LETTRE ENCYCLIQUE
UBI ARCANO DEI CONSILIO
DU SOUVERAIN PONTIFE
PIE XI
DE LA PAIX DU CHRIST DANS LE RÈGNE DE DIEU
Aux Patriarches, Primats, Archevêques, Evêques et autres ordinaires en paix et communion avec le Siège Apostolique
Vénérables Frères, Salut et Bénédiction Apostolique
Du jour où, sans que nul mérite assurément Nous signalât, un mystérieux dessein de la Providence divine Nous eut élevé sur cette Chaire de vérité et de charité, Nous Nous proposâmes, Vénérables Frères, de vous exprimer le plus tôt possible, en une Lettre Encyclique, Nos sentiments de vive affection, à vous et par vous à tous Nos fils bien-aimés dont vous êtes directement chargés.
Cette résolution, Nous croyons l'avoir manifestée lorsque, à peine élu, Nous avons, du balcon de la basilique vaticane, devant une foule immense, donné Notre bénédiction Urbi et Orbi, à Rome et au monde; le concert de joyeuses félicitations par lequel de tous les coins de l'horizon, le Collège sacré des cardinaux au premier rang, vous avez accueilli cette bénédiction, Nous apporta, au moment d'assumer le fardeau si inattendu du pontificat, un réconfort bien opportun, le plus précieux après la confiance que Nous mettions dans le secours divin.
Aujourd'hui enfin, à la veille de la Nativité de Notre-Seigneur Jésus-Christ et au seuil d'une nouvelle année, il Nous est donné de vous adresser la parole (II Cor. VI, 11). Que cette lettre soit pour vous comme un de ces présents traditionnels qui traduisent les vœux de bonheur d'un père à ses enfants.
Si Nous n'avons pu le faire plus tôt, comme Nous le souhaitions, c'est que des empêchements successifs y ont jusqu'ici mis obstacle.
Tout d'abord, il fallut répondre aux adresses délicates des catholiques qui, dans les lettres qui Nous arrivaient chaque jour innombrables, saluaient le nouveau successeur de saint Pierre avec tous les témoignages de la plus ardente piété filiale. Puis, tout de suite, Nous eûmes à connaître ces préoccupations de chaque jour dont parle l'Apôtre, le souci de toutes les Eglises (II Cor. XI, 28).
Et des problèmes nouveaux vinrent accroître la tâche ordinaire de Notre charge. Il nous fallut poursuivre les démarches d'une haute importance que Nous avions trouvées engagées au sujet de la Terre Sainte ainsi que du statut à assurer en ce pays aux chrétiens et à des Églises vénérables entre toutes.
Fidèle à Notre mission, Nous eûmes, auprès des Conférences où les Etats vainqueurs débattaient le sort des peuples, à défendre la cause de la charité en même temps que de la justice, surtout en les priant d'accorder la considération qu'ils méritent aux intérêts spirituels, dont la valeur n'est pas inférieure mais supérieure à celle des intérêts temporels.
Nous dûmes rechercher tous les moyens de secourir d'innombrables populations lointaines minées par la famine et des souffrances de toute sorte, et Nous y avons travaillé soit en expédiant les plus larges secours que permettaient Nos pauvres ressources, soit en faisant appel à la générosité de l'univers entier.
Dans le pays même où nous avons vu le jour et au centre duquel Dieu a dressé le Siège de Pierre, il fallut Nous ingénier à apaiser les conflits que les excès de la violence multipliaient depuis quelque temps et qui semblaient menacer des pires dangers une nation très chère.
Parallèlement, des événements se produisirent qui Nous apportèrent une profonde joie. Les fêtes du XXVIème Congrès eucharistique international et du tricentenaire de la fondation de la Ste Congrégation de la Propagande inondèrent Notre âme de célestes consolations avec une abondance que Nous pouvions difficilement espérer au début de Notre pontificat. Il nous fut donné ainsi de recevoir en audience particulière presque tous Nos chers Fils les cardinaux, et même un tel nombre de Nos Vénérables Frères les évêques qu'il ne serait pas aisé d'en voir davantage en l'espace de plusieurs années. En outre, des foules considérables de fidèles, qui étaient comme autant de délégations de la famille presque infinie confiée à Notre sollicitude par le Seigneur, et, comme dit l'Apocalypse (V, 9), constituée de toute tribu, de toute langue, de toute race, de toute nation, ont pu Nous être présentées et recevoir la consolation, que Nous désirions tant leur donner, d'une paternelle attention.
Ce fut alors comme des visions de paradis qui se déroulèrent devant Nous : Jésus-Christ Notre Rédempteur, caché sous les voiles eucharistiques, s'avançant, tel un triomphateur, à travers la ville de Rome au milieu d'un imposant cortège de fidèles accourus de toutes parts, semblant rentrer en possession des honneurs dus au Roi des individus et des nations ; prêtres et pieux laïques, comme au sortir d'une nouvelle Pentecôte, manifestant an grand jour la ferveur et la flamme apostolique dont brillaient leurs âmes ; la foi vivace du peuple romain, attestée comme jadis à la face du monde entier, pour la plus grande gloire de Dieu et le plus grand bien des âmes.
De son côté, la Vierge Marie, Mère de Dieu en même temps que notre toute bonne Mère à tous, elle qui Nous avait déjà souri dans ses sanctuaires de Czenstochowa et d'Ostrabrama, à la Grotte miraculeuse de Lourdes, et surtout à Milan du haut du piédestal aérien qui surmonte le Dôme ainsi que du sanctuaire voisin de Rhô, parut agréer l'hommage de piété filiale que Nous lui rendîmes quand, après réparation des ravages causés par l'incendie, Nous fîmes remplacer dans la sacrée basilique de Lorette sa statue vénérée, artistement reconstituée ici même, consacrée et couronnée de Nos propres mains. Ce fut pour l'auguste Vierge elle aussi comme un magnifique et éclatant voyage triomphal : du Vatican à Lorette, dans toutes les localités qu'elle traversa, la sainte image fut de la part des pieux fidèles l'objet d'un concert ininterrompu de louanges, et les gens de toutes classes, accourant des alentours au-devant d'elle, manifestèrent leur attachement profond et leur dévouement envers Marie et envers le Vicaire de Jésus-Christ.
À la leçon des événements joyeux ou tristes dont Nous venons de consigner le souvenir pour la postérité, Nous sommes arrivé peu à peu à Nous faire une idée de plus en plus claire de la tâche principale qui s'imposait à Nous dans le suprême pontificat et des paroles qu'il importait d'écrire en ce message d'avènement.
C'est un fait évident pour tous : ni les individus, ni la société, ni les peuples n'ont encore, après la catastrophe d'une pareille guerre, retrouvé une véritable paix ; la tranquillité active et féconde que le monde appelle n'est pas encore rétablie. Il convient de mesurer d'abord avec soin l'étendue et la gravité de cette crise, puis d'en rechercher les causes et les origines, si l'on veut — comme Nous le désirons Nous-même — y appliquer le remède approprié. C'est précisément à quoi, en vertu de Notre charge apostolique, Nous Nous proposons de consacrer cette lettre, et ce qui sera dans la suite le but de Nos constants efforts.
L'état de choses n'a pas changé qui a préoccupé, durant tout son pontificat, Notre très regretté prédécesseur Benoît XV ; il est donc logique que Nous fassions Nôtres ses initiatives et ses vues en ce qui concerne ces questions. Il est à souhaiter que tous les gens de bien s'associent à Notre propre manière de voir et à Nos projets, et Nous prêtent leur concours actif et empressé en vue d'obtenir de Dieu une réconciliation sincère et durable entre les hommes.
