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DISCOURS DU PAPE PIE XII
AUX FIDÈLES RÉUNIS À ROME POUR LA
BÉATIFICATION DE FRÈRE BÉNILDE
*

Lundi 5 avril 1948

En venant Nous exprimer la reconnaissance de tout votre Institut pour la glorification du Frère Bénilde, vous Nous offrez à Nous-même, très chers fils, l'occasion de vous en dire Notre grande joie. C'en est une assurément, que de saluer dans son triomphe un nouveau bienheureux, mais c'en est une aussi, et très profonde, que de pouvoir le proposer sans réserve à votre étude et à votre imitation. Sans réserve, car, s'il est juste de louer les élus de Dieu, il est surtout utile de s'appliquer à entendre leurs leçons et à suivre leurs exemples. Or, une condition indispensable pour le faire avec fruit est de les étudier attentivement, chose que, trop souvent, on néglige, soit par simple oubli ou superficialité, soit par un sentiment de sa propre impuissance à reproduire des modèles de leur taille.

Devant le saint dont la vie est un tissu d'actes éclatants de vertus surhumaines, de pénitences horrifiantes et, en même temps, de faveurs célestes des plus rares, on demeure tellement ébloui que, dans cet éblouissement, alléguant l'impossibilité d'atteindre une si haute perfection, on se contente de répéter une fois de plus la formule devenue banale à force d'être commode, que les saints sont plutôt à admirer qu'à imiter. À l'inverse, devant le saint dont la vie se déroule toute unie sans épisodes impressionnants, sans exploits retentissants, plusieurs restent déçus et on la juge trop terne pour valoir la peine d'y chercher des exemples à suivre.

Dans un cas comme dans l'autre, ce qui a échappé à l'examen, c'est précisément l'essentiel. Comme on foule aux pieds, dans l'herbe où elle se cache, la violette, sans la reconnaître à son parfum, on dédaigne le parfum discret d'une vie sans éclat ; pas davantage on ne sait deviner, derrière le décor merveilleux d'une vie à grande allure, la réalité vivante, l'âme, pour s'efforcer non de copier les gestes, mais de vivre du même esprit, dont ces gestes furent animés.

Mieux peut-être que d'autres vies, celle de votre Frère Bénilde se manifeste-t-elle au premier coup d'œil admirable et imitable. Vie simple et uniforme, succession ininterrompue d'actions ordinaires dans un cadre plutôt modeste, non pas vie cachée, mais vie dépensée tout au grand jour, sous les yeux d'une population plus à même de comprendre et d'apprécier l'héroïsme du maître d'école que celui de la contemplative ou de l'étudiant.

Quel est donc le secret de la sainteté de ce Frère Bénilde ? Un grand nombre de témoins ont défilé au procès de sa béatification, et la somme de leurs dépositions en des pages très simples montrerait surtout - en l'illustrant çà et là de quelques traits sans grand relief — l'exécution au jour le jour du programme tracé, par la règle et par la coutume, aux fils et disciples de saint Jean-Baptiste de La Salle. C'est un programme qui peut paraître bien restreint à qui ne lui accorde qu'un regard superficiel, bien mesquin à qui, ne voyant que l'aspect humain des choses, le compare à celui des grands conquérants apostoliques, à celui des grands contemplatifs et des grands pénitents. Telle qu'elle est, cette règle prend l'homme tout entier, à tout instant, sans répit, sans même le soulagement de quelque variété dans l'abnégation et le sacrifice. Ce qui s'est fait hier, se qui se fait aujourd'hui, se fera demain et de la même manière. Aucun évènement saillant n'y fait date et, n'était le front qui insensiblement grisonne, se découvre et se penche chaque jour un peu plus, rien ne dirait que les semaines, les mois, les années ont fait longue cette vie courageuse. Les témoins concordent dans l'impression qu'ils manifestent sur l'héroïcité des vertus telles qu'elles leur apparaissaient dans notre nouveau Bienheureux. « Je considère, disait l'un d'eux qui avait été jadis son élève, que l'héroïcité des vertus consiste non seulement à faire des actes extraordinaires, mais à accomplir son devoir sans se démentir jamais, et c'est à ce dernier titre que je pourrais appeler héroïques la vertu ou les vertus du Frère Bénilde » (Summ. num. VI § 41). « Il ne s'est jamais démenti dans l'accomplissement de notre règle, qui est pourtant sévère, dit un autre, et en cela il a été héroïque » (ibid. § 52). Mais lui-même a indiqué la vraie marque de sa sainteté, lorsqu'il disait, sans se douter qu'il faisait ainsi d'avance son propre panégyrique : « Pour être un saint, il n'y a pas chez nous grand'chose à faire : il n'y a qu'à observer la règle » (ibid. num. XII § 28). La maladie même ne l'empêchait pas d'y être rigoureusement attaché et on le voyait alors « se traîner péniblement jusqu'à l'oratoire pour assister aux exercices. Il n'y a guère manqué que pendant sa dernière maladie » (ibid. num. VI §§ 9-10) : Et alors, et dans la mort même, il se montra passionnément fidèle. Il voulut renouveler ses vœux, bien résolu à être, disait-il, « régulier jusqu'à la fin » (ibid. num. XVIII § 5o). Prenant en main son livre des règles, il se met à pleurer, lui, le modèle des religieux, « de n'avoir pas assez bien observé cette sainte règle » (ibid. §§ II-12)

