DISCOURS
PAR LA SOCIÉTÉ ITALIENNE D'UROLOGIE*
jeudi 8 octobre 1953
Nous vous saluons, Messieurs, vous qui, à l'occasion de votre Congrès d'Urologie, avez voulu Nous donner le plaisir de votre visite.
Vous représentez une spécialité de la médecine et vous vous efforcez de faire reconnaître à ce domaine particulier de la science et de l'art médical la place qui lui revient, aussi bien dans les études médicales que dans l'équipement des grandes cliniques. Nous souhaitons à vos projets le succès que mérite en fait l'objet tellement important de votre science. Il s'agit pour vous de secourir l'infirmité humaine et de sauvegarder, en les conservant à leur profession, la capacité de travail d'hommes qui ont encore une lourde tâche à accomplir. Vous Nous avez demandé d'expliquer deux questions. La première d'entr'elles concerne votre pratique médicale ; la seconde, votre activité d'experts : « periti, peritiores, peritissimi », dans les procès matrimoniaux.
I
La première question, vous Nous l'avez posée sous la forme d'un cas particulier, typique cependant de la catégorie à laquelle il appartient, c'est-à-dire l'amputation d'un organe sain pour supprimer le mal qui affecte un autre organe, ou du moins pour arrêter son développement ultérieur avec les souffrances et les dangers qu'il entraîne. Vous vous demandez si cela est permis.
En ce qui concerne votre diagnostic et votre pronostic, il ne Nous appartient pas d'en traiter. Nous répondons à votre question, en supposant que tous les deux sont exacts.
Trois choses conditionnent la licéité morale d'une intervention chirurgicale qui comporte une mutilation anatomique ou fonctionnelle : d'abord que le maintien ou le fonctionnement - d'un organe particulier dans l'ensemble de l'organisme provoque en celui-ci un dommage sérieux ou constitue une menace. Ensuite que ce dommage ne puisse être évité, ou du moins notablement diminué que par la mutilation en question et que l'efficacité de celle-ci soit bien assurée. Finalement, qu'on puisse raisonnablement escompter que l'effet négatif, c'est-à-dire la mutilation et ses conséquences, sera compensé par l'effet positif : suppression du danger pour l'organisme entier, adoucissement des douleurs etc.
Le point décisif ici n'est pas que l'organe amputé ou rendu incapable de fonctionner soit malade lui-même, mais que son maintien ou son fonctionnement entraîne directement ou indirectement pour tout le corps une menace sérieuse. Il est très possible que, par son fonctionnement normal, un organe sain exerce sur un organe malade une action nocive de nature à aggraver le mal et ses répercussions sur tout le corps. Il peut se faire aussi que l'ablation d'un organe sain et l'arrêt de son fonctionnement normal enlève au mal, au cancer par exemple, son terrain de croissance ou, en tout cas, altère essentiellement ses conditions d'existence. Si l'on ne dispose d'aucun autre moyen, l'intervention chirurgicale sur l'organe sain est permise dans les deux cas. La conclusion, que Nous venons de tirer, se déduit du droit de disposition que l'homme a reçu du Créateur à l'égard de son propre corps, d'accord avec le principe de totalité, qui vaut ici aussi, et en vertu duquel chaque organe particulier est subordonné à l'ensemble du corps et doit se soumettre à lui en cas de conflit. Par conséquent, celui qui a reçu l'usage de tout l'organisme a le droit de sacrifier un organe particulier, si son maintien ou son fonctionnement cause au tout un tort notable, qu'il est impossible d'éviter autrement.
Puisque vous assurez que, dans le cas proposé, seule l'ablation des glandes séminales permet de combattre le mal, cette ablation ne soulève aucune objection du point de vue moral.
Nous Nous voyons cependant amenés à attirer l'attention sur une fausse application du principe expliqué ci-dessus.
Il n'est pas rare, lorsque des complications gynécologiques entraînent une intervention chirurgicale, ou même indépendamment de celle-ci, qu'on extirpe les oviductes sains ou bien qu'on les rende incapables de fonctionner pour prévenir une nouvelle grossesse et les dangers graves qui pourraient peut-être en résulter pour la santé ou même la vie de la mère, dangers dont la cause relève d'autres organes malades, comme les reins, le cœur, les poumons, mais qui s'aggravent en cas de grossesse. Pour justifier l'ablation des oviductes on allègue le principe cité tantôt, et l'on dit qu'il est moralement permis d'intervenir sur des organes sains, quand le bien du tout l'exige.
Ici cependant on en appelle à tort à ce principe. Car en ce cas, le péril que court la mère ne provient pas, directement ou indirectement, de la présence ou du fonctionnement normal des oviductes ni de leur influence sur les organes malades, reins, poumons, cœur. Le danger n'apparaît que si l'activité sexuelle libre entraîne une grossesse qui pourrait menacer les organes susdits trop faibles ou malades. Les conditions qui permettraient de disposer d'une partie en faveur du tout en vertu du principe de totalité font défaut. Il n'est donc pas permis moralement d'intervenir sur les oviductes sains.