Les prophètes ont des mots qui s'appliquent et conviennent merveilleusement à notre époque : Nous attendions la paix et nous n'avons rien obtenu de bon ; le temps du remède, et voici la terreur (Jer. VIII, 15) ; le temps de la guérison, et voici l'épouvante (Jer. XIV, 19). Nous attendions la lumière, et voici les ténèbres...; le jugement, et il n'y en a pas ; le salut, et il s'est éloigné de nous (Is. LIX, 9-11). Si en Europe on a déposé les armes, vous savez que dans le Proche Orient s'amoncellent des menaces de guerres nouvelles ; en ce pays, sur d'immenses étendues de territoire, ce n'est partout, comme Nous avons eu l'occasion de le dire, qu'horreur et misère ; une multitude d'infortunés, surtout de vieillards, de femmes et d'enfants, succombent chaque jour à la famine, aux épidémies et aux dévastations. Dans tous les pays qui ont participé à la dernière guerre, les vieilles haines ne sont point tombées encore ; elles continuent de s'affirmer ou sournoisement dans les intrigues de la politique comme dans les fluctuations du change, ou sur le terrain découvert de la presse quotidienne et périodique ; elles ont même envahi des domaines qui de par leur nature sont fermés aux conflits aigus, tels que l'art et la littérature.
Il en résulte que des inimitiés et des attaques réciproques entre Etats empêchent les peuples de respirer ; et ce ne sont pas seulement les vaincus qui sont aux prises avec les peuples vainqueurs, mais les vainqueurs eux-mêmes se traitent mutuellement en ennemis, les plus faibles se plaignant d'être opprimés et dépouillés par les plus forts, et ceux-ci se déclarant victimes des haines et des embûches des plus faibles.
Ces pénibles conséquences de la dernière guerre, tous les pays sans exception les ressentent ; elles accablent les nations vaincues, mais elles pèsent lourdement sur celles mêmes qui n'ont point pris part à la lutte. Et, le remède tardant à venir, la crise devient chaque jour plus intolérable ; d'autant plus que les multiples échanges de vues auxquels les hommes politiques ont procédé jusqu'ici, et leurs efforts pour remédier à la situation ont donné un résultat nul, et pire même qu'on ne prévoyait.
De là comme une nécessité pour toutes les nations, dans la crainte toujours croissante de nouveaux conflits plus épouvantables, de vivre sur le pied de guerre, ce qui, outre l'épuisement du trésor public, amène l'affaiblissement physique de la race et la perturbation dans la culture intellectuelle comme dans la vie religieuse et morale.
Aux inimitiés extérieures entre peuples viennent s'ajouter, fléau plus triste encore, les discordes intestines qui mettent en péril les régimes politiques et la société même.
Il faut signaler en premier lieu cette lutte de classe qui, tel un ulcère mortel, s'est développée au sein des nations, paralysant l'industrie, les métiers, le commerce, tous les facteurs enfin de la prospérité, privée et publique. Cette plaie est rendue plus dangereuse encore du fait de l'avidité des uns à acquérir les biens temporels, de la ténacité des autres à les conserver, de l'ambition commune à tous de posséder et de commander. De là de fréquentes grèves, volontaires ou forcées ; de là encore des soulèvements populaires et des répressions par la force publique, fort pénibles et dommageables pour tous les citoyens.
Dans le domaine de la politique, les partis se sont presque fait une loi non point de chercher sincèrement le bien commun par une émulation mutuelle et dans la variété de leurs opinions, mais de servir leurs propres intérêts au détriment des autres. Que voyons-nous alors ? Les conjurations se multiplient : embûches, brigandages contre les citoyens et les fonctionnaires publics eux-mêmes, terrorisme et menaces, révoltes ouvertes et autres excès de même genre, qui deviennent plus graves dans la mesure où, comme c'est le cas pour les modernes régimes représentatifs, le peuple prend une part plus large à la direction de l'Etat. La doctrine de l'Eglise ne réprouve point ces institutions politiques — non plus que les autres institutions conformes au droit et à la raison, — mais il est manifeste qu'elles se prêtent plus aisément que toutes autres au jeu déloyal des factions.
Or, fait très déplorable, ce mal s'est infiltré jusqu'aux racines profondes de la société, c'est-à-dire jusqu'à la cellule de la famille ; elle était déjà en voie de désagrégation, mais le cataclysme de la guerre en a précipité la ruine en dispersant pères et fils sur des fronts lointains, et en multipliant de toute manière les éléments de corruption. Il en résulte que l'autorité paternelle a cessé d'être respectée, les liens du sang se sont relâchés, maîtres et serviteurs se traitent en ennemis, trop fréquemment la fidélité conjugale même est violée, et les époux abandonnent leurs devoirs sacrés envers Dieu et la société.
La maladie d'un organisme ou d'une de ses parties essentielles compromet nécessairement la force des autres membres, même des plus petits ; par une loi analogue, les maux dont souffre la collectivité humaine et la famille rejaillissent naturellement sur tous et chacun des individus. Et de fait, nul ne l'ignore, chez les hommes de tout âge et de toute condition, les âmes sont devenues inquiètes, aigries et ombrageuses ; l'insubordination et la paresse sont devenues chose courante ; les limites imposées par la pudeur sont dépassées, surtout dans les modes et les danses, par suite de la légèreté des femmes et des jeunes filles, dont les toilettes fastueuses excitent la haine des déshérités ; enfin, la foule des miséreux grandit qui fournissent à l'armée de la sédition des effectifs considérables et toujours renouvelés.
Aussi la confiance et la sécurité ont-elles fait place à des préoccupations anxieuses et à des craintes toujours en éveil : l'inertie et la paresse ont remplacé l'activité et le travail ; au lieu de la tranquillité de l'ordre, gardienne de la paix, règnent un trouble et un chaos universels. De là cet arrêt de l'industrie, cette crise du commerce international, ce déclin de la littérature et de l'art. Conséquence bien plus grave encore, la vie chrétienne a si bien disparu en beaucoup de milieux qu'il semble que, loin d'avancer indéfiniment dans la voie du progrès, comme l'on a accoutumé de s'en vanter, l'humanité semble retourner à la barbarie.
Comme pour mettre le comble à tous les maux que Nous avons rappelés, viennent s'en ajouter d'autres qui échappent à l'homme animal (I Cor. II, 14), mais doivent être mis au nombre des pires fléaux de l'heure présente. Nous voulons parler des ravages exercés spécialement dans l'ordre spirituel et surnaturel ; comme ils mettent en jeu la vie des âmes, on voit tout de suite qu'ils dépassent en gravité la perte des biens extérieurs dans la mesure même où l'esprit est supérieur à la matière.
Sans revenir sur l'oubli général, déjà signalé, des devoirs chrétiens, quelle douleur pour Nous, et pour vous tout ensemble, Vénérables Frères, de constater qu'une partie notable des nombreuses églises qui furent affectées à des usages profanes pendant la guerre, n'ont pas encore été rendues au culte ; de nombreux Séminaires destinés à la formation religieuse des chefs et maîtres des peuples, fermés dans les mêmes circonstances, ne sont pas encore autorisés à se rouvrir.
Le clergé — dont certains membres ont été fauchés par la guerre dans l'exercice du ministère divin, et d'autres, oublieux de leurs engagements sacrés, sont tombés sous le poids de leurs infidélités — a vu presque partout se réduire ses effectifs ; c'est ce qui explique qu'en trop de paroisses la chaire ne retentit plus de la divine parole, pourtant indispensable au développement du corps du Christ (Eph. IV, 12).
