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DISCOURS DU PAPE PIE XII
AUX JOURNALISTES DE LA PRESSE ÉTRANGÈRE
CORRESPONDANTS À ROME*

Salle du Consistoire
Mardi 12 mai 1953

 

Tous nous réjouissons, Messieurs, de pouvoir finalement vous recevoir en cette Maison, vous qui représentez plus de trente États, et d'exaucer ainsi un souhait, que les correspondants de la Presse étrangère à Rome Nous avaient exprimé déjà au commencement de Notre Pontificat. Ils désiraient alors venir vers Nous à l'occasion du 9e Congrès de leur Association. Les événements tragiques de la deuxième guerre mondiale firent échouer ce plan. Votre présence ici Nous en est d'autant plus agréable après un intervalle de presque quatorze ans, pendant lesquels, si la face de la terre ne s'est pas, hélas !, renouvelée dans le sens du texte connu de l'Écriture, elle s'est du moins considérablement modifiée.

Quand vous foulez le sol de l'État de la Cité du Vatican, vous n'entrez pas seulement sur le territoire d'une autre souveraineté ; toute l'atmosphère spirituelle, que vous respirez ici, se veut différente de celle des centres de la vie politique. Beaucoup de membres de votre profession, habitués à penser selon les seules catégories politiques, ont déjà éprouvé probablement de la peine à la comprendre, lorsque, transférés à Rome, ils ont dû exercer aussi dans le monde du Vatican leur rôle d'information.

Le Saint-Siège est l'autorité suprême de l'Église catholique, et donc d'une société religieuse, dont les buts sont situés dans le surnaturel et dans l'au-delà. Bien sûr, l'Église vit dans le monde. Ses fils et ses filles, soit 400 millions de catholiques, appartiennent chacun à un peuple et à un État déterminés: c'est toujours une des tâches essentielles du Saint-Siège de veiller à ce que, dans le monde entier, règnent entre l'Église et l'État des relations normales et si possible amicales, afin que les catholiques puissent vivre tranquillement et pacifiquement de leur foi, et que l'Église puisse en même temps fournir à l'État l'appui solide qu'elle constitue partout où elle peut librement déployer ses forces.

Les événements politiques influent par conséquent aussi sur l'Église et le Saint-Siège, mais seulement par contre-coup, dans la mesure où, souvent d'une manière soudaine et radicale, ils altèrent la situation de l'Église dans un pays. Une puissance politique cependant, c'est-à-dire une puissance qui poursuit des buts politiques avec des moyens politiques, l'Église ne veut pas l'être et elle ne l'est pas. Elle est une puissance religieuse et morale, dont la compétence s'étend aussi loin que le domaine religieux et moral, et celui-ci à son tour embrasse l'activité libre et responsable de l'homme considéré en lui-même ou dans la société.

Vis-à-vis des puissances politiques, l'Église reste neutre, ou mieux encore, puisque ce terme est trop passif et trop ambigu, impartiale et indépendante. Le Saint-Siège ne se laisse prendre en remorque par aucune puissance ou groupe de puissances politiques, même si on affirme mille fois le contraire. Il peut parfois se faire, par suite des circonstances, que la route du Saint-Siège rencontre celle d'une puissance politique. Mais en ce qui concerne le point de départ et le but de leur chemin, l'Église et son Chef suprême suivent uniquement leur loi propre, la mission qu'ils ont héritée de leur divin Fondateur et qui consiste à conquérir à Dieu tous les hommes sans distinction et à les Lui amener, quelle que soit leur nationalité.

Assurément, la mission de l'Église lui donne, ainsi qu'à son gouvernement suprême, des valeurs, des normes, des buts communs, que les oppositions et les luttes terrestres ne détruiront ni ne compromettront, des réserves de forces spirituelles et morales, nourries de la forte sève de la foi chrétienne, et dont la vigueur et la fonction universelle sont reconnues, sinon de tous, du moins de beaucoup d'hommes. Toujours, elles sont prêtes à intervenir, désintéressées et bienfaisantes, là où le requiert le bien de l'humanité. Voilà l'atmosphère qui caractérise cette demeure et cette Cité.

Ne vous laissez pas égarer par l'aspect humain, que vous pouvez rencontrer dans l'Église. La loi fondamentale, que Nous avons brièvement exposée, détermine les actes, qui engagent le gouvernement suprême de l'Église ; une tradition constamment mise à l'épreuve et dotée d'une riche expérience lui montre le chemin et lui enseigne à garder envers tous son impartialité et son indépendance, même au milieu de la plus violente agitation des événements politiques.

À vous-mêmes, Messieurs, Nous adressons Nos plus vifs souhaits pour l'exercice de votre profession magnifique, mais difficile et lourde de responsabilités.

