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DISCOURS DU PAPE PIE XII
AUX PARTICIPANTS AU SYMPOSIUM
SUR LES MALADIES CORONARIENNES*

Mercredi 9 mai 1956

 

Les circonstances qui motivent votre présence ici, Messieurs, sont pour Nous un motif de grande joie et, pour tant d'hommes qui souffrent, les prémices d'un grand espoir. C'est en effet pour marquer d'un éclat exceptionnel l'inauguration de l'Hôpital de San Giovanni Rotondo que vous avez voulu tenir un Symposium sur les maladies des coronaires, et souligner ainsi la signification de cette nouvelle institution, appelée à introduire dans le soin des malades une conception à la fois plus profondément humaine et plus surnaturelle. Nous vous accueillons donc avec empressement et vous disons toute Notre estime pour la noble profession, que vous exercez, et pour les fins élevées qu'elle poursuit.

L'Hôpital de San Giovanni Rotondo, qui ouvre maintenant ses portes, est le fruit d'une intuition des plus hautes, d'un idéal mûri longuement et affiné au contact des formes les plus diverses et les plus cruelles de la souffrance morale et physique de l'humanité. Celui, qui par fonction est appelé à soigner les âmes ou les corps, ne tarde pas à mesurer à quel point la douleur corporelle sous tous ses aspects met en cause l'homme entier et jusqu'aux couches les plus profondes de son être moral; elle l'oblige à se poser à nouveau les questions fondamentales de sa destinée, de son attitude envers Dieu et les autres hommes, de sa responsabilité individuelle et collective, du sens de son pèlerinage terrestre. Aussi la médecine, qui veut être vraiment humaine, doit aborder la personne intégralement, corps et âme. Mais d'autre part, elle en est incapable par elle-même, puisqu'elle ne détient aucune autorité ni aucun mandat l'habilitant à intervenir dans le domaine de la conscience. Elle appelle donc des collaborations qui prolongeront son œuvre, la conduiront à son véritable aboutissement. Placé dans les conditions idéales au point de vue matériel et moral, le malade aura moins de peine à reconnaître en ceux, qui travaillent à le guérir, des auxiliaires de Dieu, soucieux de préparer la voie à l'intervention de la grâce, et c'est l'âme elle-même qui sera ainsi rétablie dans la pleine et lumineuse intelligence de ses prérogatives et de sa vocation surnaturelle. À cette condition seulement on pourra parler en toute vérité d'un soulagement efficace de la souffrance ; c'est pourquoi le refuge de charité, de dévouement, de compréhension, qui vient de s'inaugurer à San Giovanni Rotondo, a voulu s'intituler « Casa Sollievo della Sofferenza ».

On sait les fatigues, les soucis, les difficultés qui ont jalonné les progrès de cette œuvre, sans freiner l'élan qui l'a inspirée. De 1947 à 1956, elle s'est édifiée patiemment, tenacement, et se présente maintenant comme une réussite magnifique, un des hôpitaux les mieux outillés de l'Italie grâce aux perfectionnements de la technique moderne, et l'un des meilleurs des régions méridionales ; les services de radiologie et cardiologie en particulier y ont été pourvus d'installations aussi parfaites que possible.

Le Symposium qui vous rassemble à l'occasion de sa mise en service aborde une matière importante et difficile, dans laquelle vous avez acquis, Messieurs, une maîtrise que consacre le renom de vos travaux. Matière importante, car les maladies des artères coronaires sont aujourd'hui largement répandues et portent la responsabilité de nombreux décès. Matière difficile à cause de sa complexité : on y rencontre encore bien des points incertains, ainsi par exemple dans la distribution anatomique et la structure des coronaires, et dans la régulation de la vasoconstriction ou de la vasodilatation coronairienne. Votre Symposium envisage assez amplement le domaine de ces maladies : l'histoire des travaux qui les ont fait connaître, l'anatomie pathologique des artères coronaires, les syndromes de leurs insuffisances, les moyens actuels de diagnostic et d'étude, les remèdes prévus par la pharmacologie et la chirurgie.