Des confins de l'univers et du fond des régions barbares, nos missionnaires avaient été rappelés en grand nombre dans leur patrie pour contribuer aux travaux de la guerre ; après avoir quitté les champs de si fécond apostolat qu'ils arrosaient de leurs sueurs pour la cause de la religion et de l'humanité, bien peu, hélas ! sont retournés à leurs œuvres sains et saufs.
Des résultats fort consolants, il est vrai, ont contrebalancé ces pertes dans une certaine mesure. On put constater d'une manière plus tangible que — contrairement aux calomnies répandues par les adversaires — les clercs portent très profondément ancrés au cœur l'amour de la patrie et le sentiment de tous les devoirs ; une foule de soldats que frôlait de si près la mort, ayant sous les yeux les exemples éclatants de bravoure, de zèle, et de dévouement donnés par les ministres sacrés, leurs compagnons de tous les jours, se sont réconciliés avec le clergé et avec l'Eglise. Admirons ici la bonté et la sagesse de Dieu, qui seul sait tirer le bien du mal même.
Tels sont les maux dont le monde souffre présentement. Efforçons-nous maintenant d'en rechercher les causes, encore que Nous ayons nécessairement déjà quelque peu touché ce sujet.
Et tout d'abord, Vénérables Frères, il Nous semble entendre le divin Consolateur et Médecin des infirmités humaines affirmer de nouveau : Tous ces maux procèdent du dedans (Mc. VII, 23). Un pacte solennel, sans doute, a scellé la paix entre les belligérants ; mais cette paix a été consignée en des instruments diplomatiques, elle n'a pas été gravée dans les cœurs, et c'est dans les cœurs que couvent encore, à l'heure actuelle, des passions belliqueuses qui sont chaque jour plus néfastes à la société. Trop longtemps a partout triomphé le droit de la force. Insensiblement il a émoussé les sentiments de bonté et de miséricorde mis au cœur de l'homme par la nature, et perfectionnés par la loi de la charité chrétienne. Ces sentiments, la réconciliation dans la paix, tout artificielle et non réelle, est loin de les avoir remis en honneur. Chez la plupart, la haine entretenue durant de longues années a créé comme une seconde nature ; c'est le règne de la loi aveugle que saint Paul gémissait de voir contrarier dans ses propres membres la loi de l'esprit (Rom. VII, 23). Aussi, trop souvent, l'homme voit-il dans son semblable non un frère, comme l'ordonne le Christ, mais un étranger et un ennemi ; on ne fait presque aucun cas de la dignité et de la personne humaine même ; il n'y a que la force et le nombre qui comptent ; chacun s'efforce d'écraser son prochain, afin de jouir le plus possible des biens de cette vie.
Partout on trouve le dédain des biens éternels que le Christ ne cesse d'offrir à tous par son Eglise, et une soif insatiable de posséder les biens éphémères et caducs d'ici-bas.
Or, ces biens matériels ont pour effet, si on les recherche avec excès, d'engendrer des maux de tout genre et tout d'abord la corruption des mœurs et la discorde. Car, vils et grossiers de leur nature, ils ne peuvent rassasier le cœur de l'homme, qui, créé par Dieu et destiné à jouir de sa gloire, est voué à vivre dans une instabilité et une inquiétude perpétuelles aussi longtemps qu'il ne se repose pas dans le sein de Dieu.
De plus, ces biens étant fort limités, la part qu'en reçoit chacun diminue a mesure que grandit le nombre de ceux qui se les partagent ; tandis que les biens spirituels, même répartis entre un grand nombre, les enrichissent tous sans être amoindris. Il s'ensuit que, impuissants à satisfaire tout le monde également et ne pouvant rassasier personne complètement, les biens terrestres deviennent de ce chef des sources de discordes et d'animosité, et sont vraiment vanité des vanités et affliction de l'esprit (Eccl., I, 2, 14), comme les appelait d'expérience le prince des sages, Salomon. Et il en est de la société comme des individus. D'où viennent les guerres et les conflits parmi vous ? demandait l'apôtre Jacques ; n'est-ce pas de vos convoitises ? (Jacques, IV, 1, 2)
On ne saurait, en effet, imaginer peste plus mortelle que la concupiscence de la chair, c'est-à-dire la recherche effrénée du plaisir, pour bouleverser non seulement la famille, mais les États mêmes ; la concupiscence des yeux, c'est-à-dire la soif des richesses, donne naissance à cette lutte acharnée des classes, attachées chacune outre mesure à ses avantages particuliers ; quant à l'orgueil de la vie, c'est-à-dire la passion de dominer tous les autres, il a en propre d'inciter les partis politiques à des guerres civiles si âpres qu'ils ne reculent ni devant les attentats de lèse majesté, ni devant le crime de haute trahison, ni jusqu'au meurtre même de la patrie.
C'est à ces convoitises déréglées, se dissimulant pour donner le change, sous le voile du bien public et du patriotisme, qu'il faut attribuer sans contredit les haines et les conflits qui s'élèvent périodiquement entre les peuples. Cet amour même de sa patrie et de sa race, source puissante de multiples vertus et d'actes d'héroïsme lorsqu'il est réglé par la loi chrétienne, n'en devient pas moins un germe d'injustice et d'iniquités nombreuses si, transgressant les règles de la justice et du droit, il dégénère en nationalisme immodéré. Ceux qui tombent en cet excès oublient, à coup sûr, non seulement que tous les peuples, en tant que membres de l'universelle famille humaine, sont liés entre eux par des rapports de fraternité et que les autres pays ont droit à la vie et à la prospérité, mais encore qu'il n'est ni permis ni utile de séparer l'intérêt de l'honnêteté : la justice fait la grandeur des nations, le péché fait le malheur des peuples (Prov. XIV, 34). Que si une famille, ou une cité, ou un Etat, a acquis des avantages au détriment des autres, cela pourra paraître aux hommes une action d'éclat et de haute politique ; mais saint Augustin nous avertit sagement que de pareils succès ne sont pas définitifs et n'excluent pas les menaces de ruine : C'est un bonheur qui a l'éclat et aussi la fragilité du verre, pour lequel on redoute que soudain il ne se brise à jamais (S. Aug. de civitate Dei, l. IV, c. 3).
Si la paix est absente et si, comme le remède à tant de maux, elle se fait attendre encore aujourd'hui, il faut en rechercher les raisons, plus profondément que nous ne l'avons fait jusqu'ici.
Bien avant que la guerre mît l'Europe en feu, la cause principale de si grands malheurs agissait déjà avec une force croissante par la faute des particuliers comme des nations, cause que l'horreur même de la guerre n'aurait pas manqué d'écarter et de supprimer, si tous avaient saisi la portée de ces formidables événements. Qui donc ignore la prédiction de l'Ecriture : Ceux qui abandonnent le Seigneur seront réduits à néant (Is. I, 28) ? Et l'on ne connaît pas moins l'avertissement si grave de Jésus, Rédempteur et Maître des hommes : Sans moi, vous ne pouvez rien faire (Jn XV, 5) ; et cet autre : Celui qui ne recueille point avec moi dissipe (Lc, XI, 23).
