LETTRE DU PAPE
JEAN-PAUL II
AUX PRÊTRES
POUR LE JEUDI SAINT 1987
Du Cénacle à Gethsémani
1. « Après le chant des psaumes, ils partirent pour le mont des Oliviers. » (Mc 14, 26.)
Permettez-moi, chers frères dans le sacerdoce, de commencer ma lettre pour le Jeudi saint de cette année par les mots qui évoquent pour vous le moment où, après la dernière Cène, Jésus-Christ sortit pour aller au mont des Oliviers.
Nous tous qui, par le sacrement de l'Ordre, avons une participation spéciale, une participation ministérielle au sacerdoce du Christ, nous nous recueillons intérieurement le Jeudi saint dans le souvenir de l'institution de l'Eucharistie, parce que cet événement marque le commencement et la source de tout ce que nous sommes dans l'Église et le monde, par la grâce de Dieu. Le Jeudi saint est le jour où est né notre sacerdoce, il est donc aussi notre fête chaque année.
C'est un jour important et saint non seulement pour nous, mais pour l'Église entière, pour tous ceux dont Dieu a fait pour lui dans le Christ « une Royauté de prêtres » (Ap 1, 6). Pour nous, ce jour est particulièrement important et décisif, car le sacerdoce commun de tout le Peuple de Dieu est lié au service des ministres de l'Eucharistie, qui est notre devoir le plus sacré. C'est pourquoi, aujourd'hui, dans le recueillement, autour de vos évêques, vous renouvelez avec eux, dans vos cœurs, chers frères, la grâce qui vous a été donnée « par l'imposition des mains » (cf. 2 Tm 1, 6) dans le sacrement de l'Ordre.
En ce jour si extraordinaire, je voudrais, comme chaque année, me trouver avec vous tous et avec vos évêques, afin que nous ressentions tous un profond besoin de renouveler en nous la conscience de la grâce qu'est le sacrement qui nous unit intimement au Christ, prêtre et victime.
C'est dans ce but que je désire, par la présente lettre, exprimer quelques réflexions sur l'importance de la prière dans notre vie, surtout par rapport à notre vocation et à notre mission.
2. Après la dernière Cène, Jésus se dirige avec les apôtres vers le mont des Oliviers. Dans le cours des événements salvifiques de la Semaine sainte, la Cène représente pour le Christ le commencement de « son heure ». Et c'est pendant la Cène que commence la réalisation définitive de tout ce qui devait constituer cette « heure ».
Au Cénacle, Jésus institue le sacrement, le signe d'une réalité qui est encore à venir dans la succession des événements. C'est pourquoi il dit : « Ceci est mon corps, donné pour vous » (Lc, 22, 19) ; « Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang, versé pour vous » (Lc 22, 20). C'est ainsi que naît le sacrement du Corps et du Sang du Rédempteur auquel le sacrement de l'Ordre est étroitement lié, en vertu du commandement donné aux apôtres : « Vous ferez cela en mémoire de moi » (Lc 22,19).
Les paroles de l'institution de l'Eucharistie non seulement anticipent ce qui sera accompli le jour suivant, mais elles soulignent aussi expressément que cet accomplissement désormais proche revêt le sens et la portée du sacrifice. En effet, « le Corps est donné... et le Sang, versé pour vous ».
Ainsi Jésus, au cours de la dernière Cène, met dans les mains des apôtres et de l'Église le sacrifice véritable. Ce qui, au moment de l'institution, représente encore une annonce, bien que définitive, mais est aussi l'anticipation effective du sacrifice réel du Calvaire, deviendra ensuite, par le ministère des prêtres, « le mémorial » qui perpétue de manière sacramentelle la réalité même de la rédemption. Réalité centrale dans l'ordre de toute l'économie divine du salut.
3. Sortant du Cénacle avec les apôtres et se dirigeant vers le mont des Oliviers, Jésus avance précisément vers l'accomplissement de son « heure » qui est le temps de l'achèvement pascal du dessein de Dieu et de toutes les annonces, lointaines et proches, que les « Écritures » comportent à ce sujet (cf. Lc 24, 27).
Cette « heure » marque aussi le moment où le sacerdoce se voit donner un sens nouveau et définitif comme vocation et service, fondé sur la révélation et l'institution divines. Nous retrouverons un développement plus ample de cette réalité dans la Lettre aux Hébreux, texte fondamental pour la connaissance du sacerdoce du Christ et de notre sacerdoce.
