DISCOURS
INTERNATIONAL DE MICROBIOLOGIE*
Cour du Palais pontifical
Dimanche 13 septembre 1953
En ce mois de septembre, si propice aux congrès scientifiques vous avez voulu, vous aussi, Messieurs, tenir à Rome votre VIe Congrès International de Microbiologie, organisé en sections et symposia d'une manière aussi vaste que soigneuse, et venir, à cette occasion, Nous rendre visite. Nous sommes particulièrement sensibles à votre démarche, car, vous le savez, Nous ne ménageons pas Notre estime aux hommes de science et, en général, à tous ceux qui consacrent leurs forces aux idéals qui ennoblissent l'humanité.
Si l'on résume habituellement l'histoire de l'homme en une succession de guerres qui tuent sans pitié et souvent, hélas !, sans raison, il est d'autres batailles non moins meurtrières, plus ardues à mener et plus sournoises, celles qui se livrent contre des ennemis invisibles, les infiniment petits, les microbes. Un ennemi d'apparence bien inoffensive, cependant, dont les dimensions varient de quelques millièmes à quelques millionièmes de millimètre, mais doté du pouvoir de se multiplier avec une rapidité prodigieuse et d'élaborer de redoutables toxines, qui empoisonnent et souvent détruisent l'organisme qui s'est laissé envahir.
Saura-t-on jamais ce qu'était aux époques antérieures la terreur des malheureux, sur qui s'abattaient les épidémies ; des villes, des pays se dépeuplaient en quelques semaines, faute d'un remède capable d'arrêter le mal, en neutralisant sa cause. L'un de ces fléaux, le typhus exanthématique, dont les victimes se sont comptées par millions, semblait si intimement lié au sort de l'humanité qu'on lui a donné le nom d'« historique ». Déjà dans l'Antiquité, l'historien de la guerre du Péloponnèse, Thucydide, a tracé de la « peste d'Athènes » une description fameuse et tragique dans sa précision. Mais il a suffi pour tracer la voie à des mesures prophylactiques efficaces que Charles Nicolle découvrît quel insecte transmettait le microbe responsable. Depuis lors la pratique systématique de la désinfection a supprimé l'une des conséquences les plus meurtrières qu'entraînaient presque inévitablement les guerres du Moyen-âge et des temps modernes.
À présent, peste, typhus, choléra, variole ne sont presque plus, dans les pays d'Occident du moins, que des noms sur lesquels plane encore un sentiment d'effroi, le souvenir de catastrophes lointaines et celui des héros, qui n'ont pas hésité à exposer et à donner leur vie pour venir au secours des infortunés. Aujourd'hui, on connaît les agents de ces maladies, on sait comment les empêcher de nuire et surtout prévenir leur invasion. De vastes laboratoires, dotés d'équipements modernes, fabriquent en abondance vaccins et sérums qui fourniront à l'organisme le moyen de lutter efficacement contre l'infection. Au XIXe siècle déjà, mais surtout ces dernières années, on a remporté aussi des succès spectaculaires. Que de vies sauvées par l'emploi des antibiotiques, en particulier pendant la dernière guerre !
La microbiologie se glorifie donc avec raison d'avoir rendu des services éminents aux hommes, services tellement connus et appréciés qu'il n'est pas besoin de Nous y étendre plus longuement.
Mais à cette utilité pratique, elle joint encore un intérêt scientifique des plus vifs. Pour le simple motif d'abord que l'homme se passionne aisément pour tout ce qui concerne le mystère de sa vie, et les microbes sont, en bien comme en mal, intimement liés à la nôtre. Et puis, au fur et à mesure que l'on étudie les êtres les plus élémentaires, on découvre avec stupeur que, sous leur simplicité apparente, ils renferment encore une prodigieuse complexité et posent des problèmes, dont la difficulté stimule le chercheur et aiguise sa curiosité.
