DISCOURS DU PAPE PAUL VI
AUX ÉVÊQUES DE LA RÉGION DU SUD-OUEST DE FRANCE
EN VISITE «AD LIMINA APOSTOLORUM»
Lundi 18 avril 1977
Chers Frères dans le Christ,
Nous sommes très heureux de vous accueillir et d’avoir avec vous cet entretien que Nous voulons empreint de simplicité, de cordialité et de confiance. Cette visite Nous rend plus proche et plus concret le visage de chacun d’entre vous, et aussi celui de vos diocèses: la grande agglomération de Bordeaux, et les diocèses plus ruraux d’Agen, d’Angoulême, de Bayonne, de Limoges, de Périgueux, de Tulle. En votre personne, Nous accueillons vos prêtres et vos fidèles, auxquels vous redirez notre affection et notre espérance. Nous attribuons beaucoup d’importance à ce moment où il Nous est donné de confirmer nos Frères, en discernant avec eux ce qui est le meilleur pour le Royaume de Dieu.
Vous avez pris soin de préparer ensemble, et avec vos collaborateurs, une présentation globale, claire et lucide, de vos problèmes pastoraux. La façon dont vous décrivez la situation religieuse, selon les régions et les milieux, en relevant les difficultés, mais aussi les valeurs et les espoirs, a retenu toute notre attention, et Nous avons lu avec intérêt votre « projet » qui trace des voies d’évangélisation pour «l’Eglise en notre temps». L’essentiel Nous semble exposé dans ces rapports.
Par ailleurs, vous avez pu vous entretenir avec la plupart de nos Dicastères: informés avec précision de vos efforts apostoliques et de vos questions, ils vous ont fait eux-mêmes bénéficier de leurs observations, grâce à la compétence plus universelle qui est la leur et à l’autorité que Nous leur conférons. Tel est l’échange vital que Nous souhaitons développer.
Pour notre part, Nous ajouterons seulement quelques encouragements particuliers.
D’abord Nous attribuons une importance déterminante à la communion qu’il faut entretenir entre tous les membres du Peuple de Dieu, responsables chacun à leur place. C’est le meilleur témoignage, le témoignage original, que nous pouvons donner au monde. L’Eglise est communion. Et c’est la garantie d’un ministère fidèle et fécond. Une telle communion suppose échanges, dialogue, collaboration, recherche humble de la Vérité, respect des autres, renoncement, docilité, en un mot l’amour: l’agapê du Christ. Elle doit s’établir à tous les niveaux.
Communion avec l’Eglise de Rome, avec le Saint-Siège: plus l’apôtre s’engage dans une mission particulière et difficile – et c’est bien votre cas - plus il doit maintenir vivants et confiants ses rapports avec le cœur de l’Eglise.
Communion avec l’Eglise universelle: la collégialité suppose non seulement la même profession de foi, mais un consensus sur l’ensemble des orientations communes à toute l’Eglise et une réelle solidarité dans la prière et l’entraide.
Communion entre Evêques, dans votre pays: que ce soit au niveau national, à Lourdes, au Conseil permanent, ou au niveau de votre région apostolique du Sud-Ouest. Nous savons que vous travaillez beaucoup ensemble, avec méthode, pour mieux cerner les réalités mouvantes, affermir devant Dieu la conscience de vos devoirs et mettre au point des orientations communes, qui ne déchargent évidemment aucun Evêque de ses propres responsabilités. Et Nous apprécions particulièrement le climat de prière qui imprègne vos rencontres.
