Mesdames, Messieurs,
1. Je suis heureux de vous adresser mon salut cordial à l'occasion du Congrès européen d'étude que le Bureau pour la pastorale universitaire du Vicariat de Rome a organisé en collaboration avec la Commission des Episcopats de la Communauté européenne et la Fédération des Universités catholiques d'Europe.
La forme interrogative donnée au thème de réflexion du Congrès - "Vers une constitution européenne?" - attire l'attention sur la phase particulièrement importante dans laquelle est entré le processus de construction de la "maison commune européenne". Il semble en effet que le moment est arrivé de mettre en oeuvre des réformes institutionnelles importantes, souhaitées et préparées durant ces dernières années et rendues encore plus urgentes et nécessaires par les adhésions prévues de nouveaux Etats membres.
L'élargissement de l'Union européenne, ou mieux encore, l'"européisation" de toute la région continentale, que j'ai souvent appelée de mes voeux, constitue une priorité à poursuivre avec courage et sans délai, en apportant une réponse concrète à l'attente de millions d'hommes et de femmes qui sont conscients d'être liés par une histoire commune et qui espèrent un destin d'unité et de solidarité. Cela implique de repen-ser les structures institutionnelles de l'Union européenne, pour les adapter aux nouvelles exigences, et requiert dans le même temps l'identification d'un nouvel ordre dans lequel soient explicités les objectifs de la construction européenne, les compétences de l'Union et les valeurs sur lesquelles elle doit être fondée.
2. Face aux différentes solutions possibles de ce "processus" européen complexe et important, l'Eglise, fidèle à son identité et à sa mission évangélisatrice, applique ce qu'elle a déjà déclaré à l'égard des Etats, c'est-à-dire de ne pas avoir "de qualité pour exprimer une préférence de l'une ou de l'autre solution institutionnelle ou constitutionnelle", et de vouloir respecter de façon cohérente l'autonomie légitime de l'ordre démocratique (cf. Centesimus annus, n. 47). Dans le même temps, en vertu précisément de cette identité et de cette mission elle-même, elle ne peut rester indifférente face aux valeurs qui inspirent les divers choix institutionnels. En effet, on ne peut douter que dans les choix qui, régulièrement, sont fait à cet égard, des problématiques d'ordre moral sont en jeu, puisque ces choix, dans toutes leurs implications, sont inévitablement l'expression, dans un contexte historique particulier, des conceptions sur la personne, sur la société et sur le bien commun dont ils naissent et auxquelles ils sont soumis. C'est précisément cette conscience qui fonde le droit et le devoir de l'Eglise d'intervenir en apportant la contribution qui est la sienne, qui renvoie à une vision de la dignité de la personne humaine avec toutes ses implications, qui sont explicitées dans la doctrine sociale catholique.
Dans cette perspective, la recherche et la définition d'un nouvel ordre, que visent également les travaux de la "Convention" instituée par le Conseil européen de décembre 2001 à Laeken, doivent être saluées comme des avancées positives en elles-mêmes. En effet, elles visent au renforcement souhaitable du cadre institutionnel de l'Union européenne qui, grâce à un réseau librement mis en place de liens et de coopérations, peut contribuer efficacement au développement de la paix, de la justice et de la solidarité sur tout le continent.
3. Un nouvel ordre européen de ce genre doit toutefois, pour être vraiment adapté à la promotion du bien commun authentique, reconnaître et défendre les valeurs qui constituent le patrimoine le plus précieux de l'humanisme européen, qui a assuré et continue d'assurer à l'Europe un rayonnement particulier dans l'histoire de la civilisation. Ces valeurs représentent la contribution intellectuelle et spirituelle qui a façonné de la façon la plus caractéristique l'identité européenne au cours des siècles et elles appartiennent à l'héritage culturel propre à ce continent. Comme je l'ai rappelé plusieurs fois, elles concernent: la dignité de la personne; le caractère sacré de la vie humaine; le rôle central de la famille fondée sur le mariage; l'importance de l'éducation; la liberté de pensée, d'expression et de profession de ses convictions et de sa religion; la protection juridique des individus et des groupes; la collaboration de tous au bien commun; le travail considéré comme un bien personnel et social; le pouvoir politique entendu comme un service, soumis à la loi et à la raison et "limité" par les droits de la personne et des populations.
Il sera en particulier nécessaire de reconnaître et de sauvegarder en chaque occasion la dignité de la personne humaine et le droit à la liberté religieuse entendu dans sa triple dimension: individuelle, collective et institutionnelle. Il faudra, en outre, accorder une place au principe de subsidiarité dans ses dimensions horizontales et verticales, ainsi qu'à une vision des relations sociales et communautaires fondée sur une culture et une éthique de la solidarité authentique.
4. Les racines culturelles qui ont contribué à l'affirmation des valeurs rappelées jusqu'ici sont nombreuses: allant de l'esprit de la Grèce à celui du monde romain; des apports des peuples latins, celtes, germaniques, slaves et hongro-finnois, à ceux de la culture juive et du monde islamique. Ces divers facteurs ont trouvé dans la tradition judéo-chrétienne une force capable de les harmoniser, de les consolider et de les promouvoir. En reconnaissant cette donnée historique, dans le processus en oeuvre vers un nouvel ordre institutionnel, l'Europe ne pourra pas ignorer son héritage chrétien, étant donné qu'une grande partie de ce qu'elle a produit dans le domaine juridique, artistique, littéraire et philosophique a été influencé par le message évangélique.
