, qui est celui qui te révèle le nom du Père. Une Église orpheline : le gnosticisme d’aujourd’hui, puisqu’il est précisément une déchristianisation, sans le Christ, nous porte à une Église, mieux, disons, à des chrétiens, à un peuple orphelin. Et nous avons besoin de faire sentir cela à notre peuple.
Qu’est-ce que je conseillerais ? Me vient à l’esprit – mais je crois que c’est la pratique de l’Évangile, où il y a l’enseignement-même du Seigneur – la proximité. Aujourd’hui, nous, les serviteurs du Seigneur – évêques, prêtres, consacrés, laïcs convaincus -, nous devons être proches du peuple de Dieu. Sans proximité, il n’y a que parole sans chair. Pensons – j’aime penser à cela – aux deux piliers de l’Évangile. Quels sont les deux piliers de l’Évangile ? Les béatitudes, et puis Matthieu 25, le ‘‘protocole’’ selon lequel nous serons jugés. Être concret. Proximité. Toucher. Les œuvres de miséricorde, soit corporelles, soit spirituelles. ‘‘Mais vous dites ces choses parce que c’est à la mode de parler de la miséricorde cette année…’’. Non, c’est l’Évangile ! L’Évangile, œuvres de miséricorde. Il y a cet hérétique ou mécréant samaritain qui s’émeut et qui fait ce qu’il doit faire, et il y investit même de l’argent ! Toucher. Il y a Jésus qui était toujours parmi les gens ou avec le Père. Ou en prière, seul à seul avec le Père, ou parmi les gens, là, avec les disciples. Proximité. Toucher. C’est la vie de Jésus… Quand il s’est ému, aux portes de la ville de Naïm (cf. Lc 7, 11-17), il s’est ému, il est allé et a touché le cercueil, en disant : ‘‘Ne pleure pas…’’. Proximité. Et la proximité, c’est de toucher la chair souffrante du Christ. Et l’Église, la gloire de l’Église, ce sont les martyrs, certainement, mais ce sont aussi tant d’hommes et de femmes qui ont tout abandonné et qui ont passé leur vie dans les hôpitaux, dans les écoles, avec les enfants, avec les malades… Je me rappelle, en Centrafrique, une Sœur modeste, elle avait entre 83 et 84 ans, frêle, vaillante, avec un petite fille…. Elle est venue me saluer : ‘‘Je ne suis pas d’ici, je suis de l’autre côté du fleuve, du Congo, mais chaque fois, une fois par semaine, je viens ici faire les emplettes parce que c’est plus avantageux’’. Elle m’a dit son âge : entre 83 et 84 ans. ‘‘Depuis 23 ans, je suis ici : je suis infirmière obstétricienne, j’ai fait naître entre deux et trois mille enfants…’’. – ‘‘Ah… et vous venez seule ?’’ – ‘‘Oui, oui, nous prenons un canoë…’’. À 83 ans ! Elle faisait une heure de canoë et arrivait. Cette femme – tant d’autres comme elle - ont abandonné leur pays – elle est italienne, de Brescia – elles ont laissé leur pays pour toucher la chair du Christ. Si nous allons dans ces pays de mission, dans l’Amazonie, en Amérique Latine, nous trouvons dans les cimetières les tombes de nombreux hommes et femmes religieux morts jeunes de maladies de ce pays, dont ils n’avaient pas les anticorps, et ils mouraient jeunes. Les œuvres de miséricorde : toucher, enseigner, consoler, ‘‘perdre du temps’’. Perdre du temps. J’aime bien ceci : une fois, un homme est allé se confesser et il était dans une situation telle qu’il ne pouvait pas recevoir l’absolution. Il y est allé un peu craintif, parce qu’il avait parfois été renvoyé : ‘‘Non, non… va-t’en’’. Le prêtre l’a écouté, lui a expliqué la situation, lui a dit : ‘‘Mais toi, tu pries. Dieu t’aime. Je te donnerai la bénédiction, mais reviens, me le promets-tu ?’’. Et ce prêtre ‘‘perdait du temps’’ pour attirer cet homme vers les sacrements. Cela s’appelle proximité. Et en parlant de proximité aux évêques, je crois que je dois parler de la proximité la plus importante : celle avec les prêtres. L’évêque doit être disponible pour ses prêtres. Quand j’étais en Argentine, j’ai entendu de la part de prêtres… - tant, tant de fois, quand j’allais prêcher les Exercices spirituels, j’aimais prêcher les Exercices – je disais : ‘‘Parle de cela avec ton évêque…’’ – ‘‘Mais non, je l’ai appelé, la secrétaire me dit : Non, il est très, très pris, mais il te recevra dans trois mois’’. Mais ce prêtre se sent orphelin, sans père, sans la proximité, et il commence à perdre courage. Un évêque qui voit sur la liste des appels, le soir, à son retour, l’appel d’un prêtre, , il doit le rappeler immédiatement, soit ce soir-là même soit le lendemain. ‘‘Oui, je suis pris, mais est-ce urgent ?’’ – ‘‘Non, non, mais mettons-nous d’accord…’’. Que le prêtre sente qu’il a un père. Si nous privons les prêtres de paternité, nous ne pouvons pas leur demander d’être des pères. Et ainsi, le sens de la paternité de Dieu s’éloigne. L’œuvre du Fils, c’est de toucher les misères humaines : spirituelles et corporelles. La proximité. L’œuvre du Père : être père, évêque-père.