Histoire captivante que celle de votre science ! L'existence des microbes est affirmée au XVIe siècle par quelques précurseurs et prouvée au XVIIe par le naturaliste Van Leeuwenhoek, qui pour la première fois utilise à cette fin le microscope. Mais ce n'est que depuis un peu plus de cent ans que l'on connaît leur rôle dans la genèse et la transmission des maladies infectieuses. En 1835, en effet, après vingt-cinq ans de recherches patientes sur une maladie du ver à soie, et grâce à l'application d'une méthode expérimentale rigoureuse, Augustin Bassi da Lodi démontrait clairement les propriétés pathogènes d'une cryptogame parasite. Depuis lors, une avance rapide, jalonnée de découvertes célèbres et de noms illustres, comme ceux de Pasteur et de Koch, a permis à la microbiologie de se constituer en un corps de science imposant. Pourtant quelles recherches délicates et compliquées ! Il s'agit d'observer et de décrire les formes de la vie les plus ténues et les plus fugaces, des êtres extrêmement rudimentaires parfois, dont les diverses fonctions s'exercent par des organes à peine différenciés. Après un siècle de travail, on est arrivé à une connaissance suffisante des micro-organismes et de leurs caractéristiques morphologiques et fonctionnelles. Cependant, malgré les instruments d'optique, malgré le microscope électronique, dont les grossissements vont jusqu'à cinquante mille fois et permettent de photographier les virus les plus petits, que de points encore obscurs, que d'inconnues encore au sujet de la structure des microbes, de leur composition chimique, de leurs variations, de la manière dont elles exercent leur pouvoir pathogène !
On doit s'émerveiller cependant devant l'ingéniosité des moyens d'investigation : le choix et la composition des terrains de culture, les méthodes d'isolement, les techniques de coloration, l'expérimentation sur l'animal. Pour chacun de ces micro-organismes, il a fallu employer des procédés adéquats, observer leur comportement, l'évolution des souches, car ces êtres vivants se modifient, acquièrent de nouvelles propriétés, développent devant les attaques, dont ils sont l'objet, de nouveaux moyens de défense : on connaît bien les cas de résistance aux sulfamides et aux antibiotiques. Les ressources propres à la vie apparaissent ici de façon encore plus frappante que chez les êtres supérieurs. Ne faut-il pas souligner la propriété de certaines espèces bactériennes qui, pour assurer leur reproduction, forment des spores revêtues d'une épaisse membrane et se rendent par là capables de résister aux agents externes physiques et chimiques, à la dessiccation, à la lumière solaire, aux températures élevées.
L'une des plus intéressantes conquêtes de la microbiologie, où se sont déployées toutes les ressources de cette science, est certainement la découverte et l'étude des virus filtrables. Les maladies qu'ils provoquent ont pu être combattues avant que l'on connût leur nature exacte. Jenner et Pasteur ignoraient que la variole et la rage fussent différentes fondamentalement d'autres maladies infectieuses. Mais depuis le début du siècle, des recherches sur la filtrabilité de ces germes ont permis de déterminer leur taille et, grâce à l'emploi de techniques variées, comme la centrifugation, la polarisation rotatoire, la diffraction aux rayons X, d'acquérir des données plus précises sur leur forme. En 1935 on découvrait non sans étonnement un virus sous forme de produit chimique pur et cristallisable; ainsi surgissait la question difficile de la nature des virus. Après que certaines théories eurent tenté de les assimiler à des molécules géantes de nucléoprotéine, le microscope électronique permit enfin de les voir et d'observer chez les plus gros d'entre eux certains détails de structure, qui firent évoluer les théories vers des positions plus nuancées. S'agit-il d'êtres possédant une vie rudimentaire, réduite à l'extrême et dotés de la seule fonction de reproduction ? Ont-ils une origine indépendante, ou sont-ils des formes filtrables dérivées d'organismes cellulaires ? Questions dont l'étude est sans doute réservée aux spécialistes, mais dont l'intérêt scientifique n'échappe pas aux esprits cultivés, et qui même, occasionnellement, intéressent le grand public. A ce propos, Nous Nous plaisons à mentionner expressément la microbiologie appliquée à l'agriculture, la microbiologie industrielle et des fermentations et la microbiologie marine, elles aussi admirables conquêtes de l'activité humaine pour le progrès scientifique et industriel.