C'est encore un témoignage, et non le moins convaincant peut-être, la crainte instinctive qu'éprouvaient certaines jeunes Frères d'aller vivre à Saugues, où il était Directeur (ibid. n. § 161). Ils le connaissaient de réputation et lui-même, on le savait, disait : « Je ne suis pas digne d'être directeur, mais aussi longtemps que mes supérieurs me laisseront dans cet emploi j'exigerai que la règle soit scrupuleusement observée » (ibid num. XIII § 21). Ceux qui avaient fait l'expérience de son gouvernement exaltent son immense charité ; il s'appliquait à rendre le joug plus suave, mais pour rien au monde il ne l'eût desserré et cela pouvait faire peur à des débutants encore fragiles (ibid. num. XV § 24). Ils étaient, au reste, fort probablement, bons religieux, mais enfin, on peut sans se dérober à la règle, sans la violer positivement, même de façon légère, la tourner adroitement, tout au moins s'arranger en sorte de n'en pas trop sentir l'étreinte. Il y a de la marge de la simple correction disciplinaire à la pratique exacte de la plus rigoureuse ponctualité, à l'exquise délicatesse des amants de la pauvreté, au renoncement total que suppose la dépendance absolue, à l'abnégation continuelle requise par l'exercice de cette vie commune dans laquelle saint Jean Berchmans trouvait sa grande mortification : « Maxima mea paenitentia vita communis ». Il y a des degrés et, dans une vie sans grands incidents, sans occasion, extraordinaires, c'est à ces degrés que se mesure la sainteté d'un religieux. Celle du Frère Bénilde s'élevait très haut.

L'esprit mondain, trop naturel, se trompe, lorsqu'il méconnaît l'héroïsme d'une vie cachée ; il se trompe, lorsqu'il s'imagine la vie, retirée dans la solitude et le silence de la contemplation ou de l'étude, comme une vie pieusement oisive de repos et de tranquillité. Certes, il ne peut plus conserver cette illusion en regardant notre Bienheureux. Toute simple qu'elle fût, sa vie se déroulait au jour le jour, sous les yeux et dans la fréquentation continuelle de nombreux témoins, les plus variés, dont plus d'un avant de concourir à sa gloire en déposant dans le procès de béatification, avait contribué, durant sa vie d'ici-bas, à lui faire pratiquer les vertus héroïques qui l'ont fait saint. Élèves, familles, population de Saugues et de la région, autorités civiles et religieuses exerçaient sa patience, bien difficile humainement, quand il lui fallait, tout en la gardant douce et charitable, maintenir avec une indomptable fermeté et faire respecter les droits et les exigences de sa condition de religieux, d'instituteur et de directeur. Que d'avanies il eut à supporter, les plus irritantes, dont les exemples se pressent en foule dans votre mémoire : un jour c'est pour soutenir l'autorité d'un de ses subordonnés, dont la juste sévérité a allumé la fureur d'un père trop enclin à voir dans son fils indiscipliné une innocente victime de la tyrannie pédagogique (ibid. num. XIII § 45) ; un autre jour, c'est pour sauvegarder la régularité et le recueillement de sa communauté contre les importunes indiscrétions d'un voisin parmi les mesquines querelles de mur mitoyen (ibid. §§ 9 e 46). Durant un temps plus long, il lui faut assurer, dans le maintien de la paix et de la concorde, les droits et les intérêts de son école tiraillée entre les rivalités, susceptibilités et divisions de partis, qui opposent entre eux les divers représentants de l'administration ecclésiastique et séculière. Les bonnes volontés mêmes le mettaient, par leur maladresse, en fâcheuse posture. Finalement sa bonté, ses vertus réussissaient à vaincre les hostilités, et ses pires adversaires devenaient ses meilleurs amis ; l'un d'eux, un des plus acharnés, mourut sereinement entre ses bras (ibid. num. X § 157). L'ensemble de la population ne pouvait manquer de sentir la salutaire influence de ce serviteur de Dieu.

