JEAN-PAUL II
AUDIENCE GÉNÉRALE
Mercredi 8 novembre 1978
Très chers frères et sœurs,
Le Pape
Jean-Paul Ier, parlant de la loggia de la basilique Saint-Pierre le lendemain de son élection, a rappelé entre autres choses que, pendant le Conclave du 26 août, alors que tout indiquait déjà qu’il serait élu, les cardinaux qui étaient à ses côtés lui ont murmuré à l’oreille: « Courage ! » Probablement ce mot lui était-il nécessaire en un pareil moment et il était resté gravé dans son cœur puisqu’il le rappelait le lendemain. Il me pardonnera si maintenant je me sers de sa confidence, car je crois que c’est elle qui pourra le mieux nous introduire, nous tous qui sommes ici, dans le thème que je veux traiter. Je veux en effet parler aujourd’hui de la force, la troisième vertu cardinale. C’est précisément à cette vertu que nous nous référons lorsque nous voulons exhorter quelqu’un au courage comme l’avait fait le cardinal voisin de Jean-Paul Ier au Conclave lorsqu’il lui avait dit : « Courage ! »Qu’entendons-nous par homme fort, homme courageux ? Généralement, ce mot évoque le soldat qui défend sa patrie, au risque de sa santé, et même de sa vie en temps de guerre. Mais nous savons bien que nous avons aussi besoin de force en temps de paix. C’est pourquoi nous avons beaucoup d’estime pour ceux qui se distinguent par leur « courage civique ». Un témoignage de force nous est donné par ceux qui exposent leur vie pour sauver quelqu’un qui est sur le point de se noyer ou bien qui viennent au secours des autres dans des calamités naturelles comme les incendies, les inondations, etc. Saint Charles, mon patron brillait certainement par cette vertu, lui qui pendant la peste de Milan, accomplissait son ministère pastoral parmi les habitants de cette ville. Mais nous pensons aussi avec admiration à ceux qui font l’ascension de l’Everest ou aux cosmonautes, par exemple ceux qui pour la première fois ont mis le pied sur la Lune.
Les manifestations de la vertu de force sont donc nombreuses. Certaines sont bien connues et jouissent de quelque renommée. D’autres le sont moins, bien qu’elles exigent souvent un courage encore plus grand. La force, en effet, comme nous l’avons dit tout à l’heure, est une vertu, une vertu cardinale. Permettez-moi d’attirer votre attention sur des exemples généralement peu connus, mais qui témoignent d’un grand courage, allant parfois jusqu’à l’héroïsme. Je pense par exemple à une femme, mère d’une famille déjà nombreuse, à laquelle tant de gens conseillent de supprimer une vie déjà conçue dans son sein en se prêtant à une « intervention », une interruption de grossesse. Et elle répond fermement : « Non ! » Elle ressent certes toutes les difficultés que comporte ce non, pour elle-même, pour son mari, pour toute sa famille. Et malgré tout, elle répond : « Non ! » La nouvelle vie humaine conçue en elle est une valeur trop grande, trop « sacrée » pour qu’elle puisse céder à de semblables pressions.
Encore un exemple : un homme à qui on promet la liberté et aussi une carrière facile à condition qu’il renie ses principes, ou qu’il approuve quelque chose contraire à l’honnêteté envers les autres. Lui aussi répond « non » malgré les menaces ou les promesses alléchantes. Voilà un homme courageux.
Elles sont nombreuses, très nombreuses, les manifestations de la vertu de force, souvent héroïques, dont on ne parle pas dans les journaux, ou dont on sait peu de chose. Seule la conscience humaine les connaît… et Dieu les voit.
Je désire rendre hommage à tous ces courageux inconnus ; à tous ceux qui ont le courage de dire « non » ou « oui » lorsque cela coûte ; aux hommes qui donnent un témoignage particulier de dignité humaine ou d’humanité profonde. Précisément parce qu’ils sont ignorés, ils méritent une reconnaissance et un hommage spéciaux.
Selon la doctrine de saint Thomas, la vertu de force se rencontre chez l’homme qui est prompt à affronter le danger et à supporter l’adversité pour une juste cause, pour la vérité, la justice. etc.
La vertu de force requiert toujours que l’on surmonte la faiblesse humaine, et surtout la peur. Par nature, en effet, l’homme craint spontanément le danger, le déplaisir, la souffrance. On a donc besoin d’hommes courageux, non seulement sur les champs de bataille, mais dans les salles d’hôpital, les lits de douleur. Ces hommes, on pouvait les rencontrer souvent dans les camps de concentration ou dans les lieux de déportation. Ils étaient d’authentiques héros.