Puis, les jeunes – parce qu’on doit parler des jeunes ces jours-ci. Les jeunes sont ‘‘ennuyeux’’ ! Parce qu’ils viennent toujours dire les mêmes choses, ou bien ‘‘je suis de tel avis’’ ou bien ‘‘l’Église devrait…’’, et il faut de la patience avec les jeunes. Quand j’étais enfant, j’ai connu certains prêtres : c’est le temps où le confessionnal était plus fréquenté que maintenant, ils passaient des heures à écouter, ou bien ils recevaient dans le bureau de la paroisse, écoutant les mêmes choses… mais avec patience. Et puis, accompagner les jeunes en campagne, en montagne… Mais pensez à saint Jean-Paul II, que faisait-il avec les universitaires ? Oui, il enseignait, mais ensuite il allait avec eux en montagne ! Proximité. Il les écoutait. Il était avec les jeunes…
Et une dernière chose que je voudrais souligner, parce que je crois que le Seigneur me le demande : les grands-parents. Vous, qui avez souffert du communisme, de l’athéisme, vous le savez : ce sont les grands-parents, ce sont les grands-mères qui ont sauvé et transmis la foi. Les grands-parents ont la mémoire d’un peuple, ils ont la mémoire de la foi, la mémoire de l’Église. Ne marginalisez pas les grands-parents ! Dans cette culture de rebut, qui, justement, est déchristianisée, on écarte ce qui ne sert pas, ce qui ne va pas. Non ! Les grands-parents sont la mémoire d’un peuple, ils sont la mémoire de la foi. Et mettre en lien les jeunes avec les grands-parents : cela aussi est proximité. Être proche et créer la proximité. Je répondrais ainsi à cette question. Il n’y a pas de recette, mais nous devons descendre sur le terrain. Si nous attendons qu’il y ait un appel ou qu’on frappe à la porte… Non. Nous devons sortir chercher, comme le pasteur, qui va à la recherche des égarés. Je ne sais pas, voilà ce qui me vient à l’esprit. Simplement.
Mgr Sławoj Leszek Głódź (Archevêque de Danzica) :
Cher Pape François, avant tout nous sommes très reconnaissants que le Pape François ait approfondi l’enseignement sur la miséricorde qu’avait initié saint Jean-Paul II ici-même à Cracovie. Nous savons tous que nous vivons dans un monde dominé par l’injustice : les plus riches deviennent encore plus riches, les pauvres deviennent misérables, il y a le terrorisme, il y a une éthique et une morale libérales, sans Dieu… Et ma question est la suivante : comment appliquer l’enseignement sur la miséricorde, et surtout à qui ? Le Saint-Père a promis un médicament qui s’appelle ‘‘miséricordine’’, que j’ai sur moi : merci pour la promotion…
Pape François :
…mais maintenant arrive la ‘‘miséricordine plus’’ : elle est plus forte !
S.E. Mgr. Sławoj Leszek Głódź :
…oui, et merci pour ce ‘‘plus’’. Nous avons aussi le programme ‘‘plus’’ promu également par le gouvernement pour les familles nombreuses. Ce ‘‘plus’’ est à la mode. À qui et comment, surtout ? En premier lieu, qui devrait être objet de notre enseignement sur la miséricorde ? Merci !