Lorsque la justice et le devoir ne la forçait pas à se raidir dans la lutte, alors sa charité se donnait libre cours avec une souriante délicatesse. Il était attentif pour découvrir et soulager les nécessités des familles, surtout de ses élèves. Mais il y mettait tant de discrétion et d'ingéniosité, que les plus ombrageux n'auraient pu se sentir humiliés de recevoir ce qui perdait toute apparence d'aumône. Il faisait cadeau de livres et d'autres fournitures classiques ; il prenait soin des malades, surtout de ceux qui pouvaient provoquer quelque répugnance ; il les instruisait en leçons particulières (ibid. num. X §§ 47-49, 71-72, 99-103). Il aimait tant ses enfants ! Et pourtant quelle croix pesante ils mettaient sur ses épaules ! Le martyrologe fait connaître le supplice d'un maître d'école, qui eut d'autant plus à souffrir de la part des écoliers devenus ses bourreaux, que leurs coups impuissants prolongeaient d'autant plus ses tortures (cfr. Martyrol. Rom. Bruxellis 1940, aug. 13, n. 2 ; S. Cassiani mart.). C'est un fait isolé, mais combien de maîtres ont à supporter durant des années, durant toute une longue vie religieuse, comme une sorte de martyre lent de la part d'enfants qui ne se doutent point qu'il font souffrir. Le Frère Bénilde a laissé échapper un mot, qui donne à entrevoir ce qu'il eut à endurer dans sa vie d'instituteur et de directeur : « Si nous n'avions pas la foi, notre profession serait bien pénible, les enfants sont difficiles, mais avec la foi comme toute change » (ibid. num. VII § 52). Les enfants fussent-ils tous sages et bons, la consolation qu'ils donneraient ne les empêcherait pas d'être souvent fatigants par leur étourderie, leur espièglerie, leur difficulté parfois à comprendre les choses les plus simples. Et puis, à peine sont-ils dégrossis qu'ils quittent l'école ou passent en d'autres mains, oubliant leur maître, qui reprend patiemment sa tâche auprès d'une nouvelle génération, et ainsi d'année en année. Si ce n'était que cela, ce serait encore l'idéal ; mais, pour quelques sujets qui correspondent aux soins dont ils sont entourés, combien d'autres qui ne donnent que de la fatigue et de la peine et dont l'éducation ne se fait qu'à grosses gouttes de sueurs et de larmes !

Une si indéfectible constance dans la fidélité aux humbles devoirs de la vie quotidienne, dans la pratique de toutes les vertus et dans toutes les occasions, ne peut être que l'épanouissement au dehors d'une vie intérieure profonde, vigoureuse, débordante de sève divine. Seuls sont capables d'en donner l'exemple avec l'inaltérable sérénité du bienheureux Bénilde ceux qui peuvent faire leur le mot de saint Paul : « Notre chez-nous est dans les cieux»: « Nostra conversatio in caelis est » (Ph 3, 20).

Occupé sans relâche au soin des Frères de sa communauté et de ses enfants, il était pourtant en union permanente avec Dieu. On le rencontrait habituellement le chapelet en main et, sans effort, par un épanchement spontané de sa dévotion, il inspirait à tous l'amour de Jésus, de Marie et de Joseph.

