LETTRE DU PAPE JEAN PAUL II
AU PRÉSIDENT DE LA DEUXIÈME ASSEMBLÉE MONDIALE
SUR LE VIEILLISSEMENT (MADRID, 8-12 AVRIL 2002)*
Monsieur le Président,
Je suis heureux de vous adresser, à vous-même et, par votre intermédiaire, à tous les participants à la deuxième Assemblée mondiale sur le Vieillissement, un salut cordial, avec mes vœux chaleureux pour le succès de vos travaux.
Vingt ans après la première Assemblée mondiale, qui a eu lieu à Vienne en 1982, votre rencontre représente un point d'arrivée significatif, mais elle constitue davantage encore un élan vers l’avenir, si l’on considère que le vieillissement de la population mondiale sera certainement l’un des phénomènes les plus marquants du XXIème siècle.
Au cours des deux décennies qui viennent de s’écouler, l’Organisation des Nations unies s’est faite la promotrice de nombreuses initiatives orientées vers la compréhension et la solution des problèmes suscités par l’augmentation croissante du nombre de personnes du troisième âge.
L’une des initiatives les plus heureuses a été l’Année internationale des Personnes âgées, célébrée en 1999, occasion efficace de rappeler à l’humanité tout entière la nécessité d’affronter de manière responsable le défi que constitue la construction d’«une société pour tous les âges».
J’ai manifesté ma participation à un tel événement par une lettre adressée aux personnes âgées, dont je me sens proche non seulement en raison de ma sollicitude pastorale mais aussi parce que je partage leur condition. Par ailleurs, le Conseil pontifical pour les Laïcs a publié un document intitulé «Dignité et mission des personnes âgées dans l’Eglise et dans le monde». A cette occasion, l’Eglise catholique a renouvelé l’engagement dont elle a toujours fait preuve envers cette catégorie de personnes, en favorisant des initiatives propres et en collaborant avec les Autorités publiques et la société civile.
Vous êtes maintenant réunis pour procéder à une évaluation d’ensemble de l’application du Plan d’action international de 1982 et pour définir des stratégies pour l’avenir. Venus de toutes les parties du monde, vous témoignez que le problème du vieillissement concerne toute l’humanité et doit être abordé d’une manière globale, en l'intégrant en particulier à la problématique complexe du développement.
Partout en effet, se produit un profond changement de la structure de la population, qui conduit à repenser la société et à réétudier non seulement sa structure économique mais aussi la manière d'envisager le cycle de la vie et les rapports entre générations. On peut dire qu’une société se révèle juste dans la mesure où elle répond aux besoins d’assistance de tous ses membres et que son niveau de civilisation va de pair avec la protection qu’elle accorde aux composantes les plus faibles du tissu social.
Comment garantir la survie d’une société en train de vieillir, tout en renforçant la protection sociale des personnes âgées et la qualité de leur vie?
Pour répondre à cette question, il est nécessaire de ne pas se laisser guider avant tout par des critères économiques mais au contraire de s’inspirer de solides principes moraux.
Il faut en premier lieu que la personne âgée soit considérée dans sa dignité de personne, dignité que n’altère ni le nombre des années ni la dégradation de la santé physique ou psychique. Il est évident que cette considération positive ne peut trouver un terrain fécond que dans une culture capable de dépasser les stéréotypes sociaux qui mesurent la valeur de la personne à l'aune de sa jeunesse, de son efficacité, de sa forme physique ou de sa pleine santé. L’expérience enseigne que, lorsque ce regard positif fait défaut, la personne âgée est plus facilement marginalisée, reléguée dans une solitude assimilable à une vraie mort sociale. Et l’estime que la personne âgée nourrit envers elle-même ne dépend-elle pas en grande partie du regard que l’on porte sur elle dans sa famille et dans la société ?
Pour être crédible et effective, l’affirmation de la dignité de la personne âgée est appelée à s’exprimer à travers des politiques orientées vers une distribution équitable des ressources, de sorte que tous les citoyens, même les personnes âgées, puissent en bénéficier.
