JEAN PAUL II
AUDIENCE GÉNÉRALE
Mercredi 10 janvier 2001
Lecture: Is 58, 1.4.6-8
1. La voix des prophètes - comme celle d'Isaïe que nous venons d'entendre - retentit de façon répétée pour nous rappeler que nous devons nous engager pour libérer les opprimés et faire régner la justice. Si cet engagement fait défaut, le culte rendu à Dieu ne lui est pas agréable. Il s'agit d'un appel intense, parfois exprimé avec un ton paradoxal, comme lorsque Osée réfère cet oracle divin, également cité par Jésus (cf. Mt 9, 13; 12, 7): "Car c'est l'amour qui me plaît et non les sacrifices, la connaissance de Dieu plutôt que les holocaustes" (6, 6).
Le prophète Amos présente lui aussi, avec une véhémence cinglante, Dieu qui détourne le regard et qui n'accepte pas les rites, les fêtes, les jeûnes, les musiques, les supplications, alors qu'à l'extérieur du sanctuaire on vend le juste pour de l'argent et le pauvre pour une paire de sandales et que l'on écrase dans la poussière la tête des pauvres (cf. 2, 6-7). C'est pourquoi, il invite sans hésitation: "Mais que le droit coule comme de l'eau, et la justice, comme un torrent qui ne tarit pas" (5, 24). Les prophètes, en parlant au nom de Dieu, récusent donc un culte isolé de la vie, une liturgie séparée de la justice, une prière détachée de l'engagement quotidien, une foi pauvre d'oeuvres.
2. Le cri d'Isaïe: "Cessez de faire le mal, apprenez à faire le bien! Recherchez le droit, redressez le violent! Faites droit à l'orphelin, plaidez pour la veuve" (1, 16-17), retentit dans l'enseignement du Christ qui nous admoneste: "Lorsque tu vas présenter ton offrande sur l'autel, si, là, tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse ton offrande là, devant l'autel, va d'abord te réconcilier avec ton frère, et ensuite viens présenter ton offrande" (Mt 5, 23, 24). Au terme de la vie de chaque homme et à la fin de l'histoire de l'humanité, le jugement de Dieu portera précisément sur l'amour, sur la pratique de la justice, sur l'accueil des pauvres (cf. Mt 25, 31-46). Face à une communauté déchirée par les divisions et les injustices comme celle de Corinthe, Paul arrive au point d'exiger la suspension de la participation eucharistique, en invitant les chrétiens à examiner tout d'abord leur conscience, pour ne pas être responsables du corps et du sang du Seigneur (cf. 1 Co 11, 27-29).
3. Le service de la charité, lié de façon cohérente à la foi et à la liturgie (cf. Jc 2, 14-17), l'engagement pour la justice, la lutte contre toute oppression, la protection de la dignité de la personne ne sont pas pour le chrétien des expressions de philantropie motivée par leur seule appartenance à la famille humaine. Il s'agit, en revanche, de choix et d'actes qui possèdent une âme profondément religieuse, ce sont de véritables sacrifices dont Dieu se complaît, selon l'affirmation de la Lettre aux Hébreux (cf. 13, 16). L'avertissement de saint Jean Chrysostome est particulièrement incisif: "Tu désires honorer le corps du Christ? Ne l'ignore pas lorsqu'il est nu. Ne lui rends pas honneur ici dans le temple avec des étoffes de soie, pour ensuite l'ignorer à l'extérieur, où il souffre le froid et la nudité" (In Matthaeum hom. 50, 3).
4. C'est précisément parce que "dans le monde contemporain et sur une vaste échelle, le sens de la justice s'est réveillé...; [que] l'Eglise partage avec les hommes de notre temps ce désir ardent et profond d'une vie juste à tous points de vue, et [qu'] elle n'omet pas non plus de réfléchir aux divers aspects de la justice, telle que l'exige la vie des hommes et des sociétés. Le développement de la doctrine sociale catholique au cours du siècle dernier le confirme bien" (Dives in misericordia, n. 12). Cet engagement de réflexion et d'action doit précisément recevoir une impulsion extraordinaire du Jubilé. Dans sa perspective biblique, il est une célébration de solidarité: lorsque sonnait la trompette de l'année jubilaire, chacun rentrait "dans son patrimoine et dans son clan", comme le rapporte le texte officiel du Jubilé (Lv 25, 10).
