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VOYAGE APOSTOLIQUE EN AFRIQUE
(2-12 MAI 1980)

MESSE À BRAZZAVILLE

HOMÉLIE DU SAINT-PÈRE JEAN-PAUL II

Brazzaville (Congo)
Mercredi 5 mai 1980

  

Chers Frères et Sœurs dans le Christ,

« Chantez à Dieu, dans vos cœurs, votre reconnaissance » [1].

1. Aujourd’hui, c’est l’Evêque de Rome qui vient à vous, le Successeur de l’Apôtre Pierre auquel Jésus a dit: « Affermis tes frères » [2]. Je viens donc vous affermir dans la foi, la charité et l’espérance.

Je viens vous affermir dans la foi que vous possédez déjà grâce à une évangélisation qui a porté ses fruits. Je vous parlerai de cette évangélisation pour vous encourager à la poursuivre.

Je viens stimuler votre charité entre vous et envers tous, « l’amour qui fait l’unité dans la perfection ». Pour cela, je vous rappelle les paroles de l’Apôtre Paul: « Revêtez votre cœur de tendresse et de bonté, d’humilité, de douceur, de patience, en vous supportant et en pardonnant mutuellement » [3]. Jésus n’avait-il pas dit: « Aimez vos ennemis, afin d’être vraiment les fils de votre Père » [4]?

Je viens fortifier votre espérance afin qu’aucune épreuve ne vous détourne du chemin où vous êtes engagés ni du but de votre vie chrétienne: le salut de vos âmes, l’édification de l’Eglise.

Et je le fais en reliant votre communauté catholique à l’Eglise universelle qui est unique dans la diversité de ses membres.

2. Mais tout d’abord, le Pape n’aurait pas eu l’occasion de venir chez vous s’il n’avait été précédé, depuis tout juste un siècle, par de valeureux missionnaires, qui, pour leur part, n’avaient d’autre souci que votre bien spirituel. Ils sont arrivés chez vous, brûlant d’amour pour le Christ et pour vous, pour vous proposer l’Evangile qu’ils avaient eux-mêmes reçu. Car toute foi vient du Christ, par les Apôtres. « Comment croire sans d’abord L’entendre? Et comment entendre sans prédicateur? Et comment prêcher sans être d’abord envoyé? » [5].

Ces missionnaires ont été accueillis chez vous. Ils ont dû commencer par vivre avec vous, par prier au milieu de vous, en témoignant leur amour car cet amour est le cœur de notre message sous forme d’amitié, d’hospitalité, d’entraide et aussi de soins et d’instruction. Ils ont annoncé l’Evangile, car ils savaient votre faim de la Parole de Dieu. Certains de vos pères ont adhéré à la foi. Ils se sont longuement préparés au baptême. A partir de là est née l’Eglise au Congo. Mais le souci des missionnaires a été aussi de préparer parmi les fils de cette nation des évangélisateurs, des catéchistes, et bientôt des prêtres, des religieux, des religieuses. Chez vous, l’Eglise s’est rapidement développée, au point qu’un grand nombre de vos compatriotes sont entrés dans sa famille. Nous n’oublierons pas pour autant la somme de patience, d’épreuves, de peines, de joies et d’espérance des missionnaires et les mérites de vos pères.

Aujourd’hui l’Eglise est conduite par des évêques congolais, qui ont été constitués vos Pasteurs, à travers l’imposition des mains de leurs aînés. C’est un signe de la maturité de votre Eglise. Votre communauté avait même donné à l’Eglise universelle un cardinal, c’est-à-dire un collaborateur plus spécialement lié au Pape et à l’Eglise de Rome, et que nous pleurons tous. Vos communautés sont appelées à s’affermir et à grandir. Vivez dans l’action de grâce!

3. Réfléchissons un instant, Frères et Sœurs, à cette évangélisation qu’il faut poursuivre. Evangile veut dire « Bonne Nouvelle ». Quelle Bonne Nouvelle?

L’Evangile ne promet pas la richesse, ni des conditions de vie faciles, ni même le pain quotidien, bien qu’il nous fasse un devoir d’y travailler, solidairement, avec courage et sens de la justice; sans négliger d’ailleurs de les demander en même temps à Dieu et lui rendre grâce, à Lui qui est l’Auteur de tout bien.

Peut-être identifiez-vous alors la Bonne Nouvelle à la paix? De fait, c'est une chose merveilleuse que la paix dans la société, la paix dans les familles, la paix d’une vie libre, et surtout la paix dans le cœur de chacun, la paix d’une conscience droite qui vit dans la sérénité et la confiance, devant Dieu et devant les hommes. « Que la paix du Christ règne dans vos cœurs » dit saint Paul [6].

Mais cette paix elle-même vient de la Bonne Nouvelle de l’amour de Dieu qui nous a aimés le premier, et nous a pardonnés. « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais ait la vie éternelle, ... pour que le monde soit sauvé par lui » [7]. Comme le notait l’Exhortation apostolique Evangelii Nuntiandi de mon vénéré prédécesseur Paul VI: « Cette attestation de Dieu rejoindra peut-être pour beaucoup le Dieu inconnu qu’ils adorent sans lui donner un nom ». Pour nous, « le Créateur n’est pas une puissance anonyme et lointaine: il est Père. "Nous sommes appelés fils de Dieu, nous le sommes effectivement", et nous sommes donc frères les uns des autres en Dieu » [8].