De tout temps ces oracles divins se sont vérifiés, mais la vérité n'en a jamais avec une telle évidence éclaté aux yeux de tous que de nos jours. C'est pour s'être misérablement séparés de Dieu et de Jésus-Christ que de leur bonheur d'autrefois les hommes sont tombés dans cet abîme de maux ; c'est pour la même raison que sont frappés d'une stérilité à peu près complète tous les programmes qu'ils échafaudent en vue de réparer les pertes et de sauver ce qui reste de tant de ruines. Dieu et Jésus-Christ ayant été exclus de la législation et des affaires publiques, et l'autorité ne tirant plus son origine de Dieu, mais des hommes, les lois ont perdu la garantie de sanctions réelles et efficaces, ainsi que des principes souverains du droit, qui, aux yeux mêmes de philosophes païens comme Cicéron, ne peuvent dériver que de la loi éternelle de Dieu ; bien plus, les bases mêmes de l'autorité ont été renversées dès là qu'on supprimait la raison fondamentale du droit de commander pour les uns, du devoir d'obéir pour les autres. Inéluctablement, il s'en est suivi un ébranlement de la société tout entière, désormais privée de soutien et d'appui solides, livrée en proie aux factions qui briguaient le pouvoir pour assurer leurs propres intérêts et non ceux de la patrie.
On décida de même que Dieu ni le Seigneur Jésus ne présideraient plus à la fondation de la famille, et l'on fit rentrer dans la catégorie des contrats civils le mariage, dont le Christ avait fait un grand sacrement (Eph. V, 32) et qui, dans sa pensée, devait être le symbole saint et sanctificateur du lien indissoluble qui l'unit lui-même à son Eglise. Aussi, dans les masses populaires s'obscurcissent les idées et les sentiments religieux que l'Eglise avait infusés à la cellule-mère de la société qu'est la famille ; la hiérarchie et la paix du foyer disparaissent ; l'union et la stabilité de la famille sont de jour en jour plus compromises ; le feu des basses convoitises et l'attachement mortel à des intérêts mesquins violent si fréquemment la sainteté du mariage, que les sources mêmes de la vie des familles et des peuples en sont infectées.
Enfin, on a paru exclure Dieu et le Christ de l'éducation de la jeunesse ; on est arrivé, et c'était inévitable, non pas tant à supprimer la religion dans les écoles qu'à l'y faire attaquer à mots couverts ou même ouvertement ; les enfants en ont conclu qu'ils n'avaient rien ou pour le moins fort peu à attendre, pour la conduite de la vie, de cet ordre de choses, qu'on passait absolument sous silence ou dont ou ne parlait qu'avec des termes de mépris. Et, de fait, si Dieu et sa loi sont proscrits de l'enseignement, on ne voit plus comment on peut demander aux jeunes gens de fuir le mal et de mener une vie honnête et sainte, ni comment préparer pour la famille et la société des hommes de mœurs rangées, partisans de l'ordre et de la paix, capables, et à même de contribuer à la prospérité publique.
Puisqu'on a renié les préceptes de la sagesse chrétienne, il n'y a pas lieu de s'étonner que les germes de discorde semés partout, comme en un sol bien préparé, aient fini par produire cet exécrable fruit d'une guerre, qui, loin d'affaiblir par la lassitude les haines internationales et sociales, ne fit que les alimenter plus abondamment par la violence et le sang.
Nous venons, Vénérables Frères, d'énumérer brièvement les causes des maux qui accablent la société. Il reste à étudier les remèdes que, en se basant sur la nature même de ces maux, on peut juger susceptibles de la guérir.
La tâche qui s'impose avant toute autre, c'est la pacification des esprits. Il y a bien peu à attendre d'une paix artificielle et extérieure qui règle et commande les rapports réciproques des hommes comme ferait un code de politesse ; ce qu'il faut, c'est une paix qui pénètre les cœurs, les apaise et les ouvre peu à peu à des sentiments réciproques de charité fraternelle. Une telle paix ne saurait être que la paix du Christ : et que la paix du Christ apporte l'allégresse en vos cœurs (Col. III, 15) ; il ne peut y avoir de paix autre et différente que celle que le Christ donne lui-même aux siens (Jn XIV, 27), lui qui, comme Dieu, voit dans les cœurs (I Samuel XVI, 7) et règne dans l'intime des âmes. C'est d'ailleurs à bon droit que le Seigneur Jésus appelait cette paix sa paix à lui, car il fut le premier à dire aux hommes : Vous êtes tous des frères (Matth. XXIII, 8) ; c'est lui qui a promulgué la loi de l'amour et du support mutuel entre tous les hommes, et la scella pour ainsi dire de son sang : Mon précepte à moi est que vous vous aimiez les uns les autres comme moi-même je vous ai aimés (Jn, XV, 12) ; Portez les fardeaux les uns des autres, et vous accomplirez ainsi la loi du Christ (Gal. VI, 2).
Il découle de là clairement que la paix authentique du Christ ne saurait s'écarter de la règle de la justice, puisque c'est Dieu qui juge la justice (Ps. IX, 5) et que la paix est œuvre de justice (Isaïe XXXII, 17). Mais encore cette justice ne doit-elle pas adopter une brutale inflexibilité de fer ; il faut qu'elle soit dans une égale mesure tempérée par la charité, cette vertu qui est essentiellement destinée à établir la paix entre les hommes. C'est dans ce sens que le Christ a procuré la paix au genre humain ; bien mieux, suivant la forte parole de saint Paul, il est lui-même notre paix (Eph. II, 14), puisque, en même temps que dans sa chair il satisfaisait sur la croix à la justice divine, il tuait en lui-même les inimitiés, réalisant la paix (Ibid.), et en lui réconciliait les hommes et le monde avec Dieu. Dans la rédemption même, saint Paul considère et relève moins une œuvre de justice — elle l'est, certes — qu'une œuvre divine de réconciliation et de charité : Dans le Christ Dieu se réconciliait le monde (II Cor. V, 19) ; Dieu a tant aimé le monde qu'il lui a donné son Fils unique (Jn III, 16). Le Docteur angélique exprime cette pensée quand il dit, en une formule très heureuse comme toujours, que la paix véritable et authentique est plus de l'ordre de la charité que de la justice, cette dernière ayant mission d'écarter les obstacles à la paix tels que les torts, les dommages, tandis que la paix est proprement et tout spécialement un acte de charité (Summ. Theol., II-II, q. 29 art. 3, ad. III).
A cette paix du Christ, qui, fille de la charité, réside dans les profondeurs de l'âme, est applicable la parole de saint Paul sur le royaume de Dieu, car c'est précisément par la charité que Dieu règne dans les âmes : le royaume de Dieu n'est ni mets ni breuvage (Rom. XIV, 17). En d'autres termes, la paix du Christ ne s'alimente point de biens périssables, mais des réalités spirituelles et éternelles dont le Christ lui-même a révélé au monde et n'a cessé de montrer aux hommes l'excellence et la supériorité. C'est en ce sens qu'il disait : Que sert à l'homme de gagner l'univers s'il perd son âme ? Ou que pourra-t-il donner pour racheter son âme ? (Matth. XVI, 26.) De même il a indiqué la persévérance et la fermeté d'âme dont le chrétien doit être animé : Ne craignez pas ceux qui tuent le corps mais ne peuvent tuer l'âme ; craignez plutôt celui qui peut perdre à la fois le corps et l'âme dans la géhenne (Matth. X, 28 ; Lc. XII, 4, 5).
