PÈLERINAGE APOSTOLIQUE EN AFRIQUE
(2-12 MAI 1980)
HOMÉLIE DU PAPE JEAN-PAUL II
Uhuru Park, Nairobi (Kenya)
Mercredi 7 mai 1980
Vénérables frères dans l’épiscopat,
Chers frères et sœurs dans le Christ,
1. Nous sommes rassemblés ici aujourd’hui pour célébrer et glorifier notre Père du ciel. Nous sommes réunis en ce lieu, hommes et femmes aux arrière-plans si différents, et pourtant tous unis à Celui en qui « tout est maintenu » (Col 1, 17), tous unis à la table de la parole de Dieu et à l’autel du sacrifice.
Mon cœur est plein de gratitude envers Dieu pour ce jour et pour l’occasion qui m’est donnée de célébrer l’eucharistie avec vous, de chanter les louanges du Seigneur pour avoir réconcilié toutes choses avec lui, « ayant établi la paix par le sang de sa croix » (Col 1, 20).
Le jour où Jésus a été crucifié, il a dit à Pilate : « Je suis né et je suis venu dans le monde pour rendre hommage à la vérité » (Jn 18, 37). Jésus est venu non pour faire sa propre volonté mais la volonté de son Père du ciel. Par ses paroles, par ses actes, par son existence même, il a porté témoignage à la vérité. En Jésus, la tyrannie de la tromperie et de la fausseté, la tyrannie du mensonge et de l’erreur, la tyrannie du péché ont été vaincues. Car le Christ est la Parole vivante de la vérité divine qui a promis : « Si vous demeurez dans ma parole, vous êtes vraiment mes disciples, vous connaîtrez la vérité et la vérité fera de vous des hommes libres » (Jn 8, 31-32).
2. L’Église a reçu cette même mission du Christ : cultiver un amour profond, une vénération profonde pour la vérité et harmoniser avec la foi les découvertes de la science et de la sagesse humaine — en toute chose pour porter témoignage à la vérité. Dans tous les siècles et dans tous les pays, l’Église réalise cette mission, dans la confiance que si Dieu est la source suprême de toute vérité, il ne peut y avoir d’opposition entre la sagesse naturelle et les vérités de la foi.
Tous les fidèles, chers frères et sœurs, ont un rôle à jouer dans la mission de l’Église en faveur de la vérité. C’est la raison pour laquelle j’ai déclaré dans mon Encyclique que « la responsabilité de l’Église envers la vérité divine se trouve partagée par tous, toujours davantage, et de bien des manières. Et que dire ici des spécialistes des diverses disciplines scientifiques, des littéraires, des médecins, des juristes, des artistes et des techniciens, des enseignants de tous niveaux et de toutes spécialités ? Tous, en tant que membres du peuple de Dieu, ils ont leur rôle propre dans la mission prophétique du Christ, dans son service de la vérité divine» (Redemptor Hominis, 19). À l’intérieur de la communion des fidèles, et en particulier à l’intérieur de la communauté chrétienne locale, une particulière attention doit être portée à cette responsabilité de porter témoignage à la vérité. Dans son message à l’Afrique, mon prédécesseur Paul VI a adressé un message particulier aux intellectuels de ce continent, précisément parce qu’il était convaincu de l’importance de leur mission au service de la vérité. Et ces paroles raisonnent encore aujourd’hui : « L’Afrique a besoin de vous, de vos études, de vos recherches, de votre art, de votre enseignement… C’est à travers vous que les conceptions nouvelles et les transformations culturelles peuvent être interprétées et expliquées à tous. Soyez donc soucieux de la vérité, probes et loyaux » (Africae terrarum, 32).