II
La deuxième question que vous Nous proposiez concerne, comme Nous l'avons déjà dit, votre activité comme experts dans les procès matrimoniaux.
Le principe décisif se déduit de la nature et de la finalité de cette activité. Que, d'après cela, l'expert dise donc ce que ses connaissances médicales lui imposent de dire et qu'il le dise avec les nuances et les distinctions exigées par son savoir. Les conclusions qui découlent de l'expertise médicale pour la sentence judiciaire ne sont pas de la compétence du « peritus » ou « peritissimus ».
Le serment, qu'il a prêté, oblige donc le médecin-expert à proposer en son âme et conscience au tribunal ce qu'il a trouvé et à donner son avis à ce sujet : qu'il présente les faits médicaux comme des faits, leur interprétation médicale comme une interprétation, les conclusions médicales telles quelles, les avis médicaux comme des avis. Ce dernier terme désigne les déclarations du client au médecin, par lesquelles celui-ci grâce à sa compétence obtient peut-être des éclaircissements, auxquels le client lui-même probablement n'a pas pensé du tout, et que le profane, matir et même le juge dépourvu de formation médicale, n'aperçoivent pas. L'expert doit donner son avis de telle sorte que les nuances indiquées soient clairement perceptibles.
Mais vous mentionnez des détails concrets et voulez être renseignés à ce propos. Nous en prenons le point central que vous désignez par ces mots : « il nous arrive d'émettre des avis dans les procès d'annulation de mariage pour " impotentia generandi " ».
Pour répondre exactement à cette question, il peut être utile avant tout de dissiper les malentendus autour du concept d'« impotentia ou potentia generandi ». « Potentia generandi » revêt parfois un sens si large, qu'il comprend tout ce que doivent posséder les deux partenaires pour procréer une nouvelle vie : les organes internes et externes, ainsi que l'aptitude aux fonctions qui répondent à leur finalité. L'expression est prise aussi en un sens plus étroit et ne comprend alors que ce qui est exigé en marge de l'activité personnelle des époux, pour que cette activité puisse réellement engendrer la vie sinon dans tous les cas, au moins par elle-même et d'une façon générale. En ce sens, la « potentia generandi » s'oppose à la « potentia coëundi ».
Les conditions requises pour la « potentia coëundi » sont déterminées par la nature et se déduisent du mécanisme de l'acte. En cela l'action des conjoints, au point de vue biologique, est au service de la matière séminale qu'elle transmet et reçoit. À quoi peut-on voir que la « potentia coëundi » existe réellement et que par conséquent l'acte des époux comporte tous ses éléments essentiels ? Un critère pratique bien qu'il ne vaille pas sans exception dans tous les cas, en est la capacité d'accomplir de façon normale l'acte externe. Il est vrai qu'un élément peut manquer sans que les partenaires s'en rendent compte. Cependant ce « signum manifestativum » doit suffire en pratique dans la vie, car celle-ci demande que, pour une institution aussi ample que le mariage, les hommes possèdent, dans les cas normaux, un moyen sûr et facilement reconnaissable de constater leur aptitude à se marier ; cela suffit parce que la nature a coutume de bâtir l'organisme humain de telle sorte que la réalité interne réponde à la forme et à la structure externe.
En outre la « potentia coëundi » comporte de la part de l'époux la capacité de transmettre de façon naturelle le liquide des glandes séminales ; il n'est pas question de chacun des éléments spécifiques et complémentaires constituants de ce liquide. Le manque de sperme actif n'est pas d'habitude une preuve que l'époux ne peut exercer la fonction de transmission. Aussi l'azoospermie, l'oligospermie, l'asthenospermie, la nécrospermie n'ont rien à faire en soi avec l'« impotentia coëundi », parce qu'elles concernent les éléments constitutifs du liquide séminal lui-même, et non la faculté de le transmettre.
En tout cela, il faut maintenir que cette action des époux est et reste au service d'une finalité : l'éveil d'une nouvelle vie. Il est erroné d'affirmer que la médecine et la biologie auraient un autre concept de la « potentia coëundi » que la théologie et le droit canon, et que ce dernier vise par cette expression autre chose que ce qu'ont déterminé la nature et le Créateur. Vous n'avez qu'à lire le texte du canon 1068 sur la « puissance » physique pour voir qu'il veut parler non du droit positif, mais du droit naturel.
Certainement le bon sens des hommes et la pratique de l'Église ne laissent aucun doute sur le fait que des valeurs personnelles sont engagées dans le mariage et sa consommation; valeurs qui dépassent de loin le biologique et que les époux souvent comprennent beaucoup mieux que les fins immédiatement biologiques de la nature. Mais la raison et la révélation suggèrent aussi et donnent à entendre que la nature introduit cet élément personnel et supra-biologique parce qu'elle appelle au mariage non des êtres sensitifs privés de raison, mais des hommes doués d'intelligence, de cœur et de dignité personnelle, et qu'elle les charge de procréer et d'éduquer une vie nouvelle, parce que, dans le mariage, les époux se consacrent à une tâche permanente et à une communauté de vie indissoluble.