Ce n'est pas que celui qui veut goûter la paix du Christ soit tenu de renoncer aux biens de cette vie ; loin de là, le Christ lui-même les lui promet en abondance : Cherchez tout d'abord le royaume de Dieu et sa justice, et tous ces biens vous seront donnés par surcroît (Matth. VI, 33 ; Lc. XII, 31). Seulement la paix de Dieu surpasse tout sentiment (Phil. IV, 7), et c'est pourquoi précisément elle commande aux appétits aveugles, et ignore les discussions et discordes que ne peut manquer d'engendrer la soif des richesses.
Que la vertu mette un frein aux convoitises, que l'on accorde aux biens spirituels la considération qu'ils méritent, et l'on obtient tout naturellement cet heureux résultat que la paix chrétienne assure l'intégrité des mœurs et met en honneur la dignité de la personne humaine, rachetée par le sang du Christ, adoptée par le Père céleste, consacrée par les liens fraternels qui l'unissent au Christ, rendue par les prières et les sacrements participante do la grâce et de la nature divines, en attendant que, en récompense d'une sainte vie ici-bas, elle jouisse éternellement de la possession de la gloire du ciel.
Nous avons déjà montré qu'une des causes principales du chaos où nous vivons réside dans ce fait que de graves atteintes ont été portées au culte du droit et au respect de l'autorité, - ce qui s'est produit le jour où on s'est refusé à voir en Dieu, Créateur et Maître du monde, la source du droit et de l'autorité. Ce mal trouvera lui aussi son remède dans la paix chrétienne, qui se confond avec la paix divine et par là même prescrit le respect de l'ordre, de la loi et de l'autorité. Nous lisons, en effet, dans l'Ecriture : Conservez la discipline dans la paix (Eccl., XLI, 14) ; La paix comble ceux qui chérissent ta loi, Seigneur (Ps. CXVIII, 165) ; Celui qui a le respect de la loi vivra dans la paix (Prov. XIII, 13). Le Seigneur Jésus ne s'est pas contenté de dire : Rendez à César ce qui est a César (Matth. XXII, 21) ; il a affirmé qu'il révérait en Pilate lui-même la puissance qui lui avait été donnée d'en haut (Jn, XIX, 11) ; et précédemment n'avait-il pas fait une loi à ses disciples de respecter ces scribes et pharisiens qui étaient assis sur la chaire de Moïse ? (Matth. XXIII, 2)
Dans sa famille, le Christ fut d'une admirable déférence pour l'autorité de ses parents, se soumettant pour l'exemple à Marie et à Joseph (Lc, II, 51). C'est en son nom, enfin, que les apôtres promulguèrent cette règle : Que tout homme soit soumis aux autorités supérieures, car il n'est point de pouvoir qui ne vienne de Dieu (Rom. XIII, 1 ; cf. I P. II, 13, 18).
Remarquons par ailleurs ce fait : sa doctrine et ses préceptes touchant la dignité de la personne humaine, la pureté des mœurs, le devoir de l'obéissance, l'organisation divine de la société, le sacrement de mariage et la sainteté de la famille chrétienne, tout cela et l'ensemble des vérités qu'il avait apportées du ciel sur la terre, le Christ ne l'a confié en dépôt qu'à son Eglise seule, avec la promesse formelle qu'il l'aiderait et serait avec elle à jamais, et il lui a donné mission de l'enseigner, en un magistère infaillible, à toutes les nations jusqu'à la fin des siècles. Cette observation fait entrevoir tout de suite quels puissants remèdes peut et doit offrir l'Église catholique pour la pacification du monde.
Ayant été seule constituée par Dieu interprète et gardienne de ces vérités et de ces préceptes, l'Eglise seule aussi jouit à jamais du pouvoir efficace d'extirper de la vie publique, de la famille et de la société civile, la plaie du matérialisme, qui y a déjà opéré tant de ravages ; d'y faire pénétrer les principes chrétiens, bien supérieurs aux systèmes des philosophes, sur la nature spirituelle ou l'immortalité de l'âme ; d'opérer le rapprochement de toutes les classes de citoyens, et d'unir le peuple tout entier par les sentiments d'une profonde bienveillance et par une certaine fraternité (S. Aug., de Moribus Ecclesiæ Catholicæ, I, 30) : de défendre la dignité humaine et de l'élever jusqu'à Dieu qui voit les cœurs, et conforme à ses enseignements et à ses préceptes, que le sentiment sacré du devoir soit la loi de tous, particuliers et gouvernants, et même des institutions publiques ; et qu'ainsi le Christ soit tout et en tous (Col. III, 11).
L'Eglise, qui détient la vérité et le pouvoir du Christ, a seule mission de donner aux esprits la formation qui convient ; elle est aussi seule en mesure non seulement de rétablir aujourd'hui la véritable paix du Christ, mais encore de la consolider pour l'avenir en conjurant les menaces imminentes de nouvelles guerres que Nous avons signalées. Seule, en vertu d'un mandat et d'un ordre divin, l'Eglise enseigne l'obligation pour les hommes de conformer à la loi éternelle de Dieu toute leur activité, publique aussi bien que privée, en tant que particuliers comme en tant que membres de la collectivité : par ailleurs, il est évident que ce qui a trait au sort du grand nombre a une importance beaucoup plus grande.
Le jour où Etats et gouvernements se feront un devoir sacré de se régler, dans leur vie politique, au dedans et au dehors, sur les enseignements et les préceptes de Jésus-Christ, alors, mais alors seulement, ils jouiront à l'intérieur d'une paix profitable, entretiendront des rapports de mutuelle confiance, et résoudront pacifiquement les conflits qui pourraient surgir.
En cet ordre d'idées, certains efforts ont bien été tentés jusqu'ici ; mais, on le sait, ils n'ont abouti à rien ou presque rien, principalement sur les points où les divergences internationales sont les plus vives.
C'est qu'il n'est point d'institution humaine en mesure d'imposer à toutes les nations une sorte de Code international, adapté à notre époque, analogue à celui qui régissait au moyen âge cette véritable Société des Nations qui s'appelait la chrétienté. Elle aussi a vu commettre en fait beaucoup trop d'injustices ; du moins la valeur sacrée du droit demeurait incontestée, règle sûre d'après laquelle les nations avaient à rendre leurs comptes.
Mais il est une institution divine capable de garantir l'inviolabilité du droit des gens ; une institution qui, embrassant toutes les nations, les dépasse toutes, qui jouit d'une autorité souveraine et du glorieux privilège de la plénitude du magistère, c'est l'Eglise du Christ : seule elle se montre à la hauteur d'une si grande tâche grâce à sa mission divine, à sa nature, à sa constitution même, et au prestige que lui confèrent les siècles ; et les vicissitudes mêmes des guerres, loin de l'amoindrir, lui apportent de merveilleux développements.
Il ne saurait donc y avoir aucune paix véritable — cette paix du Christ si désirée — tant que tous les hommes ne suivront pas fidèlement les enseignements, les préceptes et les exemples du Christ, dans l'ordre de la vie publique comme de la vie privée ; il faut que, la famille humaine régulièrement organisée, l'Eglise puisse enfin, en accomplissement de sa divine mission, maintenir vis-à-vis des individus comme de la société tous et chacun des droits de Dieu.
Tel est le sens de notre brève formule : le règne du Christ.
Jésus-Christ, en effet, règne d'abord sur tous les hommes pris individuellement : il règne sur leurs esprits par ses enseignements, sur leurs cœurs par la charité, sur toute leur vie enfin quand elle se conforme à sa loi et imité ses exemples.