Pape François :
Merci ! La miséricorde n’est pas une chose qui m’est venue à l’esprit, à moi. C’est un processus. À y voir de près, le bienheureux Paul VI avait déjà fait quelques développements sur la miséricorde. Ensuite, saint Jean-Paul II a été le géant de la miséricorde, avec l’Encyclique Dives in misericordia, la canonisation de sainte Faustine, et puis l’octave de Pâques : il est mort la veille de ce jour-là. C’est un processus, [en cours] depuis des années, dans l’Église. On voit que le Seigneur demandait de réveiller dans l’Église cette attitude de miséricorde parmi les fidèles. Il est le Miséricordieux qui pardonne tout. Je suis très touché par un chapiteau médiéval qui se trouve dans la Basilique Sainte Marie Madeleine à Vézelay, en France, où commence le Chemin de Saint Jacques. Sur ce chapiteau, d’un côté il y a Judas pendu, les yeux ouverts, la langue dehors, et de l’autre il y a le Bon Pasteur qui l’emmène avec lui. Et si nous regardons bien, attentivement, le visage du Bon Pasteur, les lèvres d’un côté sont tristes, mais de l’autre côté elles arborent un sourie. La miséricorde est un mystère, c’est un mystère. C’est le mystère de Dieu. On m’a fait une interview, dont est issu un livre intitulé : Le nom de Dieu est miséricorde, mais c’est une expression journalistique, je crois qu’on peut dire que Dieu est le Père miséricordieux. Au moins Jésus dans l’Évangile, le révèle ainsi. Il punit pour convertir. Et puis, les paraboles de la miséricorde, et la manière dont il a voulu nous sauver… Quand est venue la plénitude des temps, il a fait naître le Fils d’une femme : avec la chair, il nous sauve avec la chair ; non pas à partir de la peur, mais par la chair. Dans ce processus de l’Église, nous recevons tant de grâces !
Et vous voyez ce monde malade d’injustice, de manque d’amour, de corruption. Mais c’est vrai, c’est vrai. Aujourd’hui, dans l’avion, en parlant de ce prêtre de plus de 80 ans qui a été tué en France : depuis longtemps, je dis que le monde est en guerre, que nous vivons la troisième guerre mondiale disséminée. Pensons au Nigéria… Des idéologies, oui, mais quelle est l’idéologie d’aujourd’hui, qui est au centre et qui est la mère des corruptions, des guerres ? L’idolâtrie de l’argent. L’homme et la femme ne sont plus au sommet de la création, on y a placé l’idole argent, et tout s’achète et se vend avec de l’argent. Au centre, l’argent. On exploite les gens. Et la traite des personnes aujourd’hui ? Il en a toujours été ainsi : la cruauté ! J’ai parlé de ce sentiment à un Chef de gouvernement et il m’a dit : ‘‘Il y a toujours eu de la cruauté . Le problème, c’est que nous la regardons maintenant à la télévision, elle s’est rapprochée de notre vie’’. Mais toujours cette cruauté ! Tuer, pour de l’argent. Exploiter les gens, exploiter la création. Un Chef de gouvernement africain, récemment élu, quand il est venu en audience, m’a dit : ‘‘Le premier acte de gouvernement que j’ai posé est de reboiser le pays, qui a été désertifié et anéanti’’. Nous ne prenons pas soin de la création. Et cela signifie : davantage de pauvres, davantage de corruption. Mais que pensons-nous quand 80% - plus ou moins, cherchez bien les statistiques et si ce n’est pas 80, c’est 82 ou 78% – des richesses sont dans les mains de moins de 20% des gens. ‘‘Père, ne parlez plus ainsi ; que vous êtes communiste !’’. Non, non, ce sont des statistiques ! Et qui paie cela ? Ce sont les gens qui paient, le peuple de Dieu : les jeunes filles exploitées, les jeunes sans travail. En Italie, parmi les [jeunes] de moins de 25 ans, 40% sont sans travail ; en Espagne, 50% ; en Croatie, 47%. Pourquoi ? Parce qu’il y a une économie liquide, qui favorise la corruption. Scandalisé, un grand catholique, qui est allé chez un ami entrepreneur, me racontait : ‘‘Je te ferai voir comment je gagne vingt mille dollars sans que je bouge de la maison’’. Et avec l’ordinateur, depuis la Californie, il a fait l’acquisition de je ne sais quoi et l’a vendu à la Chine : en 20 minutes, en moins de 20 minutes, il avait gagné ces vingt mille dollars. Tout est liquide ! Et les jeunes n’ont pas la culture du travail, parce qu’ils n’ont pas de travail ! La terre est morte, parce qu’elle a été exploitée en dépit du bon sens. Et nous continuons ainsi. Le monde se réchauffe, pourquoi ? Parce que nous devons gagner. Le gain. ‘‘Nous sommes tombés dans l’idolâtrie de l’argent’’ : cela, un Ambassadeur me l’a dit quand il est venu pour les lettres de créance. C’est une idolâtrie.