On connaît depuis longtemps des syndromes cliniques en relation avec les troubles de la nutrition du myocarde, qu'ils soient dus à des altérations anatomiques ou à des vices fonctionnels du système de la circulation coronaire. Les coronarites auxquelles, à la fin du siècle dernier, on attribuait la responsabilité principale des douleurs de l'angine de poitrine, furent reléguées au second plan au profit de la théorie aortique, mais reprirent toute leur importance après la guerre de 1914 dès que les progrès de l'électrocardiographie permirent de l'utiliser pour l'étude des anomalies morphologiques du cœur. En même temps, l'histopathologie se livrait à un examen minutieux des lésions artérielles et des syndromes ischémiques du muscle cardiaque, tandis que des observations et des discussions nombreuses venaient sans cesse enrichir la documentation du sujet. Depuis une vingtaine d'années surtout, la technique de l'électrocardiographie, grâce aux travaux des écoles américaines et de Wilson en particulier, a conquis une position de premier plan parmi les méthodes d'investigation cardiologique. Les diagnostics deviennent plus sûrs, la thérapeuthique dispose d'orientations solides. Il reste toutefois que la synthèse de données si complexes se heurte encore à bien des résistances : si la commodité de l'exposé autorise des distinctions tranchées, la réalité des faits présente des variétés de forme, qui s'échelonnent suivant une progression continue. Ainsi dans l'étiologie de l'angine de poitrine et de l'infarctus, bien qu'on puisse accuser généralement des lésions anatomiques caractérisée, celles-ci manqueront parfois et l'on sera contraint de recourir à l'élément fonctionnel, plus incertain et plus déroutant. L'insuffisance de la circulation coronarienne à nourrir le myocarde peut être due à la sclérose vasculaire, mais aussi aux conditions dynamiques de la circulation du sang, par exemple aux variations de la pression, qui règne dans la portion initiale de l'aorte, et à la qualité même de son apport nutritif ; tous ces éléments dépendent eux-mêmes de l'action du système nerveux végétatif et se rencontrent dans les proportions les plus variables à l'origine d'un même syndrome.

En ce qui concerne la douleur dans les syndromes coronariens, on tend à accorder toujours plus d'importance au rôle que joue le système d'innervation. Il n'est pas toujours possible de trouver pour justifier la douleur angineuse, une lésion organique des coronaires. Dans ce cas, le patient est considéré simplement comme un nerveux et cependant il peut arriver qu'une grave attaque douloureuse aboutisse à la mort. Il y a des cas dans lesquels, à la suite d'une douleur thoracique, on porta un diagnostic de thrombose coronaire, confirmé par le tracé électrocardiographique. Pour l'un ou l'autre de ces patients, décédé par mort violente, l'autopsie montra que les coronaires et le myocarde étaient parfaitement sains, et l'électrocardiogramme, examiné à nouveau, fut trouvé normal. Il faut par conséquent procéder très prudemment quand on formule un diagnostic.

Non moins importants, du point de vue clinique, sont les syndromes coronariens réflexes. On connaît depuis quelques dizaines d'années les rapports étroits qui existent entre les appareils digestif et cardiovasculaire, et la possibilité pour certaines affections de l'un de se répercuter différemment sur l'autre, déterminant ainsi un complexe de symptômes qu'il n'est pas facile d'interpréter. Ainsi en cas de pneumatose gastrique, de cholécystite, d'ulcère gastrique ou duodénal, de diverticule de l'œsophage, on peut voir se manifester des crises d'angine typiques. Qui ne voit donc l'importance du chapitre de la pathologie réflexe de la circulation coronaire ? Il ne faut d'ailleurs pas, dans ces cas, négliger l'intervention de facteurs prédisposants, qui déterminent le réflexe vago-coronarien.

Parmi les causes de la sclérose coronarienne elle-même, qui constitue la base anatomique fondamentale des interprétations de la symptomatologie, l'âge vient en premier lieu; le vieillissement artériel se manifeste ici d'une manière particulièrement grave, et la fréquence de l'infarctus traduit peut-être une conséquence du rythme trépidant de la vie moderne et de l'usure qu'elle entraîne pour l'organisme. N'est-il pas typique que, selon certaines statistiques du moins, les classes aisées de la société et les professions libérales en subissent particulièrement les atteintes ? Le sexe, le type morphologique, l'hérédité se rangent aussi parmi les facteurs importants dans l'étiologie des coronarites, où la dystonie neuro-circulatoire revendique, comme Nous le rappelions plus haut, une large place.

Les manifestations de l'insuffisance coronaire sont bien connues; l'infarctus et l'angine de poitrine traduisent de façon aiguë la détresse d'un organe soudainement privé de ressources nutritives indispensables à son fonctionnement et qui tente dramatiquement de surmonter la crise. L'évolution de la maladie est d'abord lente et quasi silencieuse, puis l'on assiste à un accident brutal ou à une série de crises, coupées parfois de répits inattendus, et que clôture la mort subite ou précédée d'une longue et pénible infirmité.

