DISCOURS
INTERNATIONAL
Samedi 19 septembre 1953
Toutes les fois que l'occasion Nous fut donnée de recevoir des groupes d'ingénieurs, Nous n'avons pas manqué de leur signifier la haute estime en laquelle Nous tenons leur profession, et de leur en dire les motifs. C'est pourquoi, en vous accueillant ici, Nous voudrions vous manifester, Messieurs, tout l'intérêt que Nous portons aux travaux de votre XVIIIe Congrès International de Navigation.
Cette branche des sciences appliquées peut se vanter de prolonger une glorieuse tradition de civilisations méditerranéennes et de la civilisation gréco-latine en particulier. L'histoire de ces régions qu'on a appelées le « Croissant fertile » montre leurs habitants aux prises, dès les âges les plus anciens, avec les difficiles problèmes de la régulation des cours d'eau, tandis que l'épopée grecque reflète les curiosités d'un peuple de navigateurs et son goût de l'aventure. L'Empire Romain, de son côté, présente une organisation des voies maritimes et un fonctionnement systématique de la navigation, qui, pour la technique de l'époque, sans vapeur ni énergie électrique, suscite notre étonnement.
Sans doute, les doctes rapports de vos assemblées ne sont-ils point comparables aux récits merveilleux, où l'expression poétique déploie toutes ses ressources pour dire le labeur patient ou l'audace conquérante de ceux qui ont posé les bases de la culture européenne. Mais cependant vos préoccupations ressemblent aux leurs, et les abstractions du langage mathématique, si rebutantes et incompréhensibles pour le profane, traduisent en termes modernes des soucis analogues. Qu'un fleuve soudainement grossi par les pluies, ou la fonte des neiges, brise ses digues ; que la mer soulevée par une marée exceptionnelle et bouleversée par la tempête submerge les îles et le continent ; et voici renouvelée une catastrophe, dont la brutalité et le déroulement inéluctable feront des victimes par centaines et par milliers.
Protéger la terre de l'envahissement des eaux, tel sera le soin constant des populations, qui tirent du fleuve ou de la mer leur subsistance, ou sont établies dans leur voisinage. C'est pourquoi, depuis des siècles, l'ingénieur, à qui l'on demande de prévenir le fléau de l'inondation, construit et reconstruit des digues. Chaque échec l'incite à perfectionner ses méthodes, à chercher des matériaux plus résistants, à accroître la puissance des appareils de levage, capables maintenant de mettre en place des blocs de plusieurs centaines de tonnes.
Au lieu de se contenter de procédés empiriques, la construction des ouvrages de protection tire profit d'une étude scientifique de l'action des flots. Une longue série de recherches théoriques a permis d'obtenir des formules mathématiques d'une approximation toujours plus satisfaisante, tandis que des stations expérimentales enregistraient l'énergie de la poussée des vagues, leurs caractéristiques géométriques et leur effet sur des modèles à échelle réduite. Ainsi peu à peu, malgré la grande complexité des données, l'ingénieur détermine là aussi la loi des phénomènes pour mieux les contenir et les utiliser à ses fins.
Les grands cours d'eau se plient également aux entreprises de la technique ; tandis que des études hydrologiques en précisent le comportement, des travaux d'aménagement s'efforcent d'en régler le débit, autant pour prévenir les inondations, que pour les rendre plus aisément navigables.
Lorsqu'on parle des progrès de la navigation, il est courant de penser d'abord à l'évolution des divers types d'embarcation et de leurs moyens de propulsion : on perd souvent de vue, et bien à tort, le complexe des installations à terre, vastes et coûteuses, et de l'équipement des ports, qui constituent comme la charpente solide, sur laquelle s'appuie tout le trafic maritime. Il ne suffit pas, pour assurer la prospérité des échanges internationaux, que l'on dispose de nombreux navires: il faut encore que ceux-ci puissent prendre leur cargaison et la décharger d'une manière rapide et commode, sans être contraints à de longues attentes et sans que leur fret soit exposé à subir quelque dommage. Un vaste champ de recherches est ouvert ici aux ingénieurs: disposition et équipement des terre-pleins et des hangars destinés à abriter les marchandises, choix des appareils de manutention, extension et modernisation des stations maritimes pour passagers. Ces problèmes et d'autres similaires ont reçu dans les différents pays des solutions diverses, dont il vous appartient de juger les avantages et les inconvénients.
Mais l'expansion des transports maritimes et la concentration des industries le long des cours d'eau ou à proximité des ports, ont fait apparaître le danger de la pollution des eaux, danger qui menace la navigation et la faune maritime, mais aussi les industries elles-mêmes et la santé publique en général. Le mal est si étendu, que les moyens techniques s'avèrent insuffisants à le supprimer par eux seuls: il faut y adjoindre des mesures législatives et des ententes internationales. Il reste cependant que l'on demande toujours à l'ingénieur de fournir des solutions locales pratiques, aussi économiques que possible, et permettant au surplus d'éviter les charges trop lourdes pour la navigation.