Les aspects de la microbiologie, que Nous venons de parcourir rapidement, mettent en relief mieux que de longues considérations les qualités intellectuelles et morales requises de ceux qui s'y consacrent, et parmi lesquelles Nous soulignerons volontiers la ténacité. Qui dira le courage et la persévérance du savant appliqué durant des dizaines d'années à une même recherche, se heurtant à d'invisibles obstacles, épuisant ses ressources à l'invention de nouveaux procédés d'investigation, plus précis et plus rapides, à l'affût du détail infime qui renferme la clef du problème et semble se jouer de ses ruses les plus raffinées. Tous les grands savants l'ont éprouvé et plus d'un l'a répété avec force : telle ou telle réussite est le fruit de long efforts systématiques et d'une infinie patience. Si le hasard vient parfois avancer l'heure de la découverte, il n'en est jamais qu'un facteur tout à fait secondaire, car il ne suffit pas de voir, il faut encore comprendre la portée du phénomène observé et en tirer tout le parti possible. Aussi, soucieux des développements ultérieurs de votre science, et des services précieux qu'elle peut encore rendre aux hommes, vous ne céderez pas aux tentations de facilité, à la fatigue, au découragement. Il est incontestablement plus aisé d'affirmer sans preuves suffisantes, que d'avouer l'état encore hypothétique de telle connaissance ou d'organiser à grand peine une expérience décisive.
Vous saurez aussi accepter la vérité d'où qu'elle vienne, même si elle condamne vos propres hypothèses. La modestie du vrai savant ne manque jamais de susciter l'admiration et garantit plus que beaucoup d'autres facteurs le succès de son travail. Cette soumission au réel le préservera de l'étroitesse d'esprit, si affligeante chez un homme consacré aux travaux intellectuels, et lui permettra d'accepter les limites de sa spécialité, et par le fait même de les dépasser.
Enfin, il n'est pas possible d'étudier attentivement la nature sans découvrir sans cesse dans sa fécondité inépuisable, dans la complexité et la délicatesse des êtres même les plus humbles, dans l'ordonnance totale des différentes espèces végétales et animales et leur relation à l'homme, un reflet, voilé sans doute, mais toujours perceptible de la perfection du Créateur.
Dieu, source de toute existence, se dérobe aux sens, mais il faut aller vers Lui par une démarche de l'intelligence et du cœur. Vous avez la joie de scruter de près son œuvre, mais surtout de devenir les collaborateurs de sa Providence paternelle. A côté de ses fins intellectuelles, en effet, votre science est ordonnée, comme Nous l'avons montré, à la sauvegarde de la vie humaine. Que le souvenir de ces inestimables bienfaits, de tant d'hommes préservés de la maladie ou arrachés à la mort, vous soit un stimulant dans l'austérité de vos occupations quotidiennes. Vous y trouverez le courage inlassable, qui va de l'avant malgré les échecs et les désillusions : De grands progrès restent à accomplir, des découvertes nouvelles éclaireront mieux le mode d'action des germes pathogènes et permettront de les combattre avec plus de succès encore, sans parler des applications importantes de ces acquisitions scientifiques dans le domaine agraire et industriel. Les conquêtes de l'avenir apporteront, Nous osons l'espérer, des résultats aussi lourds de conséquence que ceux dont vous pouvez vous réjouir à présent.
Daigne l'Auteur de toute vie, vous donner avec l'intelligence profonde de son œuvre, le désir d'apporter une aide toujours plus appréciée à tant de souffrances humaines. Qu'Il bénisse vos personnes, vos familles, vos collaborateurs et tous ceux qui vous sont chers.
* Discours et Messages-radio de S.S. Pie XII, XV,
Quinzième année de pontificat, 2 mars 1953 - 1er mars 1954, pp. 245-246
Typographie Polyglotte Vaticane.
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