DISCOURS DU PAPE PIE XII
AUX PARTICIPANTS AU IVe CONGRÈS INTERNATIONAL
DE L'UNION MÉDICALE LATINE*
Salle du Consistoire - Dimanche 5 décembre 1955
Les statuts de l'Union Médicale Latine, qui vous rassemble et vient de terminer à Rome son quatrième Congrès International, Nous ont donné, Messieurs, un aperçu de son but, des moyens qu'elle met en œuvre pour le réaliser et de l'extension qu'elle a prise avec le temps. Ne groupe-t-elle pas en effet les médecins d'une trentaine de nations de langues et de cultures latines, entre lesquelles elle entend faciliter les échanges et les relations d'étude concernant les problèmes de pathologie ?
Nous voudrions vous dire tout l'intérêt que Nous portons à ces efforts, et exprimer le souhait que les travaux de votre assemblée et les contacts permanents prévus par vos Statuts vous permettent d'obtenir pleinement le résultat auquel vous aspirez. La richesse même et la variété des thèmes traités par d'insignes savants qui font partie de votre Union, sont une garantie de succès pour votre action et illustrent bien l'importance et la valeur du monde médical latin.
À plusieurs reprises, au cours de ces deux dernières années, Nous avons développé, dans Nos allocutions aux Congrès médicaux, à des associations de médecins, à des groupes de spécialistes, des questions touchant la recherche et la pratique médicales, dans la mesure où des intérêts religieux et moraux y sont impliqués. Nous avons exposé les normes fondamentales et la signification profonde de la profession de médecin en général, les principes directeurs de toute éthique médicale, la nécessité d'un droit médical national et international, sa constitution, sa surveillance, et la seule manière possible de le rendre obligatoire par des unions internationales entre États souverains. Nous avons pu constater avec satisfaction tout ce que l'initiative et l'activité infatigable des groupes de médecins avaient déjà réalisé, même si le but visé demeure en plusieurs points loin d'être atteint.
En ce qui concerne les matières typiquement médicales, tout récemment encore, Nous avons résumé Nos exposés précédents dans une allocution aux participants de la VIIIe Assemblée de l'Association Médicale Mondiale (30 sept. 1954 ; Acta Ap. Sedis, vol. 46, pag. 587-598). Aussi voudrions-Nous, pour le moment, vous présenter plutôt quelques considérations, auxquelles Nous invite le caractère propre de votre groupement dans l'Union Médicale Latine.
Ce qui vous incite à vous associer, ce n'est pas une spécialité médicale commune ou un problème professionnel spécialement digne de votre intérêt, mais le terrain d'une culture commune, celle qui s'étend au domaine des langues latines. Vous êtes convaincus, et l'expérience confirme cette idée, que vous trouverez ainsi des avantages particuliers, des biens qui ne vous sont pas offerts ailleurs, du moins pas de la même façon.
Cette base culturelle qui vous unit, Nous voudrions montrer qu'elle est capable non seulement de vous procurer un enrichissement personnel, mais encore d'être une source d'avantages pour vos patients, ainsi que pour la science et la technique médicales elles-mêmes dans les pays latins.
On a coutume de distinguer chez les peuples civilisés divers domaines culturels, où se retrouve une manière typique de penser, de juger, de sentir, d'agir. Nous pouvons ainsi définir une aire culturelle latine, anglo-américaine, allemande, slave, sans parler des civilisations des grands peuples de l'Asie. Ces domaines culturels, il ne faut pas croire qu'ils naissent d'abord d'une volonté de s'opposer à d'autres cultures, en se condamnant par là à un isolement dangereux ou du moins à un appauvrissement regrettable. Ils expriment bien plutôt les caractères propres d'un peuple ou d'un ensemble de peuples, la manière dont ils développent leur patrimoine commun et assimilent, au contact d'autres, cultures, se qui leur vient du dehors. Chaque culture reconnaît volontiers, sans rivalités mesquines, la préséance des autres là où elles lui sont supérieures et n'hésite pas à les imiter et à recevoir d'elles ce qu'elles ont de valable, mais chacune aime et cultive les traits qui lui sont particuliers, précisément parce qu'ils lui appartiennent en propre, et qu'elle y reconnaît sa marque distinctive.