Modèle admirable, mais modèle imitable pour tous, pour vous surtout, ses frères en religion. Que son intercession vous obtienne à tous une nouvelle infusion, toujours plus abondante de l'esprit de votre institut, tel que l'a conçu et établi votre saint fondateur. Soyez les dignes fils de saint Jean-Baptiste de La Salle, les fervents émules du bienheureux Bénilde dans l'exercice de votre difficile mais magnifique apostolat. Il sera également pour vous un protecteur puissant, et non pas seulement pour vous, mais pour tous ceux, religieux et laïques qui, avec une abnégation digne de tout éloge, ont voué leur vie à l'éducation de la jeunesse. Sous son patronage, toutes ces admirables écoles catholiques, sur lesquelles a passé l'orage, ou dont l'existence est plus ou moins menacée ou rendue difficile, verront, Nous en avons la ferme espérance, le soleil briller de nouveau sur elles et elles reprendront ou poursuivront, plus florissantes que jamais, leur tâche, sainte entre toutes, de fournir des citoyens exemplaires et utiles à la société, de vaillants serviteurs au Christ et à l'Église.

Et vous aussi, élèves et anciens des Frères, c'est avec une douce émotion que Nous vous voyons accourus si nombreux pour vous joindre dans la joie et la fierté de ces journées aux éducateurs de votre enfance et de votre adolescence. Nous y voyons une manifestation de plus de cet esprit de famille, qui a toujours fait l'honneur et la force de l'Institut des écoles chrétiennes. Vous êtes venus de bien des nations ; combien d'autres sont ici de cœur ! Vous êtes venus de la France, patrie du bienheureux Bénilde et de son Père saint Jean-Baptiste de La Salle.

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Estáis presentes también los peregrinos venidos de España, los hijos de ese pueblo, cuya fe y cuyo fervor se diría que el nuevo Beato ha mirado desde el cielo con predilección especial, premiandole con numerosas gracias, dos de las cuales son precisamente las que han servido para glorificarle, verificadas en las afortunadas personas de dos buenos Hermanos españoles.

Vuestro inquebrantable amor y vuestra adhesión ejemplar a Jesucristo y a su Iglesia son sin duda ninguna la mejor recompensa para aquellos — es decir, para los excelentes educadores, los Hermanos de las Escuelas Cristianas — que han contribuido a la formación de los espíritus y de los corazones de una juventud sana, pura y fuerte, dispuesta a dar testimonio de su propia fe hasta con el derramamiento de su sangre.

Y al lado vuestro, en santa y justa hermandad de apellidos, de lengua y de fe saludamos igualmente a los peregrinos hispano-americanos, hijos también de jovenes pueblos cristianos, esperanza de la civilizacién y de la Iglesia.

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Finalmente il Nostro saluto si volge con particolare affetto a voi, diletti figli, alunni ed ex alunni venuti da tutte le regioni d'Italia, ove l'albero piantato già in terra di Francia ha prodotto così forti virgulti e maturato cosi nobili frutti di virtù religiose e civili. Quale magnifico « libro d'oro » potrebbero formare i nomi di tanti buoni, fedeli e valorosi servitori di Dio, della patria e della umanità, di tanti cattolici saldi, fervorosi e ben istruiti nelle verità della fede, usciti dalle scuole elementari, tecniche e superiori dei « cari Fratelli », scuole ove, al pari di un tempio, entra l'onestà e il decoro, risplende il sapere e presiede quella religione, che, mentre sospinge e guida gli animi fervidi della gioventù sui diversi sentieri dell'azione, del lavoro, dello studio, dell'ardimento sociale, li innalza e li sublima in Dio. Il nostro Beato aveva ben ragione quando affermava che la fede trasfigura e fa gradita e dolce una professione la quale per se stessa può essere non di rado penosa. Questo spirito di fede, attinto dalla regola del santo Fondatore, rendeva a lui l'insegnamento soprattutto catechistico così soave e pregevole, che, dopo averlo esercitato per lunghi anni con amorosa diligenza, continuò ad impartirlo, pur con respiro affannoso, ai fanciulli fin quasi al termine della sua santa vita.

Con tali sentimenti e con tali auguri, invochiamo su tutto il benemerito Istituto, sparso nelle cinque parti del mondo, le più elette grazie del Cielo, mentre di gran cuore impartiamo a quanti siete qui presenti, religiosi, alunni ed ex-alunni, conte anche alle vostre famiglie e alle persone e cose che vi sono care, la Nostra paterna Apostolica Benedizione.


* Discours et messages-radio de S.S. Pie XII, X,
Dixième année de pontificat, 2 mars 1948- 1er mars 1949, pp. 37-43
Typographie Polyglotte Vaticane.



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