Mais, dans le cadre des présentes réflexions, un fait apparaît essentiel : en allant vers l'accomplissement de toutes choses, qui culmine dans « son heure », Jésus avance grâce à la prière.
4. La prière de Gethsémani ne se comprend pas seulement dans son rapport avec tout ce qui la suit au cours des événements du Vendredi saint, c'est-à-dire la Passion et la mort sur la Croix, mais aussi dans son rapport non moins étroit avec la dernière Cène.
Au cours du repas d'adieu, Jésus accomplit ce qui était la volonté éternelle du Père à son égard et aussi sa propre volonté, sa volonté de Fils : « C'est pour cela que je suis venu à cette heure » (Jn 12, 27). Les paroles qui instituent le sacrement de l'Alliance nouvelle et éternelle, l'Eucharistie, constituent en quelque sorte le sceau sacramentel de la volonté éternelle du Père et du Fils, alors qu'arrive « l'heure » de son accomplissement définitif.
A Gethsémani, le nom « Abba », qui a toujours sur les lèvres de Jésus une profondeur de sens trinitaire – c'est en effet le nom dont il se sert pour parler au Père et du Père, particulièrement dans la prière –, donne aux souffrances de la Passion le sens des paroles de l'institution de l'Eucharistie. De fait, Jésus vient à Gethsémani pour révéler encore un aspect de la vérité sur lui-même, le Fils ; et il le fait spécialement par ce mot : Abba. Et cette vérité, cette vérité inouïe sur Jésus-Christ, consiste en ce que, ayant « le rang qui l'égalait à Dieu », comme fils consubstantiel au Père, il est en même temps vrai homme. En effet, il se désigne fréquemment lui-même comme « le Fils de l'homme ». Jamais la réalité du Fils de Dieu n'a été manifestée autant qu'à Gethsémani : il « prend la condition d'esclave » (cf. Ph 2, 7) selon la prophétie d'Isaïe (cf. Is 53).
La prière de Gethsémani, autant et plus que toute autre prière de Jésus, révèle la vérité sur l'identité, la vocation et la mission du Fils venu dans le monde pour accomplir la volonté paternelle de Dieu jusqu'au bout, lorsqu'il dira que « tout est accompli » (Jn 19, 30).
Cela est important pour tous ceux qui viennent se mettre « à l'école de prière » du Christ : c'est particulièrement important pour nous, prêtres.
5. Jésus-Christ, le fils consubstantiel, se présente devant le Père et dit : « Abba ». Et, manifestant d'une manière que nous pourrions dire radicale sa condition d'homme véritable, de « Fils de l'homme », il demande que s'éloigne la coupe de l'amertume : « Mon Père, s'il est possible, que cette coupe passe loin de moi. » (Mt 26, 39 ; cf. Mc 14, 36 ; Lc 22, 42.)
Jésus sait que cela « n'est pas possible », que « la coupe » lui est donnée pour qu'il la « boive » jusqu'à la lie. Il dit toutefois précisément ceci : « S'il est possible, que s'éloigne de moi... » Il le dit au moment même où cette « coupe » qu'il avait ardemment désirée (cf. Lc 22, 15) est désormais devenue le sceau sacramentel de l'Alliance nouvelle et éternelle dans le sang de l'Agneau. Au moment où tout ce qui a été « fixé » de toute éternité est désormais « institué » sacramentellement dans le temps, introduit dans tout l'avenir de l'Église.
Jésus qui, au Cénacle, a réalisé cette institution ne peut assurément pas vouloir contredire la réalité désignée par le sacrement de la dernière Cène. Il en désire plutôt, de tout son coeur, l'accomplissement. Si, malgré tout, il prie pour que « s'éloigne de lui cette coupe », il manifeste ainsi devant Dieu et devant les hommes tout le poids de la mission qu'il doit assumer : se substituer à nous tous pour l'expiation du péché. Il manifeste aussi l'immensité de la souffrance qui emplit son coeur humain. Ainsi le Fils de l'homme se révèle solidaire de tous ses frères et soeurs qui font partie de la grande famille humaine, du commencement à la fin des temps. La souffrance est pour l'homme le mal – Jésus-Christ, à Gethsémani, en éprouve tout le poids, celui qui correspond à notre commune expérience, à notre attitude intérieure spontanée. Devant le Père, il garde toute la vérité de son humanité, la vérité d'un coeur humain oppressé par la souffrance, sur le point d'atteindre son dramatique sommet : « Mon âme est triste à en mourir » (Me 14, 34). Pourtant, personne n'est en mesure d'exprimer le véritable poids de cette souffrance d'homme avec les seuls critères humains. A Gethsémani, en effet, celui qui prie le Père est un homme qui est en même temps Dieu, consubstantiel au Père.