3. Nous devons faire débuter notre témoignage à la vérité en cultivant la faim de la parole de Dieu, le désir de recevoir et de prendre à cœur le message vivifiant de l’Évangile dans toute sa plénitude. Lorsque vous écoutez attentivement la voix du Sauveur et que vous la mettez ensuite en pratique, vous partagez à coup sûr la mission de l’Église au service de la vérité. Vous portez témoignage devant le monde de votre foi ferme à la promesse faite par Dieu à travers Isaïe : « C’est que, comme descendent la pluie ou la neige du haut des cieux, et comme elles ne retournent pas là-haut sans avoir saturé la terre, sans l’avoir fait enfanter et bourgeonner, sans avoir donné semence au semeur et nourriture à celui qui mange, ainsi se comporte ma parole au moment où elle sort de ma bouche ; elle ne retourne pas vers moi sans résultat, sans avoir exécuté ce qui me plaît et fait aboutir ce pour quoi je l’avais envoyée. » (Is 55, 10-11.) Vous ne pouvez être les messagers de la vérité que si vous êtes les premiers de tous, les vrais auditeurs de la parole de Dieu.
4. Lorsque Pilate a demandé à Jésus s’il était roi, sa réponse a été claire et sans ambiguïté : « Ma royauté n’est pas de ce monde » (Jn 18, 36). Le Christ est venu apporter la vie et le salut à tout homme : sa mission n’était pas d’ordre social, économique ou politique. De même le Christ n’a pas donné à l’Église une mission qui serait sociale, économique ou politique ; mais plutôt une mission religieuse (cf. Gaudium et Spes, 42). Pourtant ce serait une erreur de penser que le chrétien individuel ne doit pas être engagé dans ces secteurs de la vie sociale. Sur ce point, les Pères de Vatican II ont été très clairs : « Ce divorce entre la foi dont ils se réclament et le comportement quotidien d’un grand nombre est à compter parmi les plus graves erreurs de notre temps… En manquant à ses obligations terrestres, le chrétien manque à ses obligations envers le prochain, bien plus envers Dieu lui-même, et il met en danger son salut éternel » (Gaudium et Spes, 43).
Et c’est pourquoi les chrétiens, et tout particulièrement vous qui êtes des laïcs, sont appelés par Dieu à s’engager dans le monde de manière à le transformer selon l’Évangile. En menant à bien cette tâche, votre engagement personnel envers la vérité et l’honnêteté jouent un rôle important, parce que le sens des responsabilités à l’égard de la vérité est l’un des points fondamentaux de rencontre entre l’Église et la société, entre l’Église et chaque homme et chaque femme (cf. Redemptor Hominis, 19). La foi chrétienne ne vous apporte pas des solutions toutes faites aux problèmes complexes de la société contemporaine. Mais elle vous donne une intelligence profonde de la nature de l’homme et de ses besoins en vous invitant à dire la vérité dans l’amour, à prendre vos responsabilités en tant que bons citoyens et à travailler avec vos voisins pour construire une société où les véritables valeurs humaines sont approfondies par une vision chrétienne de la vie qui soit partagée.
5. L’un de ces domaines qui occupe une place très importante dans la société et dans la vocation totale de toute personne humaine est la culture. « C’est le propre de la personne humaine de n’accéder vraiment et pleinement à l’humanité que par la culture, c’est-à-dire en cultivant les biens et les valeurs de la nature. Toutes les fois qu’il est question de vie humaine, nature et culture sont aussi étroitement liées que possible » (Gaudium et Spes, 53). Le chrétien collaborera volontiers à la promotion de la vraie culture, car il sait que la Bonne Nouvelle du Christ renforce dans l’homme les valeurs spirituelles qui sont au cœur de la culture de chaque peuple et de chaque période de l’histoire. L’Église, qui se sent à l’aise dans toute culture, sans faire sienne exclusivement aucune culture donnée, encourage ses fils et ses filles qui sont actifs dans les écoles, les universités et autres instituts d’éducation, à donner le meilleur d’eux-mêmes dans cette activité. En harmonisant ces valeurs qui sont l’héritage unique de chaque peuple ou de chaque groupe avec le contenu de l’Évangile, le chrétien aidera son propre peuple à atteindre la vraie liberté et à devenir capable de répondre au défi de l’époque. Tout chrétien, uni au Christ dans le mystère du baptême, s’efforcera de se conformer au plan du Père pour son Fils : « Réunir l’univers entier sous un seul chef, le Christ, ce qui est dans les cieux et ce qui est sur la terre » (Ép 1, 10).