Communion avec vos prêtres ! De plus en plus ils éprouvent le besoin de contacts avec vous, et d’encouragements, à une heure où le ministère est certainement difficile et parfois incompris. Puissentils former autour de vous un presbyterium qui soit une communion: sans le témoignage de leur amour mutuel et de leur collaboration fraternelle, dans la diversité des sensibilités et la complémentarité des tâches, il serait vain et hypocrite de prétendre édifier l’Eglise. Et vous-mêmes, sans-jamais renoncer à une autorité nécessaire, vous cherchez un nouveau style de présence et de soutien: entretiens fréquents, rencontres des équipes sacerdotales, visite des prêtres au sein de leurs activités de paroisses, d’aumôneries, de mouvements, attention à ceux qui sont exposés à plus de difficultés, sans négliger les autres. Le dialogue que vous avez avec eux doit vous permettre de leur parler avec affection et confiance, en toute vérité et liberté. Ils comprendront que vous fassiez appel, fermement si c’est nécessaire, à leurs responsabilités de serviteurs de la Parole de Dieu et des mystères, et aux exigences de la communion avec l’ensemble de l’Eglise. Les fidèles s’étonneraient à bon droit que des abus manifestes soient tolérés par ceux qui ont reçu la charge de l’«épiscopat», qui signifie, depuis les premiers temps de l’Eglise, vigilance et unité. Le Pasteur est celui qui accompagne le troupeau, avec sollicitude pour chacun, mais aussi celui qui marche en tête, pour tracer courageusement la voie. Avec l’Apôtre Pierre, redites aux «anciens» qui sont vos prêtres: «Ne faites pas peser votre autorité, mais soyez les modèles du troupeau» (1 Petr. 5. 3).
Communion encore avec les religieux et les religieuses, dans le respect de leur vocation propre. Ne craignez pas de rappeler, à celles qui sont vouées à la vie active, leur responsabilité dans l’évangélisation, et, Nous insistons, dans l’évangélisation directe: catéchèse, animation et service des communautés ou mouvements, aves toutes leurs qualités de foi et de cœur.
Enfin, communion à promouvoir entre les laïcs chrétiens, trop enclins à s’ignorer, et qui va bien au-delà de la confrontation épisodique. A ce sujet, Nous souhaitons avec vous que les Conseils pastoraux prennent effectivement leur place souhaitée par le Concile (Christus Dominus, 2 7). Pour vous, Nous savons les longs moments - soirées, récollections - que vous consacrez aux militants pour les aider à faire de leur action et de leur projet une œuvre d’Eglise. Mais c’est aussi l’ensemble du peuple chrétien qui a besoin de garder contact avec vous, et les occasions ne manquent pas: fêtes paroissiales, rassemblements, pèlerinages. Bref, favorisez la communion à tous les niveaux.
Un autre point important: Nous tenons expressément à encourager vos efforts et ceux de vos prêtres pour susciter une participation éclairée et vivante du peuple chrétien à la sainte Liturgie, dans l’esprit de votre récente Assemblée de Lourdes. Nous connaissons et admirons les célébrations qui témoignent, dans vos églises de villes et de campagnes, d’un véritable esprit liturgique et d’une fidélité exemplaire aux normes de Vatican II. C’est votre joie et la nôtre! Nous devons également encourager votre vigilance et votre fermeté. La liturgie catholique doit demeurer théocentrique. C’est sa nature même. C’est l’esprit de la rénovation accomplie par le Concile. Permettez-nous de nous arrêter un instant à la célébration de l’Eucharistie. Elle se situe bien au-delà d’une rencontre fraternelle et d’un partage de vie. Saint Paul ne craignait pas de la rappeler aux chrétiens de Corinthe (1 Cor. 11, 22). L’Eucharistie est essentiellement la réitération du sacrifice rédempteur du Christ. C’est une réalité dont aucun ministre, aucun laïc n’est propriétaire. C’est un mystère sacré qui requiert une atmosphère de gravité et de dignité, et ne supporte pas la médiocrité ou le laisser-aller du lieu, de la tenue vestimentaire, des objets du culte. Simplicité, oui! Désinvolture, jamais! Nous félicitons et stimulons les diocèses qui, de diverses manières, proposent aux fidèles une formation liturgique digne de ce nom. Un tel travail, loin des inventions faciles, permettra au culte catholique de conserver son identité d’exprimer et de nourrir la foi du Peuple des baptisés.
