LETTRE DU PAPE PIE XII
POUR LA XXIVe SEMAINE SOCIALE DU CANADA*
C'est un sujet de très réelle importance, qu'entend traiter à Rimouski la XXIVe Session des Semaines du Canada, et auquel Nous ne pouvons manquer de prendre un vif et paternel intérêt. « La vie agricole » mérite, en effet, des égards spéciaux, des sollicitudes particulières, alors que trop souvent l'attention des sociologues et de hommes politiques se porterait de préférence sur les problèmes soulevés par les concentrations de la grande industrie. Nous ne nions certes pas l'urgence et le caractère aigu de ces derniers, mais haec oportuit facere, et illa non omittere; aussi Nous paraît-il que les prochaines assises sociales de Rimouski feront du bon et salutaire travail, en rendant toute son actualité et tout son relief au fondamental problème de la terre.
Car, il faut bien l'avouer, l'une des causes du déséquilibre et, disons plus, du désarroi, où se trouve plongée l'économie mondiale, et, en même temps qu'elle, tout l'ensemble de la civilisation et de la culture, c'est, à n'en pas douter, une déplorable désaffection, quand ce n'est pas du mépris, à l'égard de la vie agricole et de ses multiples et essentielles activités. Or, l'histoire ne nous enseigne-t-elle pas — et notamment par la chute de l'Empire Romain — à voir là un prodrome du déclin des civilisations ? Et n'est-il pas significatif d'entendre monter, comme un cri d'alarme, des régions d'intense industrie, un appel à la formation dans les campagnes d'une population paysanne saine, forte, profondément et intelligemment chrétienne, qui soit comme une digue infranchissable contre laquelle vienne se briser la vague montante de la corruption physique et morale.
L'aspect moral et religieux de cette question vous touchera, bien entendu, au premier chef. Et l'on ne saurait trop redire, en effet, combien le travail de la terre est, en soi, générateur de santé physique et morale, car rien ne tonifie autant le corps et l'âme que ce bienfaisant contact avec la nature, directement sortie des mains du Créateur. La terre, elle, ne trompe pas, elle n'est pas sujette aux caprices, aux mirages, aux attraits artificiels et fiévreux des villes tentaculaires. Sa stabilité, son cours régulier et sage, la majesté patiente du rythme des saisons sont comme autant de reflets des attributs divins. O fortunatos nimium... Oui, plus heureuse encore, et plus noble que ne l'imaginait le poète antique, cette race paysanne, qui peut s'élever si facilement, par ses conditions mêmes de vie jusqu'au Tout-Puissant, qui a fait le ciel et la terre !
Mais le côté économique et technique du problème agricole ne laissera pas non plus d'appeler tous vos soins, dans la mesure où il intéresse la justice sociale et le bien commun. Les améliorations de la vie paysanne, en ce qui concerne une organisation rationnelle tant de la culture pour produire davantage, que de la vente pour un équitable profit, feront à bon droit l'objet de vos études. En ce temps de disette quasi universelle, il n'est pas indifférent d'abord qu'un meilleur rendement du travail de la terre, une plus intense production de denrées agricoles permettent d'alléger les épreuves si durement ressenties par des continents entiers, que le récent cataclysme a réduits à la misère. Il est également nécessaire de pourvoir à l'institution d'œuvres sociales veillant aux légitimes intérêts, aux progrès matériels et moraux de la classe paysanne, à sa sécurité et à son avenir : tout cela sera bien propre, non seulement à enrayer le fléau de l'exode rural, mais à rendre les agriculteurs plus conscients de leur rôle, plus fiers de la dignité de leur vie et de leur mission, de la grandeur et de la sainteté de leur tâche.
Nul doute que les « Semaines » de Rimouski, sous l'égide éclairée du digne Pasteur de cet archidiocèse, ne trouvent là ample matière à exercer leur sagacité et leur zèle. Tout le Canada, où, grâces à Dieu, l'amour de la terre est, Nous le savons, partout en honneur, saura faire écho à de si opportunes leçons. C'est pour qu'elles portent des fruits abondants, dont le monde entier lui-même puisse faire son profit, que Nous vous envoyons, ainsi qu'à vos collègues de la Commission des Semaines Sociales du Canada, aux organisateurs, professeurs et auditeurs de votre XXIVe Session, comme gage des meilleures faveurs célestes, la Bénédiction apostolique.
Castel Gandolfo, le 31 août 1947,
PIUS PP. XII
* Discours et Messages-radio de S.S. Pie XII, IX,
Neuvième année de pontificat, 2 mars 1947 - 1er mars 1948, pp. 607-609
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