Ainsi dans les différents secteurs, qui concernent l'aménagement des voies de communication maritimes et fluviales, vous avez accompli, spécialement pendant ce dernier siècle, des progrès importants. On ne peut évidemment se flatter de parer à toutes les éventualités et d'éviter définitivement des catastrophes analogues à celles qui sont encore dans toutes les mémoires. Mais à la vue des ouvrages gigantesques que l'on oppose aux débordements des flots, comment ne pas dire l'admiration et la confiance qu'ils inspirent. Ne représentent-ils pas une victoire permanente de l'esprit de l'homme sur des énergies formidables, au déchaînement desquelles apparemment rien ne peut résister ?
Lorsque les Livres Saints veulent illustrer l'étendu de la puissance divine, ils décrivent avec admiration son empire sur les eaux déchaînées : « Les fleuves ont élevé leur voix, les fleuves élèvent leurs flots retentissants » s'écrie le Psalmiste ; mais « plus que la voix des grandes eaux, plus que le soulèvement de la mer, le Seigneur est puissant dans les hauteurs » (Ps. 92, 3-4). Dieu domine donc la force aveugle des eaux; mais bien plus encore, celles-ci ont peur de Lui : « Les eaux t'ont vu, ô Dieu, et elles ont frémi; les abîmes de la mer ont tremblé » (Ps. 76, I 7).
Cette puissance impressionnante, Dieu en a, pour ainsi dire, délégué une parcelle à l'homme. C'est à lui qu'il revient de prendre de plus en plus possession du monde, de gouverner les éléments, et cet effort continuel l'ennoblit et lui procure les satisfactions les plus intenses. Il est aussi de la plus haute utilité. Que deviendrait la vie économique et la prospérité de la plupart des pays du monde, si leur réseau de communications maritimes était subitement coupé; si, relâchant une surveillance constante, ils ne veillaient à défendre, leurs ports de l'ensablement, des dépôts d'alluvions, à assurer par une signalisation adéquate la sécurité des navires. Il est inutile, croyons-Nous, de démontrer l'importance du service social, que remplit ici l'ingénieur, service dont l'efficacité dépend par ailleurs d'une étroite collaboration: chacun des éléments qui conditionnent la marche d'un navire doit être assuré, et cela malgré des difficultés pratiques souvent énormes et qui requièrent la mise en jeu de vastes complexes et la collaboration des secteurs public et privé.
La part, que vous y apportez, exige, outre des connaissances intellectuelles entretenues par l'étude et par une mise au point incessante, un sens profond de vos responsabilités, une ténacité que ne décourage aucun échec, toujours prête à tenter des voies nouvelles où l'on entrevoit l'espoir de quelque amélioration.
Votre profession, qui répond tellement aux besoins de l'époque présente et à son idéal de conquête technique, doit aussi, sous peine d'entretenir une dangereuse illusion, s'inspirer, dans toutes ses réalisations, d'une vue supérieure aux intérêts immédiats et aux fins d'utilité pratique. La nature, dont elle entreprend de canaliser les énergies, est l'œuvre de Dieu ; elle ne servira vraiment l'homme que si celui-ci reconnaît l'autorité de son Créateur et ne lui refuse pas dans sa vie la place qui Lui revient. On n'usurpe pas le pouvoir divin, et le Seigneur rejette les plans les plus audacieux, quand ils s'accomplissent sans lui ou contre Lui.
Que la grandeur et la beauté de vos constructions, loin de vous inspirer un orgueil funeste, vous porte à manifester votre reconnaissance envers l'Auteur de toutes choses. De tous temps, les âmes les plus nobles, contemplant la nature et les ouvrages les plus grandioses du génie humain, se sont livrées d'instinct à l'adoration et à la louange de la Source première de tout savoir et de toute bonté.
Nous vous souhaitons de mener à bonne fin les travaux de votre Congrès et, rentrés dans vos pays respectifs, de mettre à profit ce que vous aurez appris au cours de ces échanges de vues enrichissants. Pour le succès de votre tâche si nécessaire au bien de tous, pour la prospérité de vos familles, de tout cœur Nous appelons sur vos personnes et sur tous ceux qui vous sont chers, les plus abondantes bénédictions de Dieu.
* Discours et Messages-radio de S.S. Pie XII, XV,
Quinzième année de pontificat, 2 mars 1953 - 1er mars 1954, pp. 309-312
Typographie Polyglotte Vaticane.
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