Jésus-Christ règne ensuite dans la famille lorsque, ayant à sa base le sacrement du mariage chrétien, elle conserve inviolablement son caractère d'institution sacrée, où l'autorité paternelle reflète la paternité divine qui en est la source et lui donne son nom (Eph. III, 15), où les enfants imitent l'obéissance de Jésus adolescent, et dont toute la vie respire la sainteté de la Famille de Nazareth.
Jésus-Christ règne dans la société lorsque, rendant à Dieu un souverain hommage, elle reconnaît que c'est de lui que dérivent l'autorité et ses droits, ce qui donne au pouvoir ses règles, à l'obéissance son caractère impératif et sa grandeur ; quand cette société reconnaît à l'Eglise son privilège, qu'elle tient de son Fondateur, de société parfaite, maîtresse et guide des autres sociétés ; non que l'Eglise amoindrisse l'autorité de ces sociétés — légitimes chacune dans sa sphère, — mais elle les complète très heureusement, comme le fait la grâce pour la nature ; d'ailleurs le concours de l'Eglise permet à ces sociétés d'apporter aux hommes une aide puissante pour atteindre leur fin dernière, qui est le bonheur éternel, et les met plus à même d'assurer le bonheur de leurs membres durant leur vie mortelle.
Il apparaît ainsi clairement qu'il n'y a de paix du Christ que par le règne du Christ, et que le moyen le plus efficace de travailler au rétablissement de la paix est de restaurer le règne du Christ.
Aussi, lorsqu'il s'efforçait de tout restaurer dans le Christ, Pie X, comme par une inspiration divine, préparait cette grande œuvre du rétablissement de la paix, qui devait être le programme de Benoît XV.
Quant à Nous, poursuivant la tâche que Nos deux prédécesseurs s'étaient proposée, ce que tous Nos efforts tendront à réaliser, c'est la paix du Christ par le règne du Christ, avec une confiance absolue dans la grâce de Dieu, qui, en Nous appelant au souverain pontificat, Nous a promis son assistance permanente.
Pour mettre ce programme à exécution. Nous comptons sur le concours de tous les hommes de bien ; mais c'est d'abord à vous que Nous faisons appel, Vénérables Frères, vous que le Christ, notre Guide et Chef qui Nous a confié le soin de l'ensemble de son troupeau, a appelés à prendre une part très importante de Notre sollicitude pastorale. L'Esprit-Saint, en effet, vous a constitués pour gouverner l'Eglise de Dieu (Actes XX, 28) ; vous êtes tout spécialement investis du ministère de la réconciliation, vous remplissez le rôle de légats du Christ (II Cor. V, 18, 20) ; vous participez au magistère de Dieu, vous êtes dispensateurs de ses mystères (I Cor. IV, 1) ; et pour cette raison vous êtes appelés sel de la terre et lumière du monde (Matth. V, 13, 14), docteurs et pères des peuples chrétiens, modèle... du troupeau (I P V, 3), et serez magnifiés dans le royaume des cieux (Matth. V, 19) ; vous tous enfin êtes comme les membres principaux, unis par des liens d'or, qui maintiennent la forte unité du corps du Christ (Eph. IV, 15, 16), c'est-à-dire de l'Église, établie sur le fondement inébranlable de Pierre.
Vous Nous avez donné naguère un nouveau témoignage éclatant de votre zèle empressé quand, comme Nous le marquions au début de cette lettre, à l'occasion du Congrès eucharistique de Rome et du centenaire de la S. Congrégation de la Propagande, vous êtes presque tous accourus de toutes les régions du monde dans la Ville Eternelle auprès des tombeaux des Apôtres.
Cette assemblée de pasteurs, à laquelle leur renom et leur autorité donnaient tant d'éclat, Nous a suggéré l'idée de convoquer en temps opportun ici à Rome, capitale de l'univers catholique, une assemblée solennelle analogue, chargée d'appliquer les remèdes les plus appropriés après un pareil bouleversement de la société humaine ; et le retour prochain de l'Année Sainte est un heureux augure qui confirme encore les grands espoirs que Nous mettons en ce projet.
Toutefois, Nous n'osons point Nous résoudre à procéder sans délai à la reprise du Concile œcuménique ouvert par le très saint Pape Pie IX — ce souvenir remonte à Nos jeunes années, — qui ne mena à terme qu'une partie, fort importante, d'ailleurs, de son programme. Le motif de Notre hésitation est que Nous voulons, comme le célèbre guide des Israélites, attendre dans l'attitude suppliante de la prière que le Dieu bon et miséricordieux Nous manifeste plus clairement sa volonté (Juges, VI, 17).
En ces conjonctures, Nous le savons parfaitement, votre dévouement et votre activité n'ont nullement besoin de stimulant, et Nous leur rendons au contraire les hommages les plus mérités. Néanmoins, la conscience de Notre charge apostolique et de Nos devoirs paternels à l'égard de tous Nous inspire et Nous fait une sorte d'obligation d'ajouter comme de nouvelles flammes au feu qui vous dévore, dans l'assurance que Nos exhortations vous porteront à consacrer des soins encore plus attentifs à la portion du troupeau que le Maître a confiée à chacun de vous.
Que d'œuvres aussi excellentes qu'opportunes, concernant le clergé et tout le peuple fidèle, Nos prédécesseurs n'ont-ils pas, avec votre collaboration, sagement conçues, heureusement commencées et menées à bonne fin, initiatives que, étant données les circonstances, ils ont eu un singulier mérite à réaliser ! Nous en avons été informé par la renommée, transmise par la presse et confirmée par d'autres témoignages, comme aussi par les rapports particuliers que Nous tenons de vous-mêmes et d'un grand nombre d'autres personnes. Nous en rendons au Dieu éternel les plus ferventes actions de grâces dont Nous sommes capable.
Parmi ces œuvres, Nous relevons particulièrement celles, nombreuses et singulièrement opportunes, qui ont trait à la diffusion des saines doctrines et à la sanctification des âmes ; de même, les organisations, dites Pieuses Unions, de clercs et de laïques, qui ont pour objet le soutien et le développement des missions chez les infidèles, en vue d'étendre le règne de Dieu et de porter aux peuples barbares le salut temporel et éternel ; de même encore, les groupements si multipliés de jeunes gens, qui allient à une dévotion particulière envers la Sainte Vierge et surtout envers la sainte Eucharistie une pratique exemplaire de la foi, de la pureté, et d'une charité réciproque toute fraternelle ; ajoutons les associations tant d'hommes que de femmes, et tout spécialement les associations eucharistiques, qui se vouent à honorer l'auguste Sacrement, soit par des hommages plus fréquents ou plus solennels, tels même que de grandioses processions se déroulant par les rues des cités, soit encore par l'organisation d'imposants Congrès régionaux, nationaux, et même internationaux, où presque tous les peuples ont des représentants, mais dont tous les membres sont merveilleusement unis par la même foi, la même adoration, les mêmes prières, la même participation aux dons du ciel.
C'est à ce courant de piété que Nous attribuons l'accroissement fort notable de l'esprit apostolique, Nous voulons dire ce zèle très ardent qui, d'abord par la prière assidue et une vie exemplaire, puis par la voie féconde de la parole et de la presse et les autres moyens, y compris les œuvres de charité, tend à faire rendre au Cœur de Jésus, par les individus, par la famille et par la société, l'amour, le culte et les hommages dus à sa divine royauté. C'est le même but que poursuit ce bon combat " pour l'autel et le foyer ", cette lutte qu'il faut engager sur de multiples fronts en faveur des droits que la société religieuse qu'est l'Eglise et la société domestique qu'est la famille tiennent de Dieu et de la nature pour l'éducation des enfants. A cet apostolat se rattache enfin tout cet ensemble d'organisations, de programmes et d'œuvres qui, par l'appellation sous laquelle on les réunit, constituent l'action catholique, qui Nous est très particulièrement chère.