6. Les mots de l'évangéliste, « il commença à ressentir tristesse et angoisse » (Mt 26, 37), comme aussi tout le développement de la prière à Gethsémani, semblent montrer non seulement la peur face à la souffrance, mais également une crainte caractéristique de l'homme, une sorte de crainte liée au sens de la responsabilité. L'homme n'est-il pas cet être unique dont la vocation est de « se dépasser constamment » ?
Jésus-Christ, « Fils de l'homme », exprime dans la prière par laquelle il commence la Passion le poids propre de la responsabilité pesant sur l'homme qui assume des tâches où il doit « se dépasser ».
Les Évangiles rapportent à plusieurs reprises que Jésus priait, et même qu'il « passait la nuit en prière » (cf. Lc 6, 12) ; mais aucune de ces prières n'a été relatée d'une manière aussi profonde et pénétrante que celle de Gethsémani. Cela se comprend. En effet, aucun autre moment de la vie de Jésus n'a été aussi décisif. Aucune autre prière n'entrait aussi pleinement dans ce qui devait être « son heure ». D'aucune autre décision de sa vie ne dépendait autant que de celle-ci l'accomplissement de la volonté du Père, qui « a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas mais ait la vie éternelle » (Jn 3,16).
Quand Jésus dit à Gethsémani : « Que ce ne soit pas ma volonté, mais la tienne qui se fasse » (Lc 22, 42), il révèle la vérité du Père et de son amour sauveur pour l'homme. La « volonté du Père » est précisément l'amour sauveur : le salut du monde doit être réalisé par le sacrifice rédempteur du Fils. Il est bien concevable que le Fils de l'homme, prenant sur lui cette mission, manifeste dans son dialogue décisif avec le Père la conscience qu'il a de la dimension surhumaine d'une telle mission où il accomplit la volonté du Père dans la profondeur divine de son union filiale avec lui.
« J'ai mené à bonne fin l'oeuvre que tu m'as donné de faire » (Cf. Jn 17, 4). L'évangéliste ajoute : « Entré en agonie, il priait de façon plus instante » (Lc 22, 44). Et cette angoisse mortelle s'est manifestée aussi par la sueur qui, comme des gouttes de sang, coulait sur le visage de Jésus (cf. Lc 22, 44). C'est l'expression extrême d'une souffrance qui se traduit dans la prière, et aussi dans une prière qui connaît la douleur, accompagnant le sacrifice anticipé sacramentellement au Cénacle, vécu profondément dans l'esprit à Gethsémani et qui va être consommé sur le Calvaire.
C'est sur ces moments de la prière sacerdotale et sacrificielle de Jésus que je désire attirer votre attention, chers frères, en rapport avec notre prière et avec notre vie.
La prière au coeur de la vie sacerdotale
7. Si nous joignons le Cénacle à Gethsémani dans notre méditation du Jeudi saint cette année, c'est pour comprendre combien notre sacerdoce doit être intimement lié à la prière, enraciné dans la prière.
Il est vrai que cette affirmation n'a pas besoin d'être démontrée, mais il faut plutôt la garder constamment dans l'esprit et le coeur pour que la vérité qu'elle exprime puisse s'actualiser toujours plus profondément dans la vie.
Il s'agit, en effet, de notre vie, de la vie sacerdotale elle-même, dans toute sa richesse d'abord comprise dans l'appel au sacerdoce, puis manifestée dans le ministère du salut qui en découle.
Nous savons que le sacerdoce – sacramentel et ministériel – est une participation spéciale au sacerdoce du Christ. Il n'existe pas sans lui ni en dehors de lui. Il ne se développe pas et il ne porte pas de fruits sans s'enraciner en lui. « Hors de moi vous ne pouvez rien faire » (Jn 15, 5), dit Jésus au cours de la dernière Cène en concluant la parabole de la vigne et des sarments. Lorsque, plus tard, pendant sa prière solitaire dans le jardin de Gethsémani, Jésus rejoint Pierre, Jacques et Jean et les trouve en train de dormir, il les réveille en disant : « Veillez et priez pour ne pas entrer en tentation » (Mt 26, 41).