La miséricorde divine est le témoignage, le témoignage de tant de gens, de tant d’hommes et de femmes, laïcs, jeunes qui font des œuvres : en Italie, par exemple, les associations. Oui, il y a des gens qui sont très rusés ; mais on fait toujours du bien, on fait de bonnes choses. Et puis, les institutions pour soigner les malades : des organisations fortes. Emprunter cette voie, faire des choses pour que la dignité humaine grandisse. Mais ce que vous dites est vrai. Nous vivons un analphabétisme religieux, au point où, dans certains sanctuaires du monde, il y a confusion : on va pour prier, il y a des boutiques où on s’achète des objets de piété, les chapelets ; mais il y a quelques-unes qui vendent des objets de superstition, parce qu’on cherche le salut dans la superstition, dans l’analphabétisme religieux, ce relativisme qui confond une chose avec une autre. Et là, il faut de la catéchèse, de la catéchèse de vie. La catéchèse qui n’est pas seulement donner les notions, mais accompagner le cheminement. Accompagner est l’une des attitudes les plus importantes ! Accompagner la croissance de la foi. C’est un grand travail et les jeunes attendent cela ! Les jeunes attendent… ‘‘Mais si je commence à parler, ils s’ennuient !’’. Mais donne-leur un travail à faire ! Dis-leur d’aller durant les vacances, quinze jours, aider à construire des logements modestes pour les pauvres, ou à faire quelque chose d’autre. Qu’ils commencent à sentir qu’ils sont utiles. Et là, vous répandez la semence de Dieu. Lentement. Mais uniquement avec les paroles, la chose ne marche pas ! L’analphabétisme religieux d’aujourd’hui, nous devons l’affronter avec les trois langages, avec les trois langues : la langue de l’esprit, la langue du cœur et la langue des mains. Toutes les trois harmonieusement.
Je ne sais pas… Je parle trop ! Ce sont des idées que je vous expose. Vous, avec prudence, vous saurez quoi faire. Mais toujours, l’Église en sortie. Une fois, j’ai osé dire : il y a ce verset de l’Apocalypse : ‘‘Je me tiens à la porte et je frappe’’ (3, 20) ; il frappe à la porte, mais je me demande que de fois le Seigneur frappe de l’intérieur, pour que nous lui ouvrions et pour qu’il puisse sortir avec nous porter l’Évangile dehors. Pas enfermés, dehors ! Sortir, sortir ! Merci!
S.E. MgrLeszek Leszkiewicz (Évêque Auxiliaire de Tarnów) :
Saint-Père, notre engagement pastoral se fonde en majeure partie sur le modèle traditionnel de la communauté paroissiale, axée sur la vie sacramentelle. Un modèle qui continue à porter du fruit. Cependant, nous nous rendons compte que, chez nous également, les conditions et les circonstances de la vie quotidienne changent rapidement et exigent de l’Église de nouvelles modalités pastorales. Pasteurs et fidèles ressemblent un peu à ces disciples qui écoutent, s’activent beaucoup, mais ne savent pas toujours faire fructifier ce dynamisme missionnaire intérieur et extérieur des communautés ecclésiales. Saint-Père, dans Evangelii gaudium, vous parlez des disciples missionnaires qui portent avec enthousiasme la Bonne Nouvelle au monde d’aujourd’hui. Que nous suggérez-vous ? En quoi nous encouragez-vous, pour que nous puissions édifier dans notre monde la communauté de l’Église de manière fructueuse, féconde, avec joie, avec dynamisme missionnaire ?