Toutes ces œuvres, et les autres institutions de même nature qu'il serait trop long d'énumérer, il importe de les maintenir avec énergie ; bien plus, on doit les développer avec une ardeur chaque jour croissante en les enrichissant des perfectionnements nouveaux que réclament les circonstances de choses et de personnes. Cette tâche peut paraître ardue et difficile aux Pasteurs et aux fidèles ; elle n'en est pas moins évidemment nécessaire, et il faut la ranger parmi les devoirs primordiaux du ministère pastoral et de la vie chrétienne.
Tous ces motifs démontrent — avec trop d'évidence pour qu'il soit besoin d'insister — à quel point toutes ces œuvres se commandent les unes les autres, et quels étroits rapports elles ont avec la restauration si désirée du règne du Christ et avec le retour de la paix chrétienne, impossible hors de ce règne : la paix du Christ par le règne du Christ.
Et voici maintenant, Vénérables Frères, ce que Nous vous demandons de dire à vos prêtres. Témoin et naguère collaborateur des travaux de toute sorte qu'ils ont courageusement entrepris pour le troupeau du Christ, le Pape a toujours apprécié et continue d'apprécier hautement le zèle admirable qu'ils déploient dans l'accomplissement de leur tâche, comme leur ingéniosité à découvrir des méthodes toujours nouvelles pour faire face aux nouvelles situations créées par l'évolution du temps. Ils Nous seront unis par un lien d'autant plus étroit, et, à Notre tour, Nous leur porterons une affection d'autant plus paternelle que, par la sainteté de leur vie et l'intégrité de leur obéissance, ils seront de meilleur cœur et plus étroitement unis à leurs chefs et maîtres les évêques, comme au Christ en personne.
Que Nous placions dans le clergé régulier une confiance spéciale pour la réalisation de Nos desseins et de Nos projets, il n'est pas besoin, Vénérables Frères, de longs discours pour vous en convaincre : vous savez trop bien l'importance du rôle que remplit ce clergé pour l'extension du règne du Christ dans nos pays et au dehors.
Voués à l'observation et à la pratique non seulement des préceptes mais encore des conseils évangéliques, les membres des familles religieuses, soit qu'ils s'exercent à la contemplation des choses divines dans l'ombre des cloîtres, soit qu'ils se produisent au grand jour de l'apostolat, expriment au vif dans leur existence l'idéal des vertus chrétiennes et, se consacrant tout entiers au bien commun, renoncent sans réserve aux biens et aux commodités de la terre pour jouir plus abondamment des biens spirituels ; ils excitent les fidèles, témoins constants de tels exemples, à porter leurs aspirations vers les biens supérieurs, et ils obtiennent ce résultat en s'adonnant aux œuvres admirables par lesquelles la bienfaisance chrétienne soulage toutes les souffrances du corps et de l'âme. Dans ce dévouement, comme en témoignent les monuments de l'histoire ecclésiastique, ces prédicateurs de l'Évangile sont allés à maintes reprises, sous l'impulsion de la divine charité, jusqu'à sacrifier leur vie pour le salut des âmes, et par leur mort ils ont contribué à étendre le règne du Christ, en reculant les frontières de la vraie foi et de la fraternité chrétienne.
Rappelez par ailleurs à l'attention des fidèles que c'est en travaillant, dans des œuvres d'apostolat privé et public, sous votre direction et celle de votre clergé, à développer la connaissance de Jésus-Christ et à faire régner son amour, qu'ils mériteront le titre magnifique de race élue, sacerdoce royal, nation sainte, peuple racheté (I P II, 9) ; c'est en s'unissant très étroitement à Nous et au Christ pour étendre et fortifier par leur zèle industrieux et actif le règne du Christ, qu'ils travailleront avec plus d'efficacité à rétablir la paix générale entre les hommes. Car le règne du Christ établit et fait épanouir une certaine égalité de droits et de dignité entre les hommes, tous ennoblis du sang précieux du Christ ; et ceux qui paraissent commander aux autres doivent en droit et en fait, à l'exemple du Christ Seigneur lui-même, être les administrateurs des biens communs, et par suite les serviteurs de tous les serviteurs de Dieu, principalement des plus humbles et des plus pauvres.
Cependant les transformations sociales qui ont amené ou accru la nécessité de recourir au concours des laïques dans les œuvres d'apostolat, ont exposé les inexpérimentés à des dangers nouveaux, aussi graves que nombreux. L'épouvantable guerre à peine finie, l'agitation des partis est venue bouleverser les cités ; un tel débordement de passions et une telle perversion d'idées se sont emparés du cœur et de l'esprit des hommes qu'on peut redouter de voir l'élite des chrétiens et même des prêtres, pris au mirage des apparences de la vérité et du bien, s'infecter de la funeste contagion de l'erreur.
Combien sont-ils, en effet, ceux qui admettent la doctrine catholique sur l'autorité civile et le devoir de lui obéir, le droit de propriété, les droits et devoirs des ouvriers de la terre et de l'industrie, les relations réciproques des Etats, les rapports entre ouvriers et patrons, les relations du pouvoir religieux avec le pouvoir civil, les droits du Saint-Siège et du Pontife romain, les privilèges des évêques, enfin les droits du Christ Créateur, Rédempteur et Maître, sur tous les hommes et tous les peuples ?
Et même ceux-là, dans leurs discours, leurs écrits et tout l'ensemble de leur vie, agissent exactement comme si les enseignements et les ordres promulgués à tant de reprises par les Souverains Pontifes, notamment par Léon XIII, Pie X et Benoît XV, avaient perdu leur valeur première ou même n'avaient plus du tout à être pris en considération.
Ce fait révèle comme une sorte de modernisme moral, juridique et social ; Nous le condamnons aussi formellement que le modernisme dogmatique.
Il les faut donc remettre en vigueur, ces enseignements et ces prescriptions ; il faut réveiller dans toutes les âmes cette flamme de la foi et de la charité divine, indispensables pour la pleine intelligence de ces doctrines et l'observation de ces ordres.
Ce renouveau, c'est principalement dans la formation de la jeunesse chrétienne que Nous voulons le voir s'opérer, chez celle surtout qui a le bonheur de se destiner au sacerdoce ; évitons que cette jeunesse, ballottée dans ce bouleversement social et cette perturbation de toutes les idées, se laisse emporter, selon le mot de l'Apôtre, à tout vent de doctrine, à la merci de la malice des hommes et des astuces enveloppantes de l'erreur (Eph. IV, 14).
Quand de ce Siège apostolique, comme du haut d'un observatoire, ou d'une tour de citadelle, Nous embrassons l'horizon du regard, Nous apercevons un nombre trop grand encore d'hommes qui, par ignorance totale du Christ ou par infidélité à sa doctrine intégrale et authentique ainsi qu'à l'unité qu'il a voulue, ne font point partie encore du bercail que le ciel leur a pourtant destiné. C'est pourquoi, partageant les ardents désirs du Pasteur éternel, dont il tient la place, le Pape ne peut s'empêcher de redire après lui cette parole si brave mais tout empreinte d'amour et de la plus indulgente tendresse : Celles-là aussi, il faut que je les amène (Jn X, 16), ni de se rappeler et répéter, le cœur débordant de joie, cette prédiction du Christ : Et elles entendront ma voix, et il n'y aura qu'un seul bercail et un seul Pasteur. Fasse Dieu — Nous l'en supplions de Nos prières et de Nos vœux, unis aux vôtres, Vénérables Frères, et à ceux de vos fidèles — que Nous puissions voir au plus tôt la réalisation de ce très consolant et infaillible oracle du Cœur divin.