4. Cette vérité a été révélée par Dieu, en Jésus-Christ, celui qui est mort et ressuscité pour nous, le « Premier et le Dernier », « le Vivant », « le Témoin fidèle et vrai » [9], qui réunit ses disciples dans une famille profondément solidaire, comme les membres de son Corps, l’Eglise. Cette vérité est attestée par vingt siècles d’histoire chrétienne. Elle a été vécue par des millions de disciples de Jésus Christ dans tous les pays, souvent jusqu’à la sainteté, parfois jusqu’au martyre. N’avez-vous pas déjà fait l’expérience qu’elle illumine vos vies? Elle vous en montre le sens et le but. Elle vous assure de la présence de l’Esprit Saint, le Défenseur, qui vous libère de vos péchés, de tout ce qui risque, en vous et en dehors de vous, de vous détourner de la droiture, de la pureté de vie, de la justice, de la paix, de la réconciliation, du partage, de l’amour fraternel. C’est dire que l’éducation dans la foi pose les bases morales d’une vie en société meilleure, vraiment renouvelée. Et les chrétiens initiés aux sacrements ont la joie de s’unir ici-bas autour du Seigneur, pour participer à son sacrifice et à son banquet la messe , en attendant la vie éternelle avec lui. Evangéliser, c’est porter cette Bonne Nouvelle dans tous les milieux, la proposer par des moyens pacifiques au libre consentement, et, par son impact, transformer du dedans, rendre neuve l’humanité elle-même [10].

5. Certes, l’adhésion dans la foi à cette Bonne Nouvelle requiert une conversion, non seulement avant le baptême, mais dans toute la vie. Les idoles auxquelles il faut renoncer sont toujours renaissantes, même si elles portent parfois des noms nouveaux, dans les vieilles Eglises d’Occident comme dans les jeunes Eglises d’Afrique. Il y a des obstacles au niveau de l’esprit humain et le matérialisme, idéologique ou pratique, n’est pas des moindres qui peuvent détourner du message du salut en laissant entendre qu’il est inutile ou illusoire. Il y a des obstacles, plus encore peut-être, au niveau de nos habitudes personnelles ou familiales, des mœurs de la société qui tendent à reléguer l’Evangile comme un idéal trop difficile. C’est vrai que Jésus a dit: « Soyez parfaits, comme votre Père céleste est parfait » [11].

Il faut alors se souvenir que Dieu est aussi le Dieu de la miséricorde, comme l’Eglise est une mère miséricordieuse: malgré le caractère pécheur, faible, hésitant de ses fils, elle les invite à l’espérance, elle leur propose un idéal chrétien, une sainteté, non comme un fardeau, mais comme une lumière qui attire et qui élève les cœurs. Même si l’évangélisation connaît, ici ou là des étapes progressives et laborieuses on n’a jamais fini de devenir chrétien! , l’Eglise sait que les fils de ce pays sont capables d’une authentique vie chrétienne. Ils l’ont déjà prouvé largement. Et l’Eglise compte beaucoup sur vous.

6. Cette évangélisation de la conscience personnelle et collective des hommes doit donc se poursuivre selon les voies qui sont semblables dans toute l’Eglise [12], mais dont il vous faut trouver ici l’application concrète, en fonction de votre culture africaine et de votre situation actuelle. Vient en premier lieu le témoignage de votre vie de chrétiens, celui des familles, des adultes et des jeunes, des personnes consacrées: votre façon chrétienne de vivre peut susciter, par elle-même, et dans le plein respect des autres, l’attrait de l’Evangile. Il faut aussi une annonce explicite et précise de l’Evangile, qui nourrisse l’esprit et le cœur: c’est le rôle de la prédication, de la liturgie de la Parole, mais aussi de la catéchèse. Oui, vous avez tous besoin aujourd’hui d’une solide catéchèse, qui approfondisse votre attachement personnel à Jésus-Christ et vous permette de rendre compte de l’espérance qui est en vous. Je sais que votre pastorale consacre beaucoup d’efforts à cette catéchèse, et à la formation des catéchistes. Je vous en félicite. Les familles, les paroisses doivent donner une priorité à cette formation, non seulement des enfants, mais des jeunes, des étudiants, des futurs époux, dans le cadre aussi de la préparation aux sacrements. Enfin je souhaite que vos communautés chrétiennes connaissent la ferveur de la prière et la force de la cohésion fraternelle.