La prière devait donc être pour les apôtres la manière concrète et efficace de participer à l' « heure de Jésus », de s'enraciner en lui et dans son mystère pascal. II en sera toujours ainsi pour nous, prêtres. Sans la prière, le péril nous menace de la « tentation » à laquelle les apôtres ont malheureusement cédé au moment où ils se sont trouvés affrontés au « scandale de la Croix » (cf. Ga 5,11).
8. Dans notre vie sacerdotale, la prière présente une diversité de formes et de sens : prière personnelle, communautaire ou liturgique (publique et officielle). Mais à la base de cette prière aux formes multiples, il doit y avoir le fondement très profond qui correspond à notre existence sacerdotale dans le Christ, réalisation spécifique de l'existence chrétienne et même, plus largement, de l'existence humaine. La prière est en effet l'expression naturelle de la conscience que nous avons d'être créés par Dieu et, plus encore, comme on le voit clairement dans la Bible, que le Créateur s'est manifesté à l'homme comme Dieu de l'Alliance.
La prière qui correspond à notre existence sacerdotale inclut naturellement tout ce qui découle de notre être chrétien, ou simplement de notre condition d'hommes faits « à l'image et à la ressemblance » de Dieu. Elle comprend, en outre, la conscience de notre existence humaine et chrétienne de prêtres. Il semble justement que nous pouvons mieux découvrir cela le Jeudi saint, en allant avec le Christ, après la dernière Cène, à Gethsémani. Là, nous sommes les témoins de la prière de Jésus, qui précède immédiatement l'accomplissement suprême de son sacerdoce par le sacrifice de lui-même sur la Croix. « Lui, survenu comme grand prêtre des biens à venir..., entra une fois pour toutes dans le sanctuaire... avec son propre sang » (He 9, 11-12). De fait, s'il était prêtre dès le début de son existence, il « devint » toutefois pleinement l'unique prêtre de l'Alliance nouvelle et éternelle par le sacrifice rédempteur qui commença à Gethsémani. Ce commencement eut lieu dans un contexte de prière.
9. C'est là pour nous, chers frères, une découverte d'une importance fondamentale en ce Jeudi saint, jour que nous considérons à juste titre comme celui où est né notre sacerdoce ministériel dans le Christ. Entre les paroles de l'institution : « Ceci est mon corps, donné pour vous », « Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang, versé pour vous », et l'accomplissement réel de ce que ces paroles expriment, il y a la prière de Gethsémani. N'est-il pas vrai que, dans le déroulement des événements de Pâques, c'est cette prière qui introduit à la réalité visible elle-même que le sacrement signifie et renouvelle à la fois ?
Le sacerdoce que nous avons reçu en héritage par un sacrement étroitement lié à l'Eucharistie est toujours un appel à participer à la même réalité divine et humaine, salvifique et rédemptrice, qui, précisément par notre ministère, doit porter des fruits toujours nouveaux dans l'histoire du salut : « Pour que vous alliez et portiez du fruit et que votre fruit demeure » (Jn 15, 16). Le saint curé d'Ars, dont nous avons célébré l'année dernière le deuxième centenaire de la naissance, nous paraît justement l'homme de cet appel ; il en ravive en nous la conscience. Dans sa vie héroïque, la prière était le moyen qui lui permettait de demeurer constamment dans le Christ, de « veiller » avec le Christ faisant face à son « heure ». Cette « heure » ne cesse d'être décisive pour le salut de tant d'hommes, confiés au service sacerdotal et à la sollicitude pastorale de tout prêtre. Dans la vie de saint Jean-Marie Vianney, cette « heure » se réalisait particulièrement par son ministère au confessionnal.
10. La prière de Gethsémani est en quelque sorte une pierre angulaire placée par le Christ comme fondation pour son service de la cause « que le Père lui avait confiée » – comme fondation pour l'oeuvre de la rédemption du monde par le sacrifice offert sur la Croix.
Participant au sacerdoce du Christ qui est inséparable de son sacrifice, nous devons, nous aussi, placer comme fondation de notre existence sacerdotale la pierre angulaire de la prière. Elle nous permettra d'harmoniser notre existence avec le ministère sacerdotal, gardant intacte l'identité et l'authenticité de cette vocation, devenue notre héritage particulier dans l'Église, communauté du Peuple de Dieu.
