DISCOURS DU PAPE PIE XII
AU GROUPE DE PÈLERINS FRANÇAIS DU « GRAND RETOUR »*
Vendredi 22 novembre 1946
Votre petit groupe, très chers fils, Nous rend présentes, en ce moment, les foules innombrables qui, depuis plus de trois ans et demi, ont pris part au « Grand Retour » : retour de Notre Darne après son voyage triomphal à travers son royaume, mais surtout retour des âmes, par Marie, à Jésus. Pour vous, qui comptez parmi les plus zélés conducteurs de ce « Grand Retour », vous avez voulu, au nom de tous, venir vers Nous. De tout Notre cœur paternel, Nous vous accueillons et Nous vous remercions, vous et, en vos personnes, tous ceux que vous représentez ici. Vous avez fait de votre long pèlerinage un acte permanent de prière et de pénitence ; soyez-en loués. Vous Nous en montrez les fruits abondants et magnifiques, la récolte visible qui laisse deviner la richesse incomparable de la récolte invisible connue seulement du Seigneur maître de la vigne, du divin vendangeur. Il est juste de vous en féliciter.
Et pourtant, plus que des remerciements, plus que des louanges et des félicitations, vous attendez de Nous une consigne. Bien volontiers Nous vous la donnons. Elle tient tout entière en ce seul mot : persévérez ! Persévérez, c'est-à-dire ne vous arrêtez pas en chemin avant d'avoir atteint le but. Persévérez, c'est-à-dire suivez toujours la voie étroite où vous vous êtes engagés. Persévérez, c'est-à-dire restez fidèles à Celle qui vous a guidés jusqu'ici et par qui vous conduirez les âmes à votre suite vers l'éternel salut.
Quel que soit le bien que vous avez fait au cours de votre grande mission, et si bonnes, si sincères, si énergiques que soient vos résolutions, vous aurez besoin de vous animer sans cesse vous-mêmes et d'encourager votre prochain à la persévérance surtout sur ces points, si vous ne voulez vous résigner à n'avoir allumé, durant ces trois ans et demi d'efforts et de fatigues, qu'un beau feu de paille, si vous voulez faire vôtre la parole du Maître : « Ignem veni mittere in terrant, et quid vola nisi ut accendatur ? » (Lc 12, 49).
C'est qu'il faut courage pour persévérer jusqu'au bout. Il vous en faudra pour surmonter au jour le jour votre propre lassitude. Il vous en faudra bien plus encore, las vous-mêmes, pour entraîner les autres. Assez facilement, les foules répondent au premier signal, enthousiastes et généreuses, puis elles se relâchent : au dedans des cœurs, le ressort se détend, un léger souffle qui passe éteint la flamme. À vous de retendre indéfiniment le ressort, à vous d'entretenir le feu, de ranimer l'étincelle, qui dort quand même sous la cendre. Saint Paul ne se lamentait-il pas de l'inconstance des Galates ? (Gal 3, r). Ils étaient si bien partis ! et voilà qu'ils se sont arrêtés. Tout semble à recommencer. Vous aussi, vous la sentirez plus d'une fois cette épreuve et vous aurez à faire appel à toute votre énergie, au secours puissant de la grâce pour persévérer, pour recommencer toujours, pour assurer aux âmes et vous assurer à vous mêmes l'accomplissement de la promesse : « Qui autem perseveraverit usque in finem, hic salvus exit » : — c'est celui qui aura persévéré jusqu'à la fin qui sera sauvé (Mt 10, 22). Que rien donc ne vous arrête, très chers fils, ni la difficulté, ni les déceptions, ni parfois l'apparente stérilité de votre apostolat.
Marchez toujours en avant ! Marchez toujours, mais par la voie où vous êtes engagés, disions-Nous : cette voie est la bonne. C'est la voie de la prière et de la pénitence, la voie royale de la Croix. Il n'en est point d'autre pour forcer à battre en retraite le démon de l'orgueil, de la sensualité, de l'égoïsme, qui s'est emparé du monde et qui le tient captif. Jésus l'a dit : « Hoc genus in nullo potest exire, nisi in oratione et ieiunio » (Mc 9, 28). Il n'en est point d'autre non plus par où aller et conduire les âmes au terme de la vie éternelle. Jésus l'a enseigné par son exemple (Lc 9, 23). On a, de nos jours, trop négligé la leçon du Maître, trop redouté de n'être pas suivi dans la route austère, trop escompté le succès en choisissant d'autres routes plus commodes, plus agréables à la nature. L'expérience heureuse que vous venez de faire a suffisamment dissipé l'illusion vaine de la pusillanimité.