La biologie et la médecine ont — aujourd'hui plus que jamais — la mission d'orienter de nouveau les contemporains vers une conception approfondie du sens biologique de la collaboration des époux et du motif pour lequel la nature n'autorise cet acte que dans le mariage. De nos jours, on écoute peut-être parfois plus volontiers le médecin que le prêtre. Mais le médecin lui-même doit posséder un jugement sûr, guidé par la nature, et assez d'indépendance personnelle pour y rester fidèle.
Ceci dit, Nous pouvons répondre à votre question :
L'expertise exigée par le tribunal ecclésiastique dans les procès « de nullitate ex titulo impotentiae » ne consiste généralement pas à constater l'« impotentia generandi », mais l'« impotentia coëundi ». L'« impotentia generandi », pour autant qu'on l'oppose à l'« impotentia coëundi », ne suffit pas, d'après la jurisprudence habituelle, pour obtenir un jugement de nullité. On pourrait donc, dans la très grande majorité des cas, omettre l'examen microscopique du sperme. On peut démontrer d'une autre manière, si cela devait avoir quelque utilité, que le tissu séminal possède encore quelque aptitude fonctionnelle et, de même, que les canaux qui relient ces glandes aux organes d'évacuation fonctionnent encore, ne sont pas entièrement détériorés ou définitivement obstrués. L'examen du sperme par lui seul peut difficilement procurer une sécurité suffisante.
Du reste, le St-Office a décidé déjà le 2 août 1929 (Acta Ap. Sedis, y. XXI, a. 1929, p. 49o, II) qu'une « masturbatio directe procurata ut obtineatur sperma » n'est pas licite, ceci quel que soit le but de l'examen. Autre chose est si le médecin prélevait le sperme de l'organisme d'une autre manière licite, au cas où ce serait réellement possible, ou si, sans intervenir, il reçoit de l'intéressé la matière à examiner. Il n'est pas responsable des actes de l'autre, tandis que l'examen et l'utilisation de ses données ne sont pas moralement répréhensibles. Si des tribunaux ecclésiastiques parfois ignorent ou rejettent expressément des expertises basées sur ce procédé, c'est pour ne pas sembler, en les utilisant, favoriser un abus.
Vous Nous avez encore proposé d'autres cas qui se présentent dans votre activité d'experts.
Le médecin doit témoigner de l'impuissance d'un homme. Pour tel ou tel motif il ne reste que des facteurs indirects, et l'expert en est réduit à la « preuve morale ». La démonstration se meut ici sur un terrain moins sûr, où le pour et le contre sont exposés à une certaine indécision. L'expert peut-il alors en vertu de sa conviction personnelle conférer à son jugement une précision et une force qui dépassent les bases médicales, prises matériellement ? Vous posez cette question en faisant d'ailleurs remarquer que la conviction personnelle influe toujours, même quand on dispose à suffisance de preuves matérielles. Mais à présent vous voudriez savoir comment le « peritus » ou « peritissimus » doivent se comporter quand les bases médicales convaincantes font défaut.
Nous croyons avoir déjà apporté la réponse à votre question en exposant plus haut les normes générales, mais Nous voulons insister encore une fois sur ce qui suit : quand l'expert dans son rapport relate en termes médicaux des déclarations de témoins, il n'introduit pas dans ces déclarations des éléments qui ne s'y trouvaient pas, mais il en extrait ce qu'elles renferment, ce que le profane ne serait guère capable d'en tirer. Dans le cas présent « de nullitate », l'expertise médicale ne falsifie certainement pas les faits, quand elle rend par des expressions techniques les déclarations sincères de l'épouse. Un jugement global, qui s'appuie sur la totalité des éléments acquis, mais mentionne en passant l'avis du « peritus » et du « peritissimus », ne mérite assurémnet aucune critique. Cependant cette note personnelle doit apparaître comme telle au juge.
Voilà ce que Nous croyions devoir répondre à vos questions. Nous voudrions enfin attirer votre attention sur ceci : quand vous êtes invités à témoigner comme experts dans une cause matrimoniale, regardez alors d'un point de vue supérieur le sens de votre collaboration. D'une part, elle concourt à sauvegarder la sainteté du mariage et, d'autre part, elle soutient l'effort consciencieux pour conserver à des hommes, qui peut-être se trouvent dans une grande détresse, la liberté à laquelle ils ont un droit personnel devant Dieu et devant les hommes. Daigne la Bénédiction du Dieu tout-puissant. que vous découvrez tous les jours dans son œuvre créatrice, descendre abondante sur vos recherches et votre activité médicale.
* Discours et Messages-radio de S.S. Pie XII, XV,
Quinzième année de pontificat, 2 mars 1953 - 1er mars 1954, pp. 373 - 379
Typographie Polyglotte Vaticane.
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