Pape François :
Merci ! Je voudrais souligner une chose : la paroisse est toujours valide ! La paroisse doit rester : c’est une structure que nous ne devons pas jeter par la fenêtre. La paroisse est vraiment la maison du Peuple de Dieu, la maison où il vit. Le problème, c’est comment j’organise la paroisse ! Il y a des paroisses avec des secrétaires paroissiales qui ont l’air d’être des ‘‘disciples de Satan’’, qui effraient les gens ! Des paroisses aux portes fermées. Mais il y a aussi des paroisses aux portes ouvertes, des paroisses où, quand quelqu’un vient pour une demande, on dit : ‘‘Oui, oui… Asseyez-vous. Quel est le problème ?’’. Et on écoute avec patience… parce que prendre soin du peuple de Dieu est difficile, c’est difficile! Un bon professeur universitaire, un jésuite, que j’ai connu à Buenos Aires, lorsqu’il est allé à la retraite, a demandé au Provincial à aller comme curé dans un quartier pour faire cette expérience. Une fois par semaine, il venait à la Faculté – il dépendait de cette communauté – et un jour il m’a dit : ‘’Dis à ton professeur d’ecclésiologie qu’il manque deux thèmes dans son traité – ‘‘Lesquels’’ – ‘‘Le premier : Le peuple saint de Dieu est fondamentalement fatigant. Et le deuxième : le peuple saint de Dieu, ontologiquement, fait ce qui lui semble mieux. Et cela fatigue’’. Aujourd’hui, être curé est fatigant : conduire une paroisse est fatigant, dans le monde d’aujourd’hui avec tant de problèmes. Et le Seigneur nous a appelés pour que nous nous fatiguions un peu, pour travailler et non pour nous reposer. La paroisse est fatigante lorsqu’elle est bien structurée. Le renouvellement de la paroisse est une des choses que les évêques doivent toujours avoir à l’œil : comment va cette paroisse ? Que fais-tu ? Comment va la catéchèse ? Comment l’enseignes-tu? Est-elle ouverte? Tant de choses… Je pense à une paroisse à Buenos Aires ; lorsque les fiancés venaient : ‘‘Nous voudrions nous marier ici…’’ – ‘‘Oui, disait la Secrétaire, voilà les prix’’. Ça, ça ne va pas, une paroisse de ce genre ne va pas. Comme accueille-t-on les personnes ? Comment les écoute-t-on ? Y a-t-il toujours quelqu’un au confessionnal ? Dans les paroisses – non pas celles qui sont dans les petits quartiers, mais dans les paroisses de centre [ville], aux abords des grandes voies – s’il y a un confessionnal avec de la lumière, les gens y vont toujours. Toujours ! Une paroisse accueillante. Nous évêques, nous devons demander ceci aux prêtres : ‘‘Comme va ta paroisse ? Et sors-tu ? Tu visites les détenus, les malades, les personnes âgées ? Et avec les enfants que fais-tu ? Comment les fais-tu jouer et comment organises-tu l’oratoire ? C’est l’une des grandes institutions paroissiales, au moins en Italie. L’oratoire : les jeunes y jouent et on leur parle, [on leur fait] un peu de catéchèse.
