DE JULIEN MAUNOIR*
Salle Clémentine - Mardi 22 mai 1951
C'est une belle leçon d'optimisme, mais d'optimisme sain, clairvoyant, actif et surnaturel, que donnent, chers fils et chères filles, la vie, l'histoire et la glorification de Julien Maunoir. En présence des incontestables misères de tout ordre qui affligent aujourd'hui le monde, des difficultés de toute sorte qui paralysent sa restauration, de l'insuffisance des ressources en remèdes et en hommes capables de les appliquer avec fruit, on voit et l'on entend trop d'expressions d'un pessimisme stérile et stérilisant. Pessimisme bien divers en ses manifestations. Tandis que d'aucuns, découragés, renoncent ou sont tentés de renoncer à l'effort, tout au moins de le relâcher, semblables un peu à ce pauvre Élie, qui s'asseyait tristement à l'ombre d'un arbuste, en attendant la mort (cf. 3 Reg. 19, 4), d'autres en prennent allègrement leur parti et, estimant qu'il n'y a plus rien à faire, ne font plus rien, à supposer qu'ils aient jamais fait quelque chose.
La situation, au temps et au pays où vivait et peinait le nouveau bienheureux, était-elle plus encourageante ? L'ignorance religieuse n'était guère moins profonde ; elle était seulement moins habilement voilée sous le fallacieux décor d'une science profane, superficielle et vaine. L'intempérance régnait avec toute la séquelle des autres vices, qui naissent d'elle ou qui l'accompagnent. Conséquences de guerres religieuses, relents d'hérésies étaient encore aggravés par la carence du clergé, faute de vocations ou faute d'esprit sacerdotal. Par surcroît, l'effervescence populaire, les agitations sociales surexcitées par la levée des impôts, rendaient encore plus malaisé le ministère spirituel et l'apostolat. Le tableau, qui pourrait être plus complet, inviterait au parallèle avec le temps présent, et la comparaison ne serait peut-être pas au désavantage de celui-ci.
Par suite de quelle transformation, la Bretagne a-t-elle réussi à mériter, depuis, d'être montrée au monde en exemple de vie ardente, morale, profondément chrétienne ? Elle-même en attribue l'honneur, après Dieu, la Vierge et ses saints patrons, à ses missionnaires, au premier rang desquels elle vénère le bienheureux Julien Maunoir.
Qu'a-t-il donc fait et quel fut son secret ? Il fut tout simplement apôtre, mais il le fut dans toute l'extension et toute la force du terme : apôtre du Christ, formé à son école, docile à ses principes et à ses leçons, pénétré de son pur esprit. Beaucoup de catholiques fervents ont à cœur d'être aussi de ces apôtres-là, quelques-uns sans en connaître les caractères et les conditions, bien d'autres, et Nous Nous en réjouissons, avec une notion et un programme précis. Action intense, adaptation aux dispositions et aux méthodes du temps. Il Nous semble bien que ce furent là, entre autres, les traits de la physionomie et de l'activité du bienheureux Julien Maunoir, vrai congréganiste de la très sainte Vierge, comme le furent, au même temps, saint Jean Eudes et, après lui saint Louis Grignion de Montfort. Peut-être les entendait-il à sa manière, comme d'autres les entendent à la leur, et peut-être aussi, pour ne pas dire certainement, sa manière de les entendre en a assuré le succès.
En fait d'action intense, Maunoir peut soutenir aisément et victorieusement la comparaison avec qui que ce soit : labeurs, fatigues, incommodités, souffrances, sans jamais se reposer ni s'épargner dans la succession ininterrompue des missions, et quelles missions ! sur le continent et dans les îles, prédications, processions, catéchismes, confessions, visite des malades et le reste. À lire sa vie, on se demande comment un seul homme a pu suffire à tant de travaux, comment sa nature a pu tenir tête à un tel surmenage. Comment ? Par l'effet de l'adage entendu au sens chrétien : Mens agitat molem (Verg. Aeneis, 6, 727). Homme d'action plus que personne, il mettait au-dessus de l'action l'étude, au-dessus de l'étude la prière. Si puissant était son attrait pour elle que son maître Michel Le Nobletz croyait devoir le mettre en garde contre un excès, qui pût compromettre l'expansion de sa vie apostolique. L'histoire montre que, de sa part, ce préjudice n'était pas à redouter. Elle montre en même temps de quelle source, exubérante et pure, jaillissait sa prodigieuse activité extérieure. Il avait, dit-il lui-même, reçu de Dieu un don d'oraison, qui le tenait en continuelle union avec lui.
Avec raison, avec aussi, parfois, quelque illusion ingénue de découverte et d'innovation, on prône l'adaptation du zèle : il faut être de son temps, il faut être de son milieu. Saint Paul le disait déjà ou, mieux, il en donnait l'exemple : Omnibus omnia factus sum, ut omnes facerem salvos (1 Co 9, 22). Ainsi faisait également le bienheureux Julien Maunoir, et il faudrait bien chercher pour lui trouver en cela un émule qui le surpasse. C'est pour se mettre à la portée de tous qu'il apprend leur langue difficile, qu'il enseigne à l'aide de grands tableaux figurés la doctrine et la morale, qu'il les met en refrains et en couplets, si bien imprimés dans la mémoire qu'on les chante encore aujourd'hui. Il sait mettre en œuvre maintes industries qui touchent la foule plus profondément encore que vivement. S'il voyage surtout à pied et par les grand chemins, c'est dans l'espoir de rencontrer au passage et de recueillir les agneaux dispersés, les brebis errantes. Pareil au bon père de famille, il tire de son trésor « nova et vetera » (Matt. 13, 52), le vieux et le neuf, ce qui convient pour le moment.
Fiers bretons, acclamez votre bienheureux, soyez fidèles à ses leçons, comme l'ont été vos pères, demandez-lui avec confiance la persévérance et le progrès dans votre foi et dans votre vie chrétienne. Prêtres et apôtres de la Bretagne et de partout, inspirez-vous à ses exemples ; son école est sûre et de bon rendement ; son intercession, de là-haut, continuera par vous son œuvre d'ici-bas.
Vous tous enfin, que la flamme du zèle dévore, qui, d'un cœur sincère et ardent, vous dévouez au salut et à la rénovation de votre temps et de votre pays, imitez le bienheureux Julien Maunoir infatigable dans l'action, mais action qui déborde de la surabondance de sa vie intérieure surnaturelle ; imitez-le, hardi dans l'adaptation aux circonstances présentes et fermement attaché à ce qui, dans les traditions, est toujours actuel, parce que immuable et éternel.
Et Nous, chers fils et chères filles, qui invoquons sur vous les grâces sanctificatrices de Dieu, les faveurs les plus exquises de la Vierge Immaculée, l'appui de sainte Anne, de vos célestes Patrons, du bienheureux Julien Maunoir, Nous vous donnons, avec toute Notre affection paternelle, Notre Bénédiction apostolique.
* Discours et messages-radio de S.S. Pie XII, XIII,
Treizième année de Pontificat, 2 mars 1951 - 1er mars 1952, pp. 103-105
Typographie Polyglotte Vaticane
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