À UN GROUPE D'ÉTUDIANTS ET PROFESSEURS DE LA
MISSION UNIVERSITAIRE FRANÇAISE DE ROME*
Salle des Bénédictions - Samedi saint 16 avril 1949
Votre démarche, chers fils et chères filles, Nous touche profondément, car elle Nous apporte un grand motif d'espérance. Parmi les douleurs et les angoisses que Nous causent les événements présents, une de Nos préoccupations - et non la moindre - Nous vient du désarroi où Nous voyons les esprits, et de leurs déviations, qui donnent à craindre de nouveaux malheurs.
Professeurs et étudiants universitaires, vous représentez ici l'élite intellectuelle de la France. Or, qui dit élite, dit, sans doute, élévation, dignité, dit surtout mission, devoir, responsabilité. On proclame souvent - et avec juste raison - que ceux qui possèdent en abondance les biens matériels de la fortune, doivent se considérer comme les « banquiers de Dieu », les mandataires de sa Providence auprès des pauvres. De même, et à plus forte raison, ceux à qui le Père des lumières a plus richement dispensé les dons de l'intelligente et du savoir, ont reçu, par le fait, la mission et le devoir de distribuer avec sagesse ces trésors à la foule, qui en serait sevrée ou qui risquerait de les gaspiller follement.
Il est évident que, aujourd'hui plus que jamais, le monde est pris d'une fringale de savoir, non plus comme jadis, aux âges injustement taxés d'ignorance, où chacun, pourtant, avait le désir d'acquérir, aussi profonde que possible, avec la connaissance des choses nécessaires à la vie dignement honnête d'ici-bas et au salut éternel, la compétence propre à son art ou à son métier. Aujourd'hui, chacun veut ou prétend tout savoir, en se contentant toutefois d'une teinture superficielle des questions les plus disparates, juste de quoi en faire vaniteusement étalage. Cette curiosité est-elle un bien ? est-elle un mal ? Qu'elle soit l'un ou l'autre, elle est un fait et ce fait domine la mentalité du peuple. Il est dangereux tant qu'on voudra, et tristement ridicule, de vouloir, sans notions préalables, sans préparation, se jeter sur toute pâture intellectuelle de philosophie, de sociologie ou d'économie, de sciences physiques, chimiques ou biologiques. Mais, encore une fois, c'est un fait ; il s'impose et, en s'imposant, il vous dicte votre mission et votre devoir.
Cette manie de paraitre tout savoir, trop de hâbleurs sont disposés à la flatter et à la satisfaire à peu de frais pour eux, au grand dam de leurs auditeurs et de leurs lecteurs. Il n'y a qu'un remède : répondre au besoin et à l'appel des intelligences, en leur donnant, en leur accommodant, une nourriture saine, substantielle, qui les dégoûte des breuvages capiteux et de mets frelatés. Là est la difficulté, mais là est la beauté, la grandeur de votre rôle, de celui auquel vous, illustres maîtres, vous dévouez laborieusement votre vie, de celui auquel vous, jeunes étudiants, vous vous préparez, animés d'une généreuse et sainte ambition. Ah certes ! il vous serait autrement aisé d'éblouir le grand public par de belles phrases sonores et vides, qui ne lui donneraient point la vérité et qui le disposeraient, au contraire, à accueillir, docilement crédule, le sophisme et l'erreur.
Bien plus ardue et multiple est votre tâche : acquérir, étendre, approfondir, faire progresser la science qui est de votre compétence, tout en vous tenant au courant de ses contacts et interférences avec les autres branches du savoir ; et puis, pour ainsi dire, la monnayer afin de la mettre à la portée des esprits et qu'elle soit acceptée volontiers, assimilée par eux, et surtout qu'elle leur soit éclairante et nourrissante.
Vous avez en France une magnifique galerie d'hommes, également éminents comme savant et comme écrivains, tels que le mathématicien Henri Poincaré, l'entomologiste Henri Fabre, le géologue Pierre Termier (combien d'autres devraient être ici nommés, sans parler des vivants !). Cette alliance, chez eux, de la valeur scientifique et de la valeur littéraire est un trésor du plus haut prix. Car enfin, de quoi servirait à l'humanité en général une science obscurément ensevelie dans des livres aux pages à peine connues ou feuilletées seulement par quelques rares initiés ? Et de quoi servirait, d'autre part, une littérature qui ne serait plus qu'un amusement, qu'un passe-temps, qu'un divertissement de dilettante, sans apporter à l'intelligente une lumière nouvelle, à la volonté une impulsion plus puissante, au cœur une flamme plus ardente, à la vie un idéal qui ne soit pas un vain mirage, mais un but et une raison de vivre ?
Un autre motif vous oblige au labeur consciencieux et profond de l'étude et de l'enseignement par la parole ou par la plume : un motif de dignité et de respect. Qu'est, en effet, le savant, l'écrivain, le maître, l'orateur, l'intellectuel à quelque titre, sinon, dans une mesure plus ou moins haute, en quelque sorte, homo missus a Deo... ut testimonium perhibeat de lumine : un homme envoyé de Dieu... pour témoigner de la lumière (cf. Jn 1, 7-8) ? Pénétré du sentiment de cette dignité dont Dieu l'a revêtu, il doit l'être aussi de respect. Respect avant tout envers la lumière éternelle, dont il a reçu le mandat de projeter les reflets sur toute la création. Mais, par conséquent, respect envers la science elle-même, c'est-à-dire envers la vérité, qu'il ne doit jamais, par intérêt ou par passion, par timidité ou par vaine ostentation, altérer, mutiler ni discréditer, en donnant pour certitude ce qui n'est qu'hypothèse ou probabilité. Respect, ajouterons-Nous, envers la langue, appelée à revêtir la vérité d'un manteau de lumière et de beauté. Comme votre langue française est bien faite pour draper ce manteau ! On la dit souvent claire, forte et savoureuse. Ce n'est pas qu'elle se livre telle aisément. Elle ne se laisse conquérir et manier qu'au prix de longs et courageux efforts. « Semblable, dit Joseph de Maistre, à l'acier, le plus intraitable des métaux, mais celui de tous qui reçoit le plus beau poli lorsque l'art est parvenu à le dompter, la langue française, traitée et dominée par les véritables artistes, reçoit entre leurs mains les formes les plus durables et les plus brillantes » (Œuvres inédites, Mélanges : Fragments sur la France, I, p. 8).
Voilà, chers fils et chères filles, ce qui incline vers vos travaux Notre plus vif intérêt, vers vos personnes Notre plus profonde affection et, dans ces sentiments, priant de tout cœur le Verbe, Sagesse éternelle, et la Vierge votre Mère, Sedes Sapientiae, de vous guider, Nous vous donnons Notre très paternelle Bénédiction apostolique.
* Discours et messages-radio de S.S. Pie XII, XI,
Onzième année de pontificat, 2 mars 1949 - 1er mars 1950, pp. 39-41
Typographie Polyglotte Vaticane
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