Dans la synthèse de vos rapports, Nous avons noté avec la plus grande satisfaction votre volonté de «relancer l’appel» au ministère ordonné, à la vie religieuse, aux ministères institués. Il est bien certain que, depuis des années, un peu partout dans l’Eglise, la notion du sacerdoce et de la vie consacrée est comme recouverte d’un certain brouillard, engendré par d’interminables recherches et par des abandons véritablement épidémiques. Faut-il désespérer? Absolument pas! C’est dans ce contexte que vous avez à réjoindre les jeunes d’aujourd’hui pour leur présenter vous-mêmes le visage immuable, à travers le temps, du sacerdoce catholique et de la vie religieuse. Tant de jeunes sont capables d’entendre l’appel! Vous en êtes justement persuadés ! Assurément ces jeunes disciples du Christ ont besoin de lieux de formation. Quiconque se destine à une responsabilité importante doit accepter des années exigeantes, austères même, d’Université, d’Ecole professionnelle, etc. Le ministère sacerdotal en particulier ne pourra jamais faire l’économie de centres spécifiques de formation spirituelle, doctrinale et pastorale. «Relancer l’appel»! Nous gardons votre formule dans notre cœur et notre prière. Elle correspond si bien à une donnée constante de l’Evangile et de la Tradition ecclesiale. Elle est vraiment dans le sens de l’histoire!
Enfin, Nous aurions aimé parler plus longuement de l’apostolat dans les différents milieux, Nous avons récemment insisté avec vos confrères du Nord sur le rôle et la formation des laïcs. Il est difficile d’établir une priorité dans l’évangélisation, car tous les milieux en ont un besoin particulier. Nous notons avec gravité la dispersion et le désarroi humain et religieux du monde étudiant: c’est lourd de conséquences pour l’avenir! Aussi encourageons-Nous de façon spéciale ceux qui se préparent à assumer cet apostolat délicat: il exige une solide formation théologique et profane, mais par dessus tout un attachement fervent à la personne du Christ et à son Eglise. Le milieu ouvrier est depuis longtemps aussi l’objet de votre sollicitude, à travers des obstacles persistants: une déchristianisation accentuée, et un esprit marxiste pénétrant. Il faut aider les ouvriers chrétiens engagés dans le progrès social à demeurer critiques à l’égard de l’idéologie athée et des moyens non évangéliques. Une partie des milieux indépendants et de larges secteurs ruraux connaissent aussi les effets du matérialisme et de l’indifférentisme. Mais que cette vision lucide ne vous décourage pas! C’est le lot de toute l’Eglise de repartir sans cesse avec une poignée de témoins convaincus. L’Eglise est toujours missionnaire. Vous-mêmes vous notez des signes de renouveau, au moins à l’état de germes: laïcs plus responsables, éveil de nouvelles communautés . . . Alors encouragez-les, en vérifiant toujours la qualité du levain et les «critères objectifs pour l’identité chrétienne», précisés dans votre récent document sur l’accueil et l’annonce de la parole de Dieu. «N’éteignez pas l’Esprit . . . Eprouvez tout, retenez ce qui est bon», disait déjà l’Apôtre Paul (1 Thess. 5, 19).
Tous au cours de cet entretien, Nous avons relevé votre généreux dévouement pastoral, parfois au milieu d’incompréhensions et de sacrifices. Alors Nous concluons: «Age quod agis»: accomplissez au mieux ce que vous devez faire.
Et comment nous quitter sans évoquer la mémoire d’un grand Docteur de l’Eglise, évêque de votre région, saint Hilaire de Poitiers? N’est-ce pas l’un des créateurs du «langage théologique» de l’Occident? Ses grandes œuvres sont encore une lumière pour nous. Il nous rappelle notamment que la sûreté doctrinale, - c’était l’épreuve décisive de l’arianisme - empêche l’Eglise de se dissoudre dans les idéologies du temps, en lui redonnant toute sa vigueur.
Avec ce saint Evêque, prions le Seigneur de nous aider à conserver et à repandre la foi! (S. HILARII PICTAVIENSIS De Trinitate, Lib. XII in fine.) Et que le Christ ressuscité renouvelle sans cesse l’espérance en vos cœurs! Avec notre Bénédiction Apostolique.
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