7. Dans cette œuvre, il y a place pour tous les ouvriers de l’évangélisation. Je remercie les prêtres, les frères, les religieuses, les laïcs venus de loin, qui continuent à travailler ici, sous la conduite des évêques congolais: non seulement ils vous apportent encore un soutien précieux, mais ils contribuent à vous relier à l’Eglise universelle, et je suis sûr que cette expérience est bénéfique pour leurs propres Eglises. Ces prêtres forment un seul presbyterium avec les prêtres de ce pays, auxquels je voudrais dire spécialement mon affection et ma confiance. Chers amis, le Seigneur vous a appelés à le servir, dans une consécration totale de votre vie dont le célibat est un des signes, en vous rendant disponibles à tous. Soyez les saints prêtres, les guides spirituels dévoués et compétents dont votre peuple a besoin. C’est une grande grâce! Je souhaite aussi que des vocations sacerdotales et religieuses surgissent nombreuses et s’affermissent dans une solide formation. Je souhaite enfin que beaucoup de laïcs chrétiens apportent aussi leur aide irremplaçable à l’évangélisation, comme catéchistes, et dans un apostolat de personne, de famille à famille, de l’aîné au plus jeune.

8. Je sais que vous poursuivez l’évangélisation dans des conditions qui ne sont pas faciles, avec des moyens souvent pauvres. Vous avez connu de grosses épreuves. Je voudrais affermir votre espérance. Confiez vos besoins au Seigneur, qui est fidèle, et soutenez-vous les uns les autres. Vous savez en qui vous avez mis votre confiance. Avec saint Pierre je vous dis: « Soyez fermes dans la foi, sachant que vos frères répandus dans le monde endurent de semblables épreuves » [13]. Et encore: « Soyez bien unis, pleins de compassion, d’amour fraternel, de miséricorde et d’humilité » [14]. La puissance de Dieu, elle est en vous, selon votre degré de foi et d’amour, et selon votre cohésion. Oui, que votre unité soit sans faille: c’est votre force.

9. Ainsi serez-vous également, au milieu de vos compatriotes qui ne partagent pas votre foi, des artisans de paix, et même le « sel » et le « levain » dont parle Jésus, pour la vie fraternelle à laquelle ils aspirent. Je l’ai déjà laissé entendre: l’évangélisation entraîne normalement le souci du développement humain et du progrès social. Vous êtes attachés, vous aussi, à l’indépendance et à l’honneur de votre nation; vous désirez un accroissement des moyens de subsistance, un ordre juste pour tous, une vie paisible. Vous voulez servir votre pays. Vous avez le souci des pauvres. Et vous savez qu’une civilisation sans âme n’apporterait pas le bonheur. Vous êtes prêts à consacrer à cette œuvre votre travail et votre honnêteté, dans le respect de tous, en bannissant la haine, la violence et le mensonge. Les responsables du bien commun ne peuvent pas ignorer que votre contribution chrétienne est bénéfique au pays. Et je ne doute pas qu’ils continueront à vous accorder la juste liberté religieuse qui vous est reconnue et la possibilité de travailler, en bons citoyens, à l’essor de la nation. Que Dieu bénisse le Congo!

10. Enfin, chers amis, je pense à votre insertion dans l’Eglise universelle. C’est un beau et grand mystère. L’arbre de l’Eglise, planté par Jésus en Terre Sainte, n’a cessé de se développer. Tous les pays du vieil Empire romain ont été greffés dessus. Ma propre patrie, la Pologne, a connu son heure d’évangélisation, et l’Eglise de Pologne s’est greffée sur l’arbre de l’Eglise, pour lui faire produire de nouveaux fruits. Et voilà que votre communauté de croyants congolais a été à son tour greffée sur l’arbre de l’Eglise. Le greffon vit de la sève qui circule dans l’arbre; il ne peut survivre qu’étroitement uni à l’arbre. Mais dès qu’il est greffé, il apporte à l’arbre son patrimoine et produit des fruits qui sont les siens. Ce n’est qu’une comparaison. L’Eglise fait vivre de sa vie les nouveaux peuples qui sont venus à elle. Aucune communauté nouvelle greffée sur l’arbre de l’Eglise ne peut vivre sa vie de manière indépendante. Elle ne vit qu’en participant au grand courant vital qui fait vivre tout l’arbre. L’Eglise en reçoit alors de nouveaux trésors de vitalité et peut ainsi manifester dans le monde une plus grande variété de fruits. Tels sont mes vœux pour l’Eglise qui est au Congo. Que s’affermisse son attachement à l’Eglise universelle et au Successeur de Pierre qui est le principe et le fondement de l’unité de tous par la volonté de Jésus-Christ, notre Seigneur! Que croissent sa propre vitalité, son unité et sa sainteté! Et qu’elle en fasse bénéficier l’Eglise! Au souffle de l’Esprit Saint! Avec Marie, l’Etoile de l’Evangélisation! Amen! Alleluia!


[1] Col 3, 16.

[2] Lc 22, 31.

[3] Col 3, 12-13.

[4] Mt 5, 44-45.

[5] Rm 10, 14-15.

[6] Col 3, 15.

[7] Jn 3, 16-17.

[8] N. 26.

[9] Ap. 1, 17-18; 2, 14.

[10] Cf. Evangelii Nuntiandi, n. 18.

[11] Mt 5, 48.

[12] Cf. Décret Ad Gentes, nn. 11-18; Exhortation Evangelii Nuntiandi, nn. 21-24.

[13] Cf. 1 P 5, 9.

[14] Ibid., 3, 8.

 

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