Qu'on trouve en abondance et même à profusion, dans le domaine des langues et de la culture latines, ces dons de l'esprit et du cœur, aucun homme avisé ne le niera. Mais, plutôt que de développer cet aspect, Nous voudrions examiner comment cette culture peut vous procurer un enrichissement en tant que médecins, et par là, à vos patients et à la médecine considérée comme une science, un art, une technique.
D'aucuns pourraient avoir l'impression que vos efforts poursuivent un but irréel. Quel rapport y a-t-il en effet entre la culture et l'objet spécifique de la profession médicale ? Les maladies qu'il faut guérir ne sont-elles pas les mêmes partout ? Une pneumonie est une pneumonie dans les pays latins, comme dans ceux de la culture anglo-américaine. Les médicaments principaux et la façon de les employer sont identiques pour l'essentiel dans tous les pays civilisés : la pénicilline est partout de la pénicilline, les injections antituberculeuses paraissent agir partout de la même manière. Enfin, les interventions chirurgicales principales, les cas où elles sont indiquées, leur technique dans ses éléments fondamentaux sont le bien commun des peuples cultivés. Cette uniformité repose sur un motif facilement perceptible. L'homme est le même en tous lieux et pour toutes les cultures dans la structure essentielle de son organisme, dans sa disposition à subir l'influence des agents morbides, dans ses réactions aux médicaments et aux interventions chirurgicales. Cependant cette uniformité n'est pas absolue. Dans le document que vous Nous avez remis, vous relevez que l'association des médecins des nations latines s'intéresse aux problèmes de la pathologie de ces pays, en favorisant l'initiative de voyages d'études et en stimulant les échanges de connaissances scientifiques dans le cadre de la culture latine. Vous supposez donc qu'il existe en cette matière des différences de fait et des particularités qu'il est normal de rencontrer, car, malgré leur communauté de culture, les trente nations, qui font partie de votre Union, possèdent des traits biologiques distinctifs, qu'on peut expliquer par les conditions particulières et l'histoire de chaque région. Une idée analogue se fait jour à l'article 1 des Statuts, parmi les buts de votre Union : elle vise à aider les médecins, qui se rendent dans tel ou tel pays associé pour s'y instruire ou s'y perfectionner; son Bureau permanent a pour tâche de centraliser tous les concours et toutes les ressources possibles d'enseignement et d'instruction, dans tous les pays de l'Union Médicale Latine. Loin donc de se proposer un objectif irréel, votre Union entend plutôt compter avec la réalité, parce que le médecin y trouvera un enrichissement de science et de technique provenant des divers caractères spécifiques des nations appartenant au vaste domaine de la culture latine.
Mais le terrain culturel commun n'apporte pas seulement au médecin une possibilité de perfectionnement scientifique et technique. Le médecin en effet n'est pas uniquement quelqu'un qui « sait » et qui « peut » ; il met en œuvre dans l'exercice de sa profession, comme dans sa vie privée, une personnalité douée de ressources profondes, qui imprime à son action la marque de son esprit et de son cœur, qui peut, sans s'appauvrir, communiquer à d'autres sa propre richesse intime.
Reconnaître les grandes normes de la morale médicale admises tout naturellement dans votre profession, rejeter sans compromission tout ce qui en est indigne, tenir en haute estime l'honneur médical véritable, ne pas supporter la présence, au sein des associations professionnelles, de ceux qui se mettent en contradiction avec ces normes. Voilà quelques éléments, parmi beaucoup d'autres, qui constituent la richesse personnelle intime du médecin, bien au delà du savoir et de la technique pure. La culture latine apporte ici au médecin, dans sa vivante tradition, les biens spirituels les plus précieux; elle éduque en lui la noblesse de cœur, la magnanimité des décisions, la compréhension et l'ouverture aux sentiments et à la souffrance d'autrui. Il est impossible d'entrer en relation avec des hommes pénétrés de ces valeurs profondes, de les approcher spirituellement, sans en retirer quelque profit, sans voir s'effacer les aspects négatifs que chacun porte en soi et se renforcer les tendances positives, transformées en caractères volontairement acquis. Voilà qui importe vraiment et qui fait apprécier ces échanges, même s'il ne doit s'ensuivre aucune acquisition nouvelle de science ou de technique.