Ils reviennent fatigués à la maison, heureux et avec une bonne graine. La paroisse est importante ! Certains disent que la paroisse ne fonctionne plus, parce qu’on est à l’époque des mouvements. Ce n’est pas vrai ! Les mouvements aident, mais les mouvements ne doivent pas être une alternative à la paroisse : ils doivent aider dans la paroisse, promouvoir la paroisse, comme le fait la Légion de Marie, comme le fait l’Action Catholique et tant [d’autres] réalités. Chercher la nouveauté et changer la structure paroissiale ? Ce que je vous dis pourra sembler être une hérésie, mais c’est comme moi je le vis : je crois que c’est une chose analogue à la structure épiscopale, c’est différent mais analogue. On ne doit pas toucher à la paroisse : elle doit rester en tant qu’un lieu de créativité, de référence, de maternité et de toutes ces choses. Et là, mettre en œuvre cette capacité inventive ; et quand une paroisse va ainsi de l’avant, il se réalise ce que j’appelle – au sujet des disciples missionnaires – une « paroisse en sortie ». Par exemple, je pense à une paroisse – c’est un bel exemple qui ensuite a été imité par beaucoup – dans un pays où on n’avait pas l’habitude de baptiser les enfants, parce qu’il n’y avait pas d’argent ; mais pour la fête patronale on prépare la fête trois-quatre mois à l’avance, avec la visite des maisons ; et là on voit combien d’enfants ne sont pas baptisés. On prépare les familles et l’un des évènements de la fête patronale est le baptême de 30-40 enfants qui, autrement, seraient restés sans baptême. Inventer des choses de ce genre. Les gens ne se marient pas à l’église. Je pense à une réunion de prêtres ; l’un d’eux s’est levé et a dit : « Sais-tu pourquoi ? » et il a exposé beaucoup de raisons que nous partagions : la culture actuelle et ainsi de suite. Mais il y a bon nombre de personnes qui ne se marient pas parce que se marier coûte ! Ça coûte ! Ça coûte pour tout, la fête… C’est un fait social. Et ce curé, qui était très inventif, a dit : « Celui qui veut se marier, je l’attends ». Parce qu’en Argentine il y a deux mariages : on doit toujours aller à la mairie, et là on fait le mariage civil, et ensuite, si tu le veux, tu vas dans le temple de ta religion pour te marier. Certains - beaucoup – ne se marient pas parce qu’ils n’ont pas d’argent pour faire une grande fête… Mais les prêtres qui ont un peu d’idées disent : « Non ! Non ! Je t’attends ! ». Tel jour, à la mairie on marie à 11h, 12h, 13h, 14h : ce jour-là, je ne fais pas la sieste ! Après le mariage civil ils viennent à l’église, ils se marient et vont en paix. Inventer, chercher, sortir, chercher les gens, partager les difficultés des gens. Mais une paroisse-bureau, aujourd’hui, ça ne va pas ! Parce que les gens ne sont pas disciplinés. Vous avez un peuple discipliné, et c’est une grâce de Dieu ! Mais en général, les gens ne sont pas disciplinés. Je pense à mon pays : les gens, si tu ne vas pas les chercher, si tu ne t’approches pas, ils ne viennent pas. Voilà le disciple missionnaire, la paroisse en sortie. Sortir chercher, comme a fait Dieu qui a envoyé son Fils nous chercher. Je ne sais pas si c’est une réponse simpliste, mais je n’en ai pas d’autre. Je ne suis pas un théoricien éclairé de la pastorale, je dis ce qui me vient à l’esprit.
S.E. Mgr Krzysztof Zadarko (Evêque auxiliaire de Koszalin-Kolobrzeg) :
Saint-Père, l’un des problèmes les plus angoissants auquel l’Europe d’aujourd’hui est confrontée est la question des réfugiés. Comment pouvons-nous les aider, étant donné qu’ils sont si nombreux ? Et que pouvons-nous faire pour surmonter la peur d’une invasion ou d’une agression de leur part qui paralyse toute la société ?