Ce n'est pas que Nous dédaignions les ressources humaines, ni que Nous blâmions l'usage qu'on en fait en les adaptant aux œuvres du zèle, en les mettant au service de l'apostolat. Tant s'en faut ! Dieu a mis à la disposition des hommes les moyens naturels, afin qu'ils s'en servent aussi pour poursuivre les fins surnaturelles. Mais l'erreur serait - erreur pernicieuse - de faire fond d'abord sur ces industries et ces méthodes prétendues modernes et de ne recourir aux forces surnaturelles de la grâce, par la prière et par la pénitence, que comme à un renfort subsidiaire : et plût à Dieu qu'on y recourût encore toujours ! Or, le plus difficile n'est pas l'élan ferveur des veillées nocturnes, des processions pieds-nus sur le sol brûlant ou glacé, s'il ne constitue qu'un épisode passager. Le plus difficile est la fidélité constante aux devoirs, même gênants, du chrétien, aux pratiques pieuses, aux menus sacrifices de la vie quotidienne en esprit de réparation, d'humilité, d'amour.
Il se trompent, au grand dam des âmes, ceux qui pensent les ramener plus facilement au devoir, à la pratique de la religion en desserrant le joug du Maître, en s'aventurant par d'autres sentiers que celui par où lui-même veut nous conduire. Mais ils ne se trompent pas moins ceux qui ne montrent de la route que les ronces et les épines, qui ne songent pas à la faire aimer. Vous avez mieux compris cela, Dieu merci ! vous qui marchez et faites marcher par la voie courageuse, mais qui portez avec vous la Croix de Jésus pour l'illuminer, l'image de Marie pour la fleurir et l'embaumer.
Voilà pourquoi Nous vous recommandions en commençant : Soyez fidèles à Celle qui vous a guidés jusqu'ici. Faisant écho à Notre appel au monde vous l'avez fait entendre autour de vous. Vous avez parcouru la France entière pour le faire retentir et vous avez invité tous les chrétiens à renouveler personnellement, chacun en son propre nom, la consécration au Cœur Immaculé de Marie, prononcée au nom de tous par leurs Pasteurs. Vous avez recueilli déjà dix millions d'adhésions individuelles. Ce résultat Nous cause une grande joie et éveille en Nous une grande espérance. Mais la condition indispensable pour la persévérance dans cette consécration c'est d'en entendre le vrai sens, d'en saisir toute le portée, d'en assumer loyalement toutes les obligations.
Nous ne pouvons ici que rappeler ce que Nous disions sur ce sujet en un anniversaire bien cher à Notre cœur : « La consécration à la Mère de Dieu ... est un don total de soi, pour toute la vie et pour l'éternité ; non pas un don de pure forme ou de pur sentiments, mais un don effectif, réalisé dans l'intensité de la vie chrétienne et mariale » (Discours du 21 janvier 1945 aux congréganistes de la sainte Vierge).
Le grand voyage de Marie, Reine et Patronne de la France, à travers son beau domaine, est donc achevé. Elle continue, de sa falaise de Boulogne, de son trône du ciel surtout, à veiller sur sa famille et à la protéger. Votre voyage à, vous aussi s'achève. Continuez en union avec Elle votre œuvre de salut. Vous attirerez sur votre peuple et sur vous mêmes ses maternelles faveurs, en gage desquelles, Nous vous donnons, à vous, à tous les participants du « Grand Retour », à tous ceux qui son l'objet de votre zèle, à toute la France bien-aimée, du fond de Notre cœur de Père, Notre Bénédiction apostolique.
* Discours et messages-radio di S.S. Pie XII, VIII,
Huitième année de Pontificat, 2 mars 1946 - 1er mars 1947, pp. 321-324
Typographie Polyglotte Vaticane
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