Il y a plusieurs années, Nous avons lu dans les publications médicales l'énoncé des principes qui vous guident : « Soigner et guérir au mieux de ses connaissances et de ses capacités ; ne pas faire tort ni tuer ; voir toujours et estimer l'homme dans le malade; connaître et respecter les limites des possibilités médicales ; être toujours prêt à porter secours là où son intervention est requise (et y être d'autant plus prêt que la nécessité est plus urgente) ; ne pas rester prisonnier de ses sympathies ou antipathies pour la condition ou la race, le rang social ou la nationalité ; ne pas demander s'il s'agit d'un ami ou d'un ennemi; en cas de besoin, être capable d'intervenir personnellement jusqu'au sacrifice de soi ».
N'est-il pas vrai que la réalisation d'un tel idéal comporte pour le médecin un enrichissement notable de sa personnalité ? Pour comprendre plus à fond cet idéal, y adhérer avec une conviction plus pénétrante, y tendre avec un empressement plus spontané, vous trouverez une aide appréciable dans le commerce toujours plus fréquent et plus intime avec les ressources de la culture latine et, en particulier, dans les rencontres entre collègues, qui vivent de ces principes avec l'assurance tranquille et paisible de l'homme et du médecin sérieux et conscient de ses devoirs.
S'il en est réellement ainsi, le monde de la culture latine, au sein duquel vous êtes groupés, vous aura enrichis dans le cadre même de votre profession.
Médecin et patient sont en quelque sorte des termes corrélatifs. On devine aisément que les enrichissements intellectuels, techniques, moraux, que le médecin puise dans son groupe culturel, tournent d'eux-mêmes à l'avantage et au profit du patient. S'il existe en effet dans les nations de culture latine des maladies d'un type particulier; si l'on y rencontre avec une certaine régularité des complications plus rares ailleurs, si les réactions à certains médicaments d'usage assez généralement répandu s'écartent plus ou moins constamment des réactions typiques, il est évident que les connaissances acquises par le contact avec des médecins et de patients d'une nation appartenant au même territoire culturel et les variations de processus qu'on y a constatées, peuvent être d'une importance décisive pour une série de patients, et qu'ainsi l'expérience acquise par le médecin profite au malade.
L'influence personnelle que le médecin est capable d'exercer sur le malade n'a pas une importance ou une utilité moindres. Le malade veut être compris par son médecin ; il a besoin d'avoir grande confiance en lui pour retirer de ses soins un profit réel, physique et psychique. Quand le médecin appartenant au même milieu culturel réalise l'idéal que Nous esquissions tantôt, en puisant aux mêmes richesses spirituelles, et grâce au contact avec des médecins éminents qui partagent ses aspirations, le malade trouvera chez lui tout ce qu'il cherche spontanément ou consciemment: compréhension, soutien, impression de sécurité, et lui accordera volontiers sa confiance.
Votre rencontre sur le terrain de la culture latine comporte enfin des avantages pour la médecine elle-même et, sans doute, les avez-vous recherchés.
Le progrès s'accomplit ici de la même manière que dans toutes les autres sciences expérimentales. D'abord, s'impose l'observation attentive et toujours contrôlée des faits. Sans la symptomatologie, la médecine en effet resterait impuissante. On y rattache l'étiologie, avec tous les problèmes qu'elle pose, mais aussi les nombreux résultats pleinement vérifiés que l'on a pu enregistrer jusqu'ici. Le profane reste étonné à la vue des progrès énormes (fussent-ils aperçus dans une vue d'ensemble), que la médecine a accomplis et continue à accomplir. Nommons surtout l'étude toujours plus précise de l'organisme humain lui-même, de ses organes dits annexes, d'une structure si délicate, et dont on n'aperçut que peu à peu l'influence décisive sur les fonctions vitales ; l'extension de l'endocrinologie, qui cherche à compenser les déficiences des glandes à sécrétion interne et à rétablir l'équilibre nécessaire dans leur fonctionnement; la possibilité et l'importance de la greffe et de la thérapie cellulaires ; l'invention, la fabrication, le dosage des remèdes, obtenus par imitation de la nature ou par des synthèses artificielles réalisées en laboratoire ; le développement considérable des interventions chirurgicales et de l'équipement hospitalier. La chirurgie ose entreprendre aujourd'hui et mène à bonne fin ce qui paraissait impossible il y a un siècle ou deux. Son audace ne suscite qu'une inquiétude : celle de la voir dépasser les limites de la licéité morale.