Pape François
Merci ! Le problème des réfugiés… Les réfugiés n’ont pas toujours été ainsi. Disons que migrants et réfugiés, nous les mettons ensemble. Mon papa était un migrant. Et je racontais au Président [de la Pologne] que dans l’usine où il travaillait il y avait beaucoup de migrants polonais de l’après-guerre ; j’étais enfant et j’en ai connu beaucoup. Mon pays est un pays d’immigrés, tous… Et là, il n’y avait pas de problèmes ; c’était une autre époque, vraiment. Aujourd’hui, pourquoi y-a-t-il tant de migrations ? Je ne parle pas des migrations de sa propre patrie vers l’extérieur : ça, c’est par manque de travail. Il est clair qu’ils vont chercher du travail ailleurs. C’est un problème interne, que vous avez aussi un peu… Je parle de ceux qui viennent chez nous : ils fuient les guerres, la faim. Le problème est là. Et pourquoi le problème est-il là ? Parce qu’il y a, dans le pays concerné, une exploitation des gens, il y a une exploitation du pays, il y a une exploitation pour gagner plus d’argent. En parlant avec des économistes mondiaux, qui voient ce problème, ils disent : nous devons faire des investissements dans ces pays ; en faisant des investissements ils auront du travail et ils n’auront pas besoin de migrer. Mais il y a la guerre ! Il y a la guerre des tribus, quelques guerres idéologiques ou quelques guerres artificielles, préparées par les trafiquants d’armes qui vivent de cela : ils te donnent les armes à toi qui es contre ceux-là, et à ceux-ci qui sont contre toi. Et c’est ainsi qu’ils vivent, eux ! En réalité, c’est la corruption qui est à l’origine de la migration. Que faire ? Je crois que chaque pays doit voir comment et quand : les pays ne sont pas tous égaux, les pays n’ont pas tous les mêmes possibilités. Oui, mais ils peuvent être généreux ! Généreux en tant que chrétiens. Nous ne pouvons pas investir là-bas, mais pour ceux qui viennent… Combien et comment ? On ne peut pas donner une réponse universelle, car l’accueil dépend de la situation de chaque pays et aussi de la culture. Mais on peut certainement faire beaucoup de choses. Par exemple, la prière : une fois par semaine l’adoration devant le Saint Sacrement avec la prière pour ceux qui frappent à la porte de l’Europe et ne parviennent pas à entrer. Certains réussissent, mais d’autres, non… Par la suite, quelqu’un entre et prend un chemin qui suscite de la peur. Nous avons des pays qui ont bien su intégrer les migrants depuis des années. Ils ont bien su intégrer. Dans d’autres pays, malheureusement, se sont formés comme des ghettos. Toute une réforme doit être faite au niveau mondial, sur cet engagement, sur l’accueil. Mais c’est un aspect relatif : ce qui est indispensable, c’est le cœur ouvert pour accueillir. C’est ce qui est indispensable ! Par la prière, par l’intercession, faire ce que je peux. La manière dont je peux le faire est relative : tous ne peuvent pas le faire de la même manière. Mais le problème est mondial ! L’exploitation de la création, et l’exploitation des personnes. Nous sommes en train de vivre un moment d’anéantissement de l’homme comme image de Dieu.
Et je voudrais ici conclure sur cet aspect, car derrière cela il y a les idéologies. En Europe, en Amérique, en Amérique Latine, en Afrique, dans certains pays d’Asie, il y a de véritables colonisations idéologiques. Et l’une d’entre elles – je le dis clairement avec ‘‘nom et prénom’’ – c’est le gender ! Aujourd’hui, à l’école, aux enfants – aux enfants - on enseigne ceci : que chacun peut choisir son sexe. Et pourquoi enseigne-t-on cela ? Parce que les livres sont ceux des personnes et des institutions qui te donnent l’argent. Ce sont les colonisations idéologiques, soutenues aussi par des pays très influents. Et ça, c’est terrible ! En parlant avec le Pape Benoît - qui va bien et qui a une pensée claire -, il me disait : « Sainteté, c’est le temps du péché contre Dieu Créateur ! ». C’est intelligent ! Dieu a créé l’homme et la femme ; Dieu a créé le monde ainsi, ainsi, ainsi…, et nous sommes en train de faire le contraire. Dieu nous a donné un état « inculte », pour que nous le fassions devenir culture ; mais ensuite, par cette culture, nous faisons des choses qui nous ramènent à l’état « inculte » ! Ce qu’a dit le Pape Benoît, nous devons y penser : « C’est le temps du péché contre Dieu Créateur ! » Et cela nous aidera.
Mais toi, Christophe, tu me diras : « Quel est le rapport avec les migrants ? » Tu sais ? C’est un peu le contexte. Par rapport aux migrants je dirai : le problème est là-bas, dans leur pays. Mais comment les accueillons-nous ? Chacun doit voir comment. Mais nous pouvons tous avoir le cœur ouvert et penser à faire une heure dans les paroisses, une heure par semaine d’adoration et de prière pour les migrants. La prière déplace les montagnes !
C’étaient les quatre questions. Je ne sais pas… Pardonnez-moi si j’ai trop parlé, mais le sang italien me trahit…
Merci beaucoup de l’accueil et espérons que ces journées nous rempliront de joie : de joie, de grande joie. Et prions la Vierge, qui est Mère et qui nous tient toujours par la main.
Salve Regina
Et n’oubliez pas les grands parents qui sont la mémoire d’un peuple.
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