DISCOURS
Samedi 13 septembre 1952
Nous vous souhaitons la bienvenue, Vénérables Frères, très chers fils et filles, qui représentez le mouvement de « Pax Christi ». Vous venez d'affirmer à Assise votre attachement à l'esprit de St François, aux sources duquel vous vous efforcez de puiser, et maintenant vous voici devant Nous, pour implorer sur votre mouvement, ses buts, son travail, ses succès, la Bénédiction du Vicaire du Christ.
« Pax Christi », très chers fils et filles, est surnaturel et à la fois bien présent à la réalité naturelle. Les forces de paix accumulées dans l'Église et le monde catholique grâce à l'unité surnaturelle des catholiques dans le Christ, dans la foi, dans l'accord fondamental de la pensée et des idées sociales, « Pax Christi » veut les utiliser pour procurer l'atmosphère nécessaire aux tendances, qui visent à l'unification économique et politique de l'Europe d'abord, et plus tard peut-être des territoires qui la débordent.
Nous apprécions vivement ce caractère surnaturel et naturel à la fois de « Pax Christi ». Un surnaturalisme, qui s'écarte, et surtout écarte la religion, des nécessités et des devoirs économiques et politiques, comme s'ils ne concernaient pas le chrétien et le catholique, est chose malsaine, étrangère à la pensée de l'Église. « Pax Christi » n'adopte pas cette attitude unilatérale. Au contraire, Nous croyons pouvoir Nous exprimer ainsi, il a pris son départ au cœur des nécessités sociales et politiques.
Depuis des années, les peuples, les États et des continents entiers cherchent à obtenir la paix. Qu'est-ce que l'Église ne donnerait pour leur procurer la paix ! Seule, elle ne le peut cependant pas, pour ce simple motif déjà que la puissance lui manque à cet effet. L'Église pouvait agir plus efficacement au temps où l'homme et la culture d'Occident étaient exclusivement catholiques, où l'on s'entendait généralement à reconnaître le Pape comme conciliateur et médiateur des différends entre les peuples. Cependant, même alors, l'Église ne réussissait pas toujours. Aujourd'hui par contre, les convictions religieuses sont trop souvent confuses et divisées et la laïcisation de la vie publique poussée fort loin. Ce que, dans ces circonstances, l'Église ne peut pas apporter à la cause de la paix, ce qu'elle peut y apporter, en quoi consiste principalement sa tâche, Nous l'avons expliqué amplement dans Notre dernier Message de Noël.
En tout cas, si aujourd'hui des personnalités politiques conscientes de leurs responsabilités, si des hommes d'État travaillent pour l'unification de l'Europe, pour sa paix et la paix du monde, l'Église ne reste vraiment pas indifférente à leurs efforts. Elle les soutient plutôt de toute la force de ses sacrifices et des prières. Vous avez donc bien raison de voir en ce point votre premier objectif: prier pour la compréhension mutuelle des peuples et pour la paix.
Quand Nous suivons les efforts de ces hommes d'État, Nous ne pouvons Nous défendre d'un sentiment d'angoisse: sous la pression de la nécessité qui exige l'unification de l'Europe, ils poursuivent et commencent à réaliser des buts politiques, qui présupposent une nouvelle manière d'envisager les relations de peuple à peuple. Cette présupposition, hélas, ne se vérifie pas ou en tout cas pas assez. L'atmosphère n'existe pas encore, sans laquelle ces nouvelles institutions politiques ne peuvent à la longue se maintenir. Et s'il paraît audacieux de vouloir sauvegarder la réorganisation de l'Europe au milieu des difficultés du stade de transition entre la conception ancienne, trop unilatéralement nationale, et la nouvelle conception, au moins doit se dresser devant les yeux de tous, comme un impératif de l'heure, l'obligation de susciter le plus vite possible cette atmosphère.
Collaborer à cette œuvre en mettant en jeu précisément les forces de l'unité catholique, voilà, tel qu'il Nous apparaît, le but essentiel de votre mouvement « Pax Christi ».
Nous avons Nous-même, récemment, dit un mot de cette ambiance à créer. Nous voudrions en cette occasion solennelle en parler un peu plus au long.