Pouvons-Nous toucher brièvement deux difficultés de votre métier ? La première ressort déjà du principe immuable, qui régit la presse : rendre les derniers événements accessibles au public le plus large et cela de la manière la plus rapide et la plus régulière. Maintenant, les progrès de la technique ont réduit au minimum la distance entre le fait et sa publication et, dans ce minimum de temps, vous devez transmettre un compte-rendu fidèle, qui présente clairement et sous une forme expressive tous les élements essentiels. Vraiment, c'est une exigence presque exorbitante. Vos prédécesseurs, qui vivaient avant la radio, le télégraphe et le téléphone, avaient une tâche bien plus facile que vous aujourd'hui.

La deuxième difficulté est beaucoup plus sérieuse. La qualité principale du journaliste reste toujours un amour incorruptible de la vérité. Cependant combien de tentations essaient de vous en écarter : tentations venant des intérêts de parti et peut-être de la presse elle-même pour le compte de laquelle vous travaillez. Comme il peut être difficile d'y résister et de respecter les limites que la véracité interdit absolument de franchir ! Sans oublier non plus que la « conspiration du silence » peut aussi offenser gravement la vérité et la justice. Ensuite, tentations de la part de l'opinion publique, ou plus exactement des opinions du public, que le journaliste ne peut suivre sans réserves, lui qui précisément doit les ajuster à la vérité et au droit, et donc les purifier et les guider.

Vous savez par votre propre expérience quotidienne comme il est souvent malaisé d'assurer à la pure vérité, dans le champ de l'opinion publique, ne fût-ce qu'une partie de cette considération sur laquelle peuvent fréquemment compter le mensonge et les demi-vérités, quand elles étonnent et séduisent. Jean de la Fontaine n'a-t-il pas exprimé une observation semblable dans les vers bien connus : « L'homme est de glace aux vérités; il est de feu pour les mensonges » (Fables, l. IX, 6) ? Comparaison qui renferme plus qu'une parcelle de vrai. Mais s'il existe en ce bas monde un tempus belli : temps pour la guerre, et un tempus pacis : temps pour la paix, un tempus loquendi : temps pour parler, et un tempus tacendi : temps pour se taire, il n'y a pas de tempus veri : temps pour la vérité, et tempus falsi, temps pour l'erreur. Quand il s'agit des relations entre les nations et les États, l'éducation de l'opinion publique à regarder les choses comme elles sont, à considérer la vérité sans passion, dans le calme et la dignité, est une des conditions essentielles à l'aplanissement des oppositions, au rapprochement et à la paix.

Chacun de vous entend servir son pays. Mais servez-le avec la persuasion que ses bonnes relations avec les autres États, la compréhension de leur caractère et le respect de leurs droits appartiennent aussi au bonum commune de son propre peuple, et qu'ils préparent et consolident la paix plus efficacement que beaucoup d'autres moyens. La guerre et l'après-guerre — malgré leurs horreurs et leurs misères — ont eu cela de bon qu'elles ont rendu les hommes beaucoup plus sensibles à ce fait.

Nous avons parlé de la paix. L'après-guerre a fait grand usage de ce mot ; elle en a aussi mésusé. Nous croyons pouvoir Nous rendre ce témoignage que, dans Nos messages, Nous avons donné à la paix, telle que le monde en a réellement besoin, un sens net et réaliste. Pour l'instant, Nous ne pouvons qu'exprimer l'espoir — s'il Nous est possible de hasarder ce mot — de voir s'établir entre les puissances un dialogue ouvert et loyal. Sans assurer encore la paix, c'en est au moins la première et irremplaçable condition, à défaut de laquelle on ne saurait faire un pas vers elle.

Daigne le Seigneur, qui donne et aime la paix — auctor pacis et amator — comme dit l'Église, vous concéder à tous la lumière, l'énergie et la constance, pour devenir chaque jour de plus vaillants hérauts de la vérité, des défenseurs intrépides du droit, de sages pionniers d'une vraie paix. Voilà ce que Nous vous souhaitons à vous tous et à vos collègues, pour l'heure présente où l'humanité oscille entre la crainte et l'attente anxieuse; et tandis que Nous invoquons la protection du Très Haut sur les peuples et les nations que vous représentez, Nous implorons les bénédictions du Seigneur sur vous, sur ceux qui vous sont chers et sur toutes les personnes qui vous sont attachées d'esprit et de cœur.


* Discours et Messages-radio de S.S. Pie XII, XV,
 Quinzième année de pontificat, 2 mars 1953 - 1er mars 1954, pp. 135-138
 Typographie Polyglotte Vaticane.

 



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