La prière du prêtre, en particulier celle de la Liturgie des Heures et de l'adoration eucharistique, nous aidera avant tout à être toujours profondément conscients du fait que, comme « serviteurs du Christ », nous sommes d'une manière spéciale et exceptionnelle les « intendants des mystères de Dieu » (1 Co 4,1). Quelle que soit notre tâche concrète, quel que soit le genre d'activité par lequel nous exerçons le ministère pastoral, la prière nous affermira dans la conscience de ces mystères de Dieu dont nous sommes les « intendants » et permettra que cela s'exprime dans toute notre action.
C'est aussi de cette façon que nous serons pour les hommes un signe parlant du Christ et de son Évangile.
Très chers frères ! Nous avons besoin de la prière, d'une prière profonde et, en un sens « organisée », pour pouvoir être un tel signe. « A ceci tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l'amour les uns pour les autres » (Jn 13, 35). Oui ! En définitive, c'est une question d'amour, d'amour « pour les autres » ; en effet « être », comme prêtres, « les intendants des mystères de Dieu », cela veut dire se mettre à la disposition des autres et, ainsi, rendre témoignage de l'amour suprême qui est dans le Christ, de l'amour qui est Dieu même.
11. Si la prière du prêtre renouvelle cette conscience et cette attitude dans la vie de chacun de nous, en même temps, suivant la « logique » propre au fait d'être les intendants des mystères de Dieu, elle doit constamment se développer et s'étendre à tous ceux que « le Père nous a donnés » (cf. Jn 17, 6).
C'est ce qui ressort clairement de la prière sacerdotale de Jésus au Cénacle : « J'ai manifesté ton nom aux hommes que tu as tirés du monde pour me les donner. Ils étaient à toi et tu me les a donnés et ils ont gardé ta parole » (Jn 17, 6).
A l'exemple de Jésus, le prêtre, « intendant des mystères de Dieu », est lui-même quand il est « pour les autres ». La prière lui donne une particulière sensibilité envers ces « autres », elle le rend attentif à leurs besoins, à leur vie et à leur destin. La prière permet de reconnaître aussi ceux « que le père lui a donnés »... Ce sont, avant tout, ceux que le Bon Pasteur place, pour ainsi dire, sur le chemin de son ministère sacerdotal, de sa responsabilité pastorale. Ce sont les enfants, les adultes, les aînés. Ce sont les jeunes, les époux, les familles, mais aussi les personnes seules. Ce sont les malades, ceux qui souffrent, les mourants, ceux qui sont spirituellement proches, prêts à la collaboration apostolique, mais aussi ceux qui sont éloignés, les absents, les indifférents, parmi lesquels beaucoup peuvent toutefois être en recherche et réfléchir. Ceux qui sont mal disposés pour différentes raisons, ceux qui se trouvent aux prises avec des difficultés de nature diverse, ceux qui luttent contre les vices et les péchés, ceux qui luttent pour la foi et pour l'espérance. Ceux qui recherchent l'aide du prêtre et ceux qui la repoussent.
Comment être « à » tous ceux-là – et « à » chacun d'eux – en imitant le Christ ? Comment être « à » ceux que « le Père nous donne », qu'il nous confie comme une mission ? Nous connaîtrons toujours une épreuve de l'amour, épreuve que nous devons accepter, avant tout, sur le terrain de la prière.
12. Tous, chers frères, nos savons bien ce que « coûte » cette épreuve. Ce que coûtent parfois les conversations apparemment banales avec les différentes personnes ! Ce que coûte le ministère des consciences au confessionnal ! Ce que coûte la sollicitude « pour toutes les Églises » (cf. 2 Co 11 28 : sollicitudo omnium ecclesiarum) : il s'agit des « Églises domestiques » (cf. Const. dogm. Lumen gentium, n. 11), c'est-à-dire des familles, spécialement dans leurs difficultés et leurs crises actuelles ; il s'agit de chaque individu, « temple de l'Esprit-Saint » (1 Co 6, 19) : de tout homme ou de toute femme dans sa dignité humaine et chrétienne ; il s'agit, enfin, d'une Église-communauté comme l'est la paroisse, qui demeure toujours la communauté fondamentale, ou des groupes mouvements, associations qui servent le renouveau de l'homme et de la société selon l'esprit de l'Évangile, qui sont aujourd'hui florissants dans le champ de l'Église et pour lesquels nous devons être reconnaissants à l'Esprit-Saint, lui qui fait surgir tant de belles initiatives. Un tel devoir a un « prix », nous devons y faire face avec l'aide de la prière.