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Pour contribuer à cette atmosphère, il faut lorsqu'on regarde le passé, porter un jugement serein sur l'histoire nationale, celle de sa patrie, celle aussi de l'autre ou des autres pays. Les résultats d'une recherche historique précise, reconnus par les spécialistes des deux parties, doivent être la règle de ce jugement. Victoires ou défaites, oppression, violences et cruautés — comme probablement il s'en est trouvé de part et d'autre au cours des siècles — sont des faits historiques et le restent. Qu'une nation soit fière de ses victoires, qui s'en aigrira ? Qu'elle déplore ses défaites comme un malheur, c'est un sentiment naturel, fruit d'un sain patriotisme. Qu'on ne se demande pas mutuellement l'impossible, pas de dispositions irréelles ou fausses ; mais que chacun témoigne compréhension et respect pour les sentiments de l'autre nation.
On peut aussi condamner sans réserve l'injustice, la violence et la cruauté, même quand elles sont imputables à des compatriotes. Mais tout d'abord, chacun doit s'en persuader : qu'il s'agisse de sa propre nation, ou d'une autre, il ne faut pas tenir rigueur aux générations actuelles des fautes du passé. Et pour ce qui concerne le déroulement de l'histoire et même la conjoncture redoutable du temps présent, vous avez vu et vous expérimentez chaque jour que les peuples, comme tels, ne peuvent s'en voir imputer la responsabilité. Ils doivent certainement supporter leur sort collectif, mais pour ce qui regarde la responsabilité, la structure de la machine moderne de l'État, l'enchaînement presque inextricable des relations économiques et politiques ne permet pas au simple particulier d'intervenir efficacement dans les décisions politiques. Tout au plus, peut-il, par son vote libre, en influencer la direction générale, et encore, dans une mesure limitée.
Nous y avons plusieurs fois insisté : autant que possible, que l'on rejette la responsabilité sur les coupables, mais qu'on les distingue, avec justice et netteté, du peuple dans son ensemble. Des psychoses de masse se sont produites des deux côtés : il faut le concéder. Il est bien difficile à l'individu d'y échapper et de ne point y laisser aliéner sa liberté. Ceux sur qui la psychose de masse d'un autre peuple s'est abattue comme une fatalité terrible, qu'ils se demandent toujours si ce peuple, au plus profond de lui-même, n'a pas été excité jusqu'à la fureur par des malfaiteurs de leur propre nation. La haine des peuples en tout cas est toujours d'une injustice cruelle, absurde et indigne de l'homme. Nous lui opposons la parole de bénédiction de St Paul : « Dominus... dirigat corda vestra in caritate Dei et patientia Christi » (2 Thess. 3, 5).
Voilà, semble-t-il, pour l'essentiel, quand le regard embrasse le passé jusqu'au présent le plus immédiat, les composants de l'atmosphère, dans laquelle peut croître l'œuvre d'unification des nations. C'est, pour le dire en bref, l'atmosphère de la vérité, de la justice et de l'amour dans le Christ.
Ainsi a-t-on déjà préparé, sinon anticipé, les assurances requises pour l'avenir. Pour l'indiquer brièvement, la garantie de l'avenir exige:
La justice, qui de part et d'autre applique une mesure égale. Ce qu'une nation, un Etat revendique pour soi par un sentiment élémentaire du droit, ce à quoi il ne renoncerait jamais, il doit aussi le concéder sans condition à l'autre nation, à l'autre État. N'est-ce pas une évidence ? Oui, mais l'amour-propre national incline trop, et cela presque inconsciemment, à utiliser deux mesures. Il faut mettre en œuvre intelligence et volonté pour rester objectif sur le terrain scabreux où se discutent les intérêts nationaux.
L'estime réciproque, en un double sens: pas de mépris d'une nation, parce que, par exemple, elle apparaît moins douée que la nation propre. Un mépris ainsi motivé dénoterait étroitesse d'esprit. La comparaison des aptitudes nationales doit prendre en considération les domaines les plus divers, et il faut une connaissance approfondie et une longue expérience pour pouvoir tenter cette comparaison. Ensuite, respect du droit de chaque peuple à exercer son activité. Ce droit ne peut être artificiellement limité ni jugulé par des mesures de contrainte.
La confiance : on accorde sa confiance à ceux qui appartiennent à son propre peuple aussi longtemps qu'ils ne s'en sont pas rendus positivement indignes. On les traite comme frère et sœur. C'est exactement la même attitude qu'il faut avoir envers ses frères des autres nations. Ici non plus, il n'y a pas deux poids et deux mesures.
L'amour de la patrie ne signifie jamais mépris des autres nations, défiance ou inimitié envers elles.