Le travail d'observation, de recherche, de contrôles expérimentaux s'effectue surtout dans les cliniques et laboratoires. Ses résultats deviennent le bien de tous, grâce aux publications, livres et périodiques, aux relations lues dans les congrès, aux cours spéciaux ou de complément dans les Universités et cliniques. C'est ainsi que, peu à peu, la médecine progresse en chacun des groupes culturels mentionnés au début, et donc aussi dans les pays de langue et de culture latines, en s'adaptant aux conditions spéciales de ces territoires.
Chacun en cela ne se contente pas de recevoir des autres les résultats de leurs travaux, mais s'empresse aussi de donner, d'enrichir la communauté et la science elle-même des fruits de son labeur. Pour deviner le montant de cet apport mutuel, il suffit de lire attentivement la liste des membres inscrits dans votre Union, ou même de nommer Paris, qui en est le siège. On sait assez quelle envergure y atteint le développement de la recherche médicale, ce qu'on y trouve en fait d'instituts, de cliniques, de laboratoires, toutes les publications qui y voient le jour au profit de la communauté. Et l'on pourrait dire presque la même chose de toutes les grandes cités du monde latin.
En, terminant cette allocution, Nous ne voudrions pas négliger de relever que les nations groupées dans l'Union Médicale Latine sont au nombre de celles, dont l'âme fut longuement imprégnée et façonnée par la foi catholique. Celle-ci continue la plupart du temps à inspirer leurs attitudes devant les problèmes de la vie, celui de la souffrance en particulier. Or le médecin doit prendre position en ces questions, tant pour le patient que pour lui-même. Suivant la tradition chrétienne, le malade mérite les plus grands égards, parce qu'il reflète l'image de Dieu, d'un Dieu incarné et souffrant. Le moindre des services qu'on lui rend s'adresse en réalité non seulement à l'homme faible et impuissant, mais au Seigneur de toutes choses, qui rétribuera d'une récompense éternelle le bien que l'on fait en son nom au plus petit des siens.
C'est pourquoi les normes morales, auxquelles le médecin obéit, dépassent de bien loin les prescriptions d'un code d'honneur de la profession. Elles s'élèvent au rang d'une attitude personnelle à l'égard d'un Dieu vivant. De là dérivent la dignité et la noblesse les plus hautes de l'action du médecin ; de là aussi le caractère pour ainsi dire sacré qui enveloppe sa personne et ses interventions.
Cette tradition, aujourd'hui menacée par un matérialisme envahissant, il vous appartient de la sauvegarder. Contre les déviations d'une médecine qui se résoudrait en pure technique, contre un « art de guérir » qui négligerait le facteur humain et transcendant, vous réagirez en défendant la primauté du spirituel, si constamment affirmée par la culture latine et portée à son expression la plus parfaite dans la conception chrétienne de la vie humaine.
Puisse votre volonté de progrès ne jamais se lasser devant les difficultés, ni se décourager à cause des insuccès partiels ! Puissent les résultats temporels de votre activité se prolonger sur le plan de la foi et y trouver une fécondité durable ! En gage de la protection divine que Nous implorons sur vous, sur vos collaborateurs, vos familles et tous ceux qui vous sont chers, Nous vous accordons die tout cœur Notre Bénédiction apostolique.
* Discours et messages-radio de S.S. Pie XII, XVII,
Dix-septième année de Pontificat, 2 mars 1955 - 1er mars 1956, pp. 23-30
Typographie Polyglotte Vaticane
Copyright © Dicastero per la Comunicazione - Libreria Editrice Vaticana