5. Les terrains vendus en raison de diverses difficultés économiques et familiales étaient tout d'abord restitués à leurs anciens propriétaires. L'année jubilaire permettait donc à tous de revenir à un point de départ idéal, à travers une oeuvre de justice distributive hardie et courageuse. La dimension que l'on pourrait appeler "utopique", proposée comme un remède concret à la consolidation des privilèges et des prévarications, est évidente: c'est la tentative de pousser la société vers un idéal plus élevé de solidarité, de générosité et de fraternité. Dans le contexte historique moderne, le retour aux terres perdues pourrait s'exprimer, comme je l'ai plusieurs fois proposé, par l'annulation totale, ou tout au moins par la réduction, de la dette internationale des pays pauvres (cf. TMA, n. 51).
6. L'autre engagement jubilaire consistait à faire en sorte que le serviteur retourne en homme libre dans sa famille (cf. Lv 25, 39-41). La misère l'avait conduit dans l'humiliation de l'esclavage; à présent s'ouvrait à lui la possibilité de construire son avenir dans la liberté, au sein de sa famille. C'est pour cette raison que le prophète Ezéchiel appelle l'année jubilaire "année de l'affranchissement", c'est-à-dire du rachat (cf. Ez 46, 17). Un autre livre biblique, le Deutéronome, souhaite une société juste, libre et solidaire en ces termes: "Qu'il n'y ait donc pas de pauvres chez toi [...] Se trouve-t-il chez toi un pauvre [...] Tu n'endurciras pas ton coeur ni ne fermeras ta main" (15, 4.7).
Nous devons nous aussi tendre vers cet objectif de solidarité: "Solidarité des pauvres entre eux, solidarité avec les pauvres, à laquelle les riches sont appelés, solidarité des travailleurs et avec les travailleurs" (Instruction de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi sur Liberté chrétienne et libération, n. 89). Vécu ainsi, le Jubilé qui vient de se terminer continuera à produire des fruits abondants de justice, de liberté et d'amour.
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Parmi les pèlerins qui assistaient à l'Audience générale du 10 janvier 2001, se trouvaient les groupes suivants auxquels le Saint-Père s'est adressé en français:
De France: Collège Notre-Dame des Missions, Charenton-le-Pont.
Chers Frères et Sœurs,
La voix des prophètes, comme celle d’Isaïe que nous venons d’entendre, a réclamé, à maintes reprises, l’engagement pour la liberté et la justice. Et cette voix retentit dans l’enseignement de Jésus : "Lorsque tu vas présenter ton offrande sur l’autel, si, là, tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse ton offrande là, devant l’autel, va d’abord te réconcilier avec ton frère, et ensuite viens présenter ton offrande" (Mt 5, 23-24).
L’engagement pour la justice n’est donc pas pour les chrétiens une forme de philanthropie motivée par la seule appartenance à la famille humaine. Il est une exigence de leur foi, qui ne peut se satisfaire d’une liturgie séparée de la pratique de la justice. C’est d’ailleurs le vrai sens de tout Jubilé qui est, dans la perspective biblique, une célébration de la solidarité. Pour vivre ce devoir avec les plus pauvres, pour avancer sur la voie d’une société plus généreuse et plus fraternelle, nous sommes appelés à nous engager maintenant avec ardeur et courage. Ainsi le Jubilé continuera de produire des fruits de justice, de liberté et d’amour.
Je salue cordialement les francophones présents à cette audience, en particulier le groupe de jeunes du Collège Notre-Dame des Missions, de Charenton-le-Pont. Que votre pèlerinage vous renouvelle dans l’amour du Christ et dans l’amour concret de vos frères ! A tous, je donne de grand cœur la Bénédiction apostolique.
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