La prière est indispensable pour conserver une sensibilité pastorale envers tout ce qui vient de l'« Esprit », pour « discerner » correctement et bien employer les charismes qui conduisent à l'unité et qui sont liés au ministère sacerdotal dans l'Église. En effet, c'est le devoir des prêtres de « rassembler le Peuple de Dieu », non de le diviser. Et ils accomplissent ce devoir surtout comme dispensateurs de la sainte Eucharistie.
La prière nous permettra donc, malgré beaucoup de difficultés, de donner cette preuve d'amour que doit offrir la vie de tout homme, et celle du prêtre d'une manière particulière. Et lorsqu'il nous semblera que cette preuve dépasse nos forces, rappelons-nous ce que l'évangéliste dit de Jésus â Gethsémani : « Entré en agonie, il priait de façon plus instante » (Lc 22, 44.)
13. Le Concile Vatican II présente la vie de l'Église comme un pèlerinage dans la foi (cf. Const. dogm. Lumen gentium, n. 48, etc.). Chacun de nous, chers frères, a, dans ce pèlerinage, un rôle particulier, en raison de sa vocation et de son ordination sacerdotale. Nous sommes appelés, comme ministres du Bon Pasteur, à avancer en guidant les autres, en les aidant dans leur cheminement. Comme intendants des mystères de Dieu, nous devons donc posséder une maturité dans la foi qui convienne à notre vocation et à nos tâches. En effet, « ce qu'on demande à des intendants, c'est que chacun soit trouvé fidèle » (1 Co 4, 2), du moment que le Seigneur lui confie son patrimoine.
Alors, il est bon que, dans ce pèlerinage de la foi, chacun de nous porte le regard du cœur sur la Vierge Marie, Mère de Jésus-Christ, Fils de Dieu. En effet, comme l'enseigne le Concile à la suite des Pères, elle nous « précède » dans ce pèlerinage (cf. Const. dogm. Lumen gentium, n. 58) et elle nous offre un exemple sublime que j'ai cherché à mettre en relief également dans la récente encyclique, publiée en vue de l'Année mariale à laquelle nous nous préparons.
Nous découvrons aussi en elle, la Vierge immaculée, le mystère de la fécondité surnaturelle par l'action de l'Esprit-Saint qui fait d'Elle la « figure » de l'Église. Car l'Église « devient à son tour une Mère... : par la prédication en effet, et par le baptême, elle engendre à une vie nouvelle et immortelle des fils conçus du Saint-Esprit et nés de Dieu » (Const. dogm. Lumen gentium, n. 64), selon le témoignage de l'Apôtre Paul : « Mes petits enfants, vous que j'enfante à nouveau dans la douleur » (Ga 4, 19) ; et elle le devient en souffrant comme une mère qui « s'attriste parce que son heure est venue ; mais lorsqu'elle a donné le jour à l'enfant, elle ne se souvient plus des douleurs, dans la joie qu'un homme soit venu au monde » (Jn 16, 21).
Ce témoignage n'atteint-il pas à l'essentiel de notre vocation particulière dans l'Église ? Toutefois – disons-le en concluant –, pour que le témoignage de l'Apôtre puisse devenir aussi le nôtre, il faut que nous revenions constamment au Cénacle et à Gethsémani, et que nous retrouvions le centre même de notre sacerdoce dans la prière et par la prière.
Quand, avec le Christ, nous prions : « Abba, Père », alors « l'Esprit en personne se joint à notre esprit pour attester que nous sommes enfants de Dieu » (Rm 8, 15-16). « Pareillement l'Esprit vient au secours de notre faiblesse : car nous ne savons que demander pour prier comme il faut ; mais l'Esprit lui-même intercède pour nous en des gémissements ineffables ; et Celui qui sonde les coeurs sait quel est le désir de l'Esprit » (Rm 8, 26-27).
Recevez, chers frères, mon salut pascal et un baiser de paix en Jésus-Christ notre Seigneur.
Du Vatican, le 13 avril 1987.
IOANNES PAULUS PP. II
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