6. Un autre défi important qui est lancé au chrétien est celui de la vie politique. Dans l’État, les citoyens ont le droit et le devoir de participer à la vie politique. Car une nation ne peut assurer le bien commun de tous, et réaliser les rêves et les aspirations de ses différents membres, que dans la mesure où tous les citoyens, dans une pleine liberté et avec une complète responsabilité, apportent leur contribution de plein gré et sans égoïsme pour le bien de tous.
Les devoirs du bon citoyen chrétien ne consistent pas simplement à éviter la corruption ou à ne pas exploiter autrui ; ces devoirs comprennent positivement une contribution à l’établissement de lois et de structures justes qui favorisent les valeurs humaines. Si le chrétien découvre l’injustice ou quoi que ce soit qui s’oppose à l’amour, à la paix et à l’unité dans la société, il doit se demander : « En quoi ai-je failli ? qu’ai-je fait de mal ? que n’ai-je pas fait que la vérité de ma vocation m’invitait à faire ? Ai-je péché par omission ? ».
7. Ici, aujourd’hui au Kenya, comme je l’ai fait bien souvent, je désirerais adresser un message particulier aux couples mariés et aux familles. La famille est la communauté humaine fondamentale, c’est la cellule première et vitale de toute société. Ainsi la force et la vitalité de tout pays seront grandes dans la mesure même de la force et de la vitalité des familles à l’intérieur de ce pays. Aucun groupe n’a une plus profonde répercussion que la famille. Aucun groupe n’a un rôle plus influent pour l’avenir du monde.
Pour cette raison les couples chrétiens ont une mission irremplaçable dans le monde d’aujourd’hui. L’amour généreux et la fidélité de l’homme et de la femme offrent stabilité et espoir à un monde déchiré par la haine et la division. Par leur persévérance tout au long de leur vie dans un amour procréateur, ils montrent le caractère infrangible et sacré du bien sacramentel du mariage. En même temps, c’est la famille chrétienne qui promeut le plus simplement et le plus profondément la dignité et la valeur de la vie humaine à partir du moment de la conception.
La famille chrétienne est aussi le sanctuaire de l’Église. Dans un foyer chrétien se retrouvent différents aspects de l’Église toute entière, tels que l’amour mutuel, l’attention à la parole de Dieu et à la prière commune. Le foyer est l’endroit où l’Évangile est reçu et vécu, il est l’endroit à partir duquel l’évangile rayonne. Ainsi, la famille porte quotidiennement un témoignage, même tacite, à la vérité et à la grâce de la parole de Dieu. Pour cette raison, j’ai dit dans mon encyclique : « Les époux… doivent tendre de toutes leurs forces à persévérer dans l’union matrimoniale, en construisant par ce témoignage d’amour la communauté familiale et en éduquant de nouvelles générations d’hommes capables, eux aussi, de consacrer toute leur vie à leur propre vocation, c’est-à-dire à ce « service royal » dont l’exemple et le plus beau modèle nous sont offerts par Jésus-Christ. » (Redemptor Hominis, 21).
8. Chers frères et sœurs, toutes les familles qui composent l’Église et tous les individus qui composent les familles, tous autant que nous sommes, nous sommes appelés à marcher avec le Christ, en rendant témoignage à sa vérité dans les circonstances de nos vies quotidiennes. Ce faisant, nous pouvons imprégner la société du levain de l’Évangile qui seul peut la transformer en royaume du Christ — un royaume de vérité et de vie, un royaume de sainteté et de grâce, un royaume de justice, d’amour et de paix ! Amen.
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