Sans céder à aucune tentation de nostalgie, et en ne se contentant pas non plus d'une reproduction mécanique des modèles du passé, mais en s'ouvrant aux nouveaux défis présents, il faudra donc s'inspirer, avec une fidélité créative, des racines chrétiennes qui ont marqué l'histoire européenne. C'est la mémoire historique qui l'exige, mais également et surtout la mission de l'Europe appelée, aujourd'hui encore, à être un exemple de progrès véritable, à promouvoir la mondialisation dans la solidarité et sans exclusion, à contribuer à l'édification d'une paix juste et durable, en son sein et dans le monde entier, à mêler des traditions culturelles différentes pour donner vie à un humanisme dans lequel le respect des droits, la solidarité, la créativité permettent à chaque homme de réaliser ses plus nobles aspirations.
5. Une tâche vraiment ardue attend les hommes politiques européens! Pour y faire face de façon adaptée, il faudra que, tout en respectant une juste conception de la laïcité des institutions politiques, ils sachent accorder aux valeurs susmentionnées l'enracinement profond de type transcendant qui s'exprime dans l'ouverture à la dimension religieuse.
Cela permettra, entre autres, de réaffirmer le caractère non absolu des institutions politiques et des pouvoirs publics, précisément en raison de l'"appartenance" prioritaire et innée de la personne humaine à Dieu, dont l'image est inscrite de façon indélébile dans la nature même de chaque homme et de chaque femme. Si cela ne se produisait pas, on risquerait de légitimer les orientations de laïcisme et de sécularisme agnostique et athée qui conduisent à l'exclusion de Dieu et de la loi morale naturelle dans les divers domaines de l'existence humaine. Ce serait, en premier lieu, la coexistence civile dans son ensemble sur le continent qui en paierait tragiquement les conséquences, comme l'a démontré l'histoire européenne elle-même.
6. Dans tout ce processus, doivent également être reconnus et sauvegardés l'identité spécifique et le rôle social de l'Eglise et des confessions religieuses. En effet, celles-ci ont toujours joué et continuent à jouer un rôle déterminant, sous de nombreux points de vue: dans l'éducation aux valeurs à la base de la coexistence, en proposant des réponses aux questions fondamentales concernant le sens de la vie, en promouvant la culture et l'identité des peuples, en offrant à l'Europe ce qui concourt à lui donner un fondement spirituel souhaitable et nécessaire. Du reste, celles-ci ne peuvent pas être limitées à de simples entités privées, mais elles agissent à travers une présence institutionnelle spécifique, qui mérite d'être appréciée et valorisée au niveau juridique, en respectant et non en portant préjudice au statut dont elles bénéficient dans les législations des divers Etats membres de l'Union.
Il s'agit, en d'autres termes, de réagir à la tentation d'édifier la coexistence européenne en excluant la contribution des communautés religieuses, la richesse de leur message, de leur action et de leur témoignage: cela ôterait, entre autres, au processus de construction européenne des énergies importantes pour la fondation éthique et culturelle de la coexistence civile. Je souhaite donc que - selon la logique d'une "saine collaboration" entre communauté ecclésiale et communauté politique (cf. Gaudium et spes, n. 76) - les institutions européennes, sur ce chemin, sachent entamer un dialogue avec les Eglises et les Confessions religieuses, selon des formes adaptées, en accueillant la contribution qu'elles peuvent certainement apporter, en vertu de leur spiritualité et de leur engagement pour l'humanisation de la société.
7. Je désire enfin m'adresser aux communautés chrétiennes elles-mêmes et à tous les croyants dans le Christ, en leur demandant de mettre en oeuvre une action culturelle vaste et développée. En effet, il est urgent et nécessaire de montrer - en utilisant la force d'argumentations convaincantes et d'exemples porteurs - qu'édifier la nouvelle Europe en la fondant sur les valeurs qui l'ont modelée tout au long de son histoire et qui plongent leurs racines dans la tradition chrétienne, est bénéfique pour tous, quelle que soit la tradition philosophique ou spirituelle à laquelle on appartient, et que cela constitue un fondement solide pour une coexistence plus humaine et plus pacifique, car respectueuse de tous et de chacun.
Sur la base de ces valeurs partagées, il sera possible de parvenir à des formes de consensus démocratique qui sont nécessaires pour définir, également au niveau institutionnel, le projet d'une Europe qui soit véritablement la maison de chacun, dans laquelle aucune personne et aucun peuple ne se sente exclu, mais où tous puissent se sentir appelés à participer à la promotion du bien commun sur le continent et dans le monde entier.
8. Dans cette perspective, il est juste d'attendre beaucoup des Universités catholiques européennes, qui ne manqueront pas de développer une réflexion approfondie sur les divers aspects d'une problématique aussi intéressante. Le Congrès actuellement en cours ne manquera pas d'apporter certainement lui aussi sa précieuse contribution à cette recherche.
En invoquant sur l'engagement de chacun la lumière et le réconfort de Dieu, j'envoie à tous une Bénédiction apostolique spéciale.
Du Vatican, le 20 juin 2002
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