Les recherches, auxquelles se livre la science médicale pour détailler les modalités des maladies coronariennes, tendent naturellement à instaurer une thérapeuthique plus précise et plus efficace. On a étudié méthodiquement toutes les substances vasomotrices et l'on s'efforce d'en déterminer l'action sur le système vasculaire et en particulier sur les coronaires; on trouve des médicaments nouveaux qui viennent enrichir l'arsenal du médecin ; on tente même des interventions chirurgicales sur le sympathique et les voies nerveuses, afin de supprimer la douleur et d'obtenir une vaso-dilatation temporaire ou permanente. On a essayé aussi de renforcer le régime artériel au moyen d'une revascularisation directe, entre autres par des greffes musculaires ou pulmonaires.

Il reste que le médecin placé devant un cas précis de sclérose coronarienne doit faire appel à toute son intuition pour interpréter correctement les symptômes qu'il a sous les yeux et les résultats de l'électrocardiographie : il importe non seulement d'avoir présentes à l'esprit toutes les possibilités d'interprétation prévues par les théories pathogéniques, mais surtout de savoir choisir par une sorte de divination, appuyée d'ailleurs sur ces théories, et plus encore sur la pratique clinique, la seule solution vraiment salutaire pour le malade. Les sciences de la vie, plus que d'autres, laissent place à des lacunes, à des éléments imprévisibles, et imposent au praticien une intervention prompte et avisée, sachant parfois s'affranchir des règles les mieux établies.

Le rôle étendu des causes fonctionnelles dans les insuffisances du myocarde et l'impuissance relative du traitement médicamenteux invitent à souligner l'importance des mesures prophylactiques, surtout en matière d'hygiène et de diététique, qu'il s'agisse d'équilibrer les temps de travail et ceux de repos, l'activité intellectuelle et la détente physique, de régler le régime de table ou la mise en jeu des réactions émotives. Et sans doute est-il opportun de ne pas oublier la part de l'équilibre psychologique profond, de l'aisance et de la sécurité, que confère à l'action humaine la paix intime de l'âme, lorsqu'elle est accordée aux exigences morales et spirituelles de son être.

Ainsi, dans le champ restreint de votre spécialité, c'est le comportement de l'homme tout entier qui vient se refléter. Quelle preuve plus éloquente de l'harmonie merveilleuse, qui devrait gouverner l'être humain, si celui-ci n'y avait par sa faute intro duit le désordre ! La fragilité irrémédiable de la nature s'accuse dans l'impuissance des remèdes à enrayer une déchéance progressive, comme à prévenir l'apparition de la mort subite.

La modération du genre de vie, la maîtrise de soi qui suppose l'observation des règles de l'hygiène, dictées par la structure même du corps et son fonctionnement, ne suggèrent-elles pas l'idée d'une discipline supérieure de l'esprit, faite avant tout de loyauté, de soumission humble au réel, au monde tel que Dieu l'a fait, à la société humaine et aux ordonnances qui la régissent. Le respect fondamental des lois de la vie, physique, morale et spirituelle, la reconnaissance de la souveraineté de Dieu et de son intervention miséricordieuse dans l'histoire de l'humanité pour la sauver, doivent aller jusqu'à l'acceptation de la souffrance et de la mort. « Estote parati, quia qua nescitis hora, Filius horninis venturus est » (Matth. 24, 44) — « Soyez prêts, car c'est à l'heure que vous ne pensez pas que le Fils de l'homme viendra »: cette parole du Seigneur prend ici valeur d'avertissement et révèle en même temps l'épilogue du drame : la rencontre de l'homme avec le Seigneur, vers qui il a marché. Alors seulement s'éclaire tout l'itinéraire; c'est dans cette lumière, née de la foi, que devient acceptable à ceux qui peinent le poids de leur douleur, sincère la compréhension et efficace le soutien de ceux qui les assistent.

Nous voudrions, Messieurs, qu'en remplissant votre noble tâche scientifique au service des hommes souffrants, vous appuyiez vos raisons de vivre et d'agir sur les certitudes les plus hautes, que Nous venons d'évoquer, et que vous en éclairiez vos collaborateurs, vos malades et votre entourage. En appelant sur vous et sur les vôtres d'abondantes grâces divines, en les invoquant aussi sur les promoteurs de la « Casa Sollievo della Sofferenza », sur son personnel, sur ses malades et tous ses bienfaiteurs, de tout cœur Nous vous en donnons pour gage Notre Bénédiction Apostolique.


* Discours et messages-radio de S.S. Pie XII, XVIII,
 Dix-huitième année de Pontificat, 2 mars 1956 - 1er mars 1957, pp. 181-186
 