DISCOURS DU PAPE PIE XII
À UN GROUPE D'ARTISTES DE L'ACADÉMIE DE FRANCE*
Salle du petit Trône - Mercredi 19 mai 1948
Un des plus beaux panoramas de Rome, au dire des voyageurs, est celui qui s'étend sous leurs yeux, quand du Pincio, de votre Académie de France, leur regard se dirige vers Saint-Pierre et le Vatican. Quoi de plus compréhensible que Notre joie de vous voir, artistes, franchir cette courte distance et venir de chez vous jusqu'à Nous ?
L'art, exprimé par les formes et les couleurs ou par les sons, germe ou gazouille en tous pays — et le climat de France lui est des plus favorables — ; il vient, dit-on, s'épanouir ou chanter à Rome, y apportant toutefois et y gardant les tonalités lumineuses ou sonores de son terroir. Mais ici, au contact des artistes de tous les autres pays, qui s'y donnent rendez-vous, sans perdre de son originalité, il s'harmonise avec tous et s'enrichit. À Rome même, nul lieu n'est, comme celui-ci, pour ainsi dire, leur patrie commune. C'est un fait, un fait providentiel : faut-il s'en étonner ?
Bien loin de là, il apparaît tout normal, sans doute parce que la Rome antique était le centre de la civilisation humaine, et parce que la Rome chrétienne en est la capitale spirituelle. Mais on peut en chercher aussi la raison plus profonde et propre à l'art. Dante l'a dit avec la majesté de son génie : « vostr'arte a Dio quasi è nipote » (Enf. II, 105). C'est qu'il est fils de la nature. Il se penche sur elle, il la contemple, il l'écoute en silence, non pour lui arracher son secret mais pour entendre ses confidences comme on écoute celles d'une mère. Il n'en fait point sa proie pour étaler aux yeux indiscrets l'inégalable beauté de son vêtement extérieur. Il n'en fait point son esclave, la torturant pour la plier, défigurée, aux caprices de sa pensée absconse. Aussi distant d'un réalisme exagéré, tout matériel et de mauvais aloi, que d'un faux idéalisme qui la sacrifie à la fantaisie égoïste et orgueilleuse, avec un respectueux amour de fils, il devine la transparence de son voile, il entend l'écho de son chant intérieur et, dans cette transparence, dans cet écho, il découvre, enchanté, ce que, même dans les êtres les plus matériels, elle recèle d'esprit, de reflet divin.
Joie de l'artiste qui, en toute créature, voit resplendir la lumière du Créateur ; noble mission de l'artiste, qui aide les plus insensibles et les plus étourdis à voir, à goûter la beauté naturelle des plus humbles choses et à travers elle, la beauté de Dieu et, tout en foulant des pieds la terre, à lever le front et les yeux vers le ciel, vers Dieu.
Cette mission, remplissez-la de votre mieux, avec tout votre amour. Et afin qu'elle vous y assiste, Nous invoquons pour vous la Vierge Mère, la toute sainte et la toute belle, l'inspiratrice des vrais artistes. Et Nous-même, Vicaire du Verbe qui, étant miroir de la splendeur du Père, s'est fait chair et a habité parmi nous, de tout Notre cœur Nous vous donnons Notre Bénédiction apostolique.
* Discours et messages-radio de S.S. Pie XII, X,
Dixième année de pontificat, 2 mars 1948 - 1er mars 1949, p. 87-88
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