La peur enlève parfois le courage civique aux hommes qui vivent dans un climat de menace, d’oppression ou de persécution. Ont alors une particulière valeur ceux qui sont capables de renverser ce que l’on appelle la barrière de la peur, afin de rendre témoignage à la vérité et à la justice. Pour arriver à cette force, l’homme doit d’une certaine manière outrepasser ses limites, se dépasser lui-même, en courant le risque d’une situation inconnue, le risque d’être mal vu, de s’exposer à des conséquences désagréables, des injures, des représailles, des pertes matérielles, peut-être la prison ou la persécution. Pour parvenir à cette force, l’homme doit être soutenu par un grand amour de la vérité et du bien auxquels il se consacre. La vertu de force va de pair avec la capacité de se sacrifier. Les anciens avaient déjà donné à cette vertu un profil bien déterminé. Avec le Christ, elle a pris un profil évangélique, chrétien. L’Évangile s’adresse aux hommes faibles, pauvres, doux et humbles, artisans de paix miséricordieux. Mais en même temps il fait constamment appel à la force. Il répète souvent : « N’ayez pas peur ! » (Mt 14, 27.) Il enseigne à l’homme qu’il faut savoir « donner sa vie » (Jn 15, 13) pour une cause juste, pour la vérité, la justice.
Je voudrais citer encore un autre exemple, vieux de quatre siècles, mais toujours actuel et vivant. Il s’agit de saint Stanislas Kostka, patron des jeunes, dont la tombe est dans l’église S. Andrea al Quirinale, à Rome. C’est en effet ici qu’est mort, à dix-huit ans, ce saint si sensible et tendre, mais très courageux. La force l’a conduit, lui qui était né dans une famille noble, à choisir la pauvreté à l’exemple du Christ et à se mettre à son service exclusif. Bien que sa décision se soit heurtée à une ferme opposition de la part de son milieu, il parvint avec beaucoup d’amour, mais aussi avec beaucoup de fermeté, à faire ce qu’il avait résolu de faire et qui se résumait dans cette devise : « Je suis né pour des choses plus grandes. » Il est arrivé au noviciat des Jésuites en faisant à pied le trajet de Vienne à Rome, tout en cherchant à échapper à ceux qui le poursuivaient et qui voulaient détourner par la force ce jeune « obstiné » de ses projets.
Je sais qu’au mois de novembre beaucoup de jeunes venant de toute la ville de Rome, et spécialement des étudiants, des novices, viennent sur sa tombe dans l’église Saint-André. Je suis avec eux parce que notre génération a elle aussi besoin d’hommes qui sachent répéter avec une sainte obstination : « Je suis né pour des choses plus grandes. » Nous avons besoin d’hommes forts.
Nous avons besoin de force pour être des hommes. En effet, n’est vraiment prudent que celui qui possède la vertu de force ; et de même n’est vraiment juste que celui qui a la vertu de force.
Prions pour avoir ce don de l’Esprit qui s’appelle le « don de la force ». Si nous n’avons pas la force de nous vaincre nous-mêmes pour parvenir à des valeurs supérieures comme la vérité, la justice, la vocation, la fidélité dans le mariage, il faut que ce « don d’en haut » fasse de chacun de nous un homme fort et qu’au moment voulu il nous dise au plus intime de nous-mêmes : « Courage ! »
Aux malades
Le Pape vous bénit de tout cœur. Il veut réserver une attention particulière aux malades les saluer affectueusement et leur dire quelques mots de réconfort et d’encouragement. Chers malades, vous avez une place importante dans l’Église si vous savez interpréter votre situation difficile à la lumière de la foi et si, dans cette lumière, votre savez vivre votre maladie avec un cœur généreux et fort. Chacun de vous peut alors dire avec saint Paul : « Ce qui manque aux détresses du Christ, je l’achève dans ma chair en faveur de son corps qui est l’Église. » (Col 1, 24)
Appel pour une femme séquestrée
Et en parlant de la souffrance humaine, je voudrais évoquer le cas de Mme Marcella Boroli Balestrini, séquestrée à Milan depuis le 9 octobre dernier, qui n’a pas encore été rendue à l’affection des siens malgré son état de grossesse avancée et sa santé précaire. Le Pape demande du fond du cœur au Seigneur d’inspirer des sentiments humains aux ravisseurs et à tous ceux qui sont impliqués dans de nombreux cas de violence partout en Italie et dans le monde, pour qu’ils mettent fin à tant, trop de souffrances atroces, indignes de pays civilisés. En attendant, je porte aux victimes et à leurs parents le réconfort de ma bénédiction paternelle.
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