Il s’agit d’une tâche difficile, qui ne peut se réaliser que si l’on fait valoir le principe de la solidarité, de l’échange entre les générations, de l’aide mutuelle. Une telle solidarité est appelée à être mise en œuvre non seulement à l'intérieur des diverses Nations mais aussi entre les peuples, par un engagement qui porte à prendre en charge les profondes inégalités économiques et sociales entre le Nord et le Sud de la planète. Sous l'emprise de la pauvreté, en effet, beaucoup de principes de solidarité risquent d'être ébranlés, faisant des victimes dans les couches les plus fragiles de la population, entre autres chez les personnes âgées.
La solution des problèmes liés au vieillissement de la population trouve certes une aide dans l’intégration effective des personnes âgées dans le tissu social, faisant appel à l’expérience, aux connaissances et à la sagesse qu’elles peuvent offrir. Les personnes âgées ne doivent donc pas être considérées comme un poids pour la société, mais au contraire comme une ressource qui peut contribuer à son bien-être. Elles peuvent non seulement témoigner qu’il y a des secteurs de la vie, comme les valeurs humaines et culturelles, morales et sociales, qui ne se mesurent pas en termes économiques et fonctionnels, mais elles peuvent aussi offrir un apport concret dans le domaine du travail et de la responsabilité. Il s’agit en définitive, non seulement de faire quelque chose en faveur des personnes âgées, mais aussi d’accepter ces personnes comme des collaborateurs responsables, sous des formes concrètement possibles, et comme des agents de projets communs, au niveau de la réflexion, du dialogue et de l'action.
Il faut aussi accompagner ces politiques par des programmes de formation destinés à éduquer les individus, tout au long de leur vie, à la condition du troisième âge, les rendant capables de s’adapter aux changements des modes de vie et de travail, qui deviennent de plus en plus rapides. Il s'agit d'une formation centrée non seulement sur le faire, mais aussi et surtout sur l’être, attentive aux valeurs qui incitent à apprécier la vie à toutes ses étapes, en acceptant aussi bien les possibilités que les limites qu’elle offre.
Bien que la vieillesse soit à considérer de manière positive, et dans le but de développer toutes ses potentialités, il ne faut pas ignorer ou cacher les difficultés de la vie humaine ni sa fin inéluctable. S’il est vrai, comme l’affirme la Bible à propos de l'homme, que, «vieillissant, il fructifie encore» (Ps 92/91, 15), il reste vrai aussi que le troisième âge est une saison de la vie où la personne est particulièrement vulnérable, victime de la fragilité humaine. Très souvent, l’apparition de maladies chroniques réduit la personne âgée à l’invalidité et rappelle inévitablement le moment de la fin de la vie. Dans ces moments particuliers de dépendance et de souffrance, les personnes âgées ont besoin non seulement d’être soignées avec les moyens qu'offrent la science et la technique mais aussi d’être accompagnées avec compétence et amour, afin qu’elles ne se considèrent pas comme un poids inutile ou, pire encore, qu’elles en arrivent à désirer et à demander la mort.
Notre civilisation doit assurer aux personnes âgées une assistance pleine d’humanité et imprégnée de valeurs authentiques. A cet égard, peuvent avoir un rôle déterminant le développement des soins palliatifs, la collaboration des bénévoles, l’implication des familles – qui doivent donc être aidées à faire face à leur responsabilité – et l’humanisation des institutions sanitaires et sociales qui accueillent les personnes âgées. Il s’agit d’un vaste champ où l’Eglise catholique, en particulier, a offert – et continue d’offrir – une contribution importante et constante.
Réfléchir sur la vieillesse signifie donc prendre en considération la personne humaine, qui, de la naissance au déclin de la vie, est un don de Dieu, son image et son empreinte; cela signifie aussi mettre tout en œuvre pour que, à chaque moment de son existence, elle soit considérée dans sa dignité et dans son intégralité.
Sur vous, Monsieur le Président, et sur tous les participants à la deuxième Assemblée mondiale sur le vieillissement, j’invoque la protection du Seigneur de la vie!
Du Vatican, le 3 avril 2002
*L'Osservatore Romano. Edition hebdomadaire en langue française n.16 p.5.
La Documentation Catholique n.2274 p.658-660.
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