Enfin, se sentir unis: c'est ici, Nous l'avons déjà dit, que les forces catholiques acquièrent leur maximum d'efficacité. Voilà pourquoi précisément vous avez fondé « Pax Christi ». Voilà la source de sa puissance, de ses possibilités étendues et toujours en croissance.
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Comme objet d'étude pour votre Congrès, vous avez choisi la « guerre froide ». Le jugement moral qu'elle mérite sera le même, analogiquement, que celui de la guerre au sens du droit naturel et international. L'offensive, quand il s'agit de la guerre froide, doit être condamnée sans condition par la morale. Si elle se produit, l'attaqué ou les attaqués pacifiques ont non pas seulement le droit, mais aussi le devoir de se défendre. Aucun État ou aucun groupe d'États ne peut accepter tranquillement la servitude politique et la ruine économique. Au bien commun de leurs peuples ils doivent d'assurer sa défense. Celle-ci tend à enrayer l'attaque et à obtenir que les mesures politiques et économiques s'adaptent honnêtement et complètement à l'état de paix qui règne au sens purement juridique entre l'attaquant et l'attaqué.
Dans la question de la guerre froide aussi, la pensée du catholique et de l'Église est réaliste. L'Eglise croit à la paix et ne se fatiguera pas de rappeler aux hommes d'État responsables et aux politiciens que même les complications politiques et économiques actuelles peuvent se résoudre à l'amiable moyennant la bonne volonté de toutes les parties intéressées. D'autre part l'Église doit tenir compte des puissances obscures, qui ont toujours été à l'œuvre dans l'histoire. C'est aussi le motif pour lequel elle se défie de toute propagande pacifiste, dans laquelle on abuse du mot de paix pour déguiser des buts inavoués.
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En proclamant et en vivant son idéal, le Saint d'Assise a suscité au 13e siècle un mouvement religieux et social qui, pour parler de l'Italie, enseignait la simplicité chrétienne dans le train de vie et la paix entre les partis qui déchiraient la vie publique. De la Sicile jusqu'aux Alpes, il comptait des partisans, et même un Frédéric II n'aurait pas osé ignorer son existence.
Comparés à cette époque, les événements actuels ont pris de vastes proportions et se sont étendus à l'échelle du monde. Et cependant le mouvement franciscain du 13e siècle peut vous être un exemple et un stimulant. Votre étendard vous désigne un objectif profondément chrétien et catholique, auquel déjà les générations passées auraient dû s'attaquer: l'union des catholiques d'Europe d'abord, et ensuite des autres continents, pour travailler ensemble aux tâches de la vie publique, union basée sur la conscience de ce fait que la foi les réunit tous. Certes les difficultés sont nombreuses et elles pèsent lourd. Mais regardez plutôt vers les hommes qui partout pensent comme vous et qui sont prêts également aux sacrifices, que la réussite de l'œuvre impose de toutes parts. Aucun doute, leur nombre est grand, très chers fils et filles ; mais ils préfèrent le silence aux bruyantes déclarations.
Nous vous plaçons, vous et votre mouvement, sous la tutelle de la Vierge, la « Reine de la Paix » ; Nous implorons la grâce, l'amour et la force de Jésus, le « Roi Pacifique », et vous accordons du fond du cœur, comme gage du succès et de la victoire, Notre Bénédiction Apostolique.
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Un mot aussi de salut paternel à Nos fils et filles du diocèse de Tulle. Sous la conduite de votre Pasteur, Notre Vénérable Frère, vous êtes venus à Nous pour Nous assurer de votre attachement et de votre fidélité en cette année 1952, qui rappelle la date de 1352, où les deux Papes de votre diocèse, Clément VI et Innocent VI, se sont succédé sur le Siège de Pierre.
Le second de ces deux Pontifes, Innocent VI, est appelé par bon nombre d'historiens « le plus remarquable et le meilleur des Papes d'Avignon ». Ce fut un vrai réformateur dans sa propre maison et dans l'Église entière. Nous avons la confiance qu'il est parmi nous en esprit et que ses prières et sa Bénédiction accompagnent les efforts de rapprochement entre les peuples au cœur de l'Europe.
À vous tous Nous accordons, dans toute l'effusion de Notre cœur paternel, la Bénédiction du Vicaire du Christ.
* Discours et Messages-radio de S.S. Pie XII, XIV,
Quatorzième année de Pontificat, 2 mars 1952 - 1er mars 1953, pp. 303-308
Typographie Polyglotte Vaticane
A.A.S., vol. XXXXIV (1952), n. 16, pp. 818 - 823.
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