Un événement très remarquable, que vous connaissez bien, est venu ces tout derniers temps offrir comme un augure de cette unité religieuse ; il s'est produit contre l'attente de tous, a pu déplaire à certains, mais Nous a procuré à Nous et à vous une joie très profonde : la plupart des princes et les chefs de presque toutes les nations, comme pressés par un même désir instinctif de paix, ont cherché comme à l'envi soit à renouer d'anciens liens d'amitié, soit à entrer pour la première fois en relations avec ce Siège apostolique. Nous avons le droit de nous réjouir de ce fait : non seulement il rehausse le prestige de l'Eglise, mais encore il constitue un hommage plus éclatant rendu à ses services, et fait toucher du doigt à tous la vertu merveilleuse dont seule dispose l'Eglise de Dieu pour assurer toute prospérité même temporelle, à la société humaine.
Encore que, de par sa mission divine, elle ait directement en vue les biens spirituels et non les biens périssables, l'Eglise — tous les biens se favorisant et s'enchaînant les uns les autres — n'en coopère pas moins à la prospérité, même terrestre, des individus et de la société, et cela avec une efficacité qu'elle ne pourrait surpasser si elle n'avait pour but que le développement de cette prospérité.
Certes, l'Eglise ne se reconnaît point le droit de s'immiscer sans raison dans la conduite des affaires temporelles et purement politiques, mais son intervention est légitime quand elle cherche à éviter que la société civile tire prétexte de la politique, soit pour restreindre en quelque façon que ce soit les biens supérieurs d'où dépend le salut éternel des hommes, soit pour nuire aux intérêts spirituels par des lois et décrets iniques, soit pour porter de graves atteintes à la divine constitution de l'Eglise, soit enfin pour fouler aux pieds les droits de Dieu lui-même dans la société.
Nous faisons donc absolument Nôtres les vues et les paroles mêmes de Notre très regretté prédécesseur Benoît XV, dont Nous avons plusieurs fois rappelé le souvenir ; les déclarations solennelles qu'il fit, dans sa dernière allocution du 21 novembre de l'an dernier, consacrée aux rapports mutuels à établir entre l'Eglise et la société, Nous les réitérons et les confirmons à Notre tour : " Nous ne souffrirons à aucun prix que, dans les accords de ce genre, il se glisse une stipulation quelconque qui soit contraire à l'honneur ou à la liberté de l'Eglise ; d'ailleurs, de nos jours surtout, il importe grandement à la prospérité de la société même que l'Eglise demeure à l'abri de toute atteinte sur ce point. "
Dans ces conditions, il est à peine besoin de vous dire combien profonde est Notre douleur de ne pouvoir compter l'Italie parmi les si nombreuses nations qui entretiennent des relations d'amitié avec le Siège apostolique — cette Italie, Notre patrie bien-aimée, que le Dieu qui règle par sa providence le cours des temps et l'harmonie de toutes choses, a choisie pour y fixer le siège de son Vicaire ici-bas. De ce fait, cette auguste cité, jadis le centre d'un empire immense mais que limitaient néanmoins des frontières déterminées, est devenue de ce jour la capitale du monde entier ; Rome, en effet, comme siège du souverain pontificat, qui est par sa nature même au-dessus des frontières de races et de nationalités, embrasse tous les peuples et toutes les nations.
Or, l'origine et la nature divine de cette primauté d'une part, et de l'autre le droit imprescriptible de l'ensemble des fidèles répartis dans tout l'univers exigent que ce principat sacré ne paraisse dépendre d'aucune puissance humaine, d'aucune loi (alors même qu'elle promettrait une sauvegarde et des garanties pour la liberté du Pontife Romain) ; le Saint-Siège doit, au contraire, être en fait et paraître manifestement d'une indépendance absolue quant à ses droits et à sa souveraineté.
Il est d'autres garanties de liberté par lesquelles la divine Providence, maîtresse et arbitre des vicissitudes humaines, avait fortifié l'autorité du Pontife romain, non seulement sans dommage pour l'Italie, mais à son grand profit ; elles avaient, durant de longs siècles, répondu, efficacement au dessein divin de sauvegarder cette liberté ; et jusqu'ici, ni la divine Providence n'a indiqué ni les conseils des hommes n'ont découvert une solution analogue, appelée à remplacer ces garanties d'une façon satisfaisante.
Ces garanties ont été foulées aux pieds par la violence ennemie et, à l'heure présente, sont encore violées ; c'est ainsi que le Pontife Romain a été placé dans une situation indigne de lui, et qui accable d'une lourde et perpétuelle tristesse les âmes de tous les fidèles de l'univers.
Nous donc, héritier des idées comme des devoirs de Nos prédécesseurs, investi de la même autorité, seule compétente pour trancher une question d'une telle importance ; étranger à toute vaine ambition de domination temporelle, à laquelle Nous rougirions de Nous arrêter ne fût-ce qu'un instant, mais pensant à Notre mort et Nous rappelant le compte très rigoureux que Nous aurons à rendre au divin Juge ; dans la conscience d'être lié par un devoir sacré de Notre charge, Nous renouvelons ici les revendications formulées par Nos prédécesseurs en vue de défendre les droits et la dignité du Siège apostolique.
Au surplus, l'Italie n'aura jamais rien à craindre du Siège apostolique : le Pontife Romain, qui que ce puisse être, se montrera toujours tel qu'il puisse redire sincèrement ce mot du prophète : Mes pensées sont des pensées de paix et non d'affliction (Jer. XXIX, 11), des pensées de paix, disons-Nous , de paix véritable et donc nullement séparée de la justice, de telle sorte qu'il pourra ajouter : la justice et la paix se sont embrassées (Ps. LXXXIV, 11). C'est au Dieu tout-puissant et miséricordieux qu'il appartiendra de faire luire enfin ce jour beau entre tous, jour qui doit être fécond en toutes sortes de biens pour l'établissement du règne du Christ comme aussi pour la pacification de l'Italie et du monde. Pour qu'on en obtienne d'heureux résultats, tous les hommes au sentiment droit ont le devoir d'unir leur dévouement et leurs efforts.
Afin de hâter le jour où sera accordé aux hommes ce don si doux de la paix, Nous exhortons instamment tous les fidèles de joindre avec persévérance leurs ferventes prières aux Nôtres, surtout durant ces fêtes de la Nativité du Christ Seigneur, Roi pacifique, dont les milices angéliques saluèrent l'entrée dans le monde par ce chant nouveau : Gloire à Dieu dans les cieux, et sur la terre paix aux hommes de bonne volonté (Lc, II, 14).
Comme gage de cette paix, recevez, Vénérables Frères, Notre Bénédiction Apostolique ; puisse-t-elle, messagère de bonheur pour chacun des membres de votre clergé et de vos fidèles, pour les cités et les familles chrétiennes, porter la prospérité aux vivants et obtenir aux morts le repos et la félicité éternelle : Nous vous l'accordons de tout cœur, en témoignage de paternelle bienveillance, à vous, à votre clergé et à vos fidèles.
Donné à Rome, près Saint-Pierre, le 23 décembre 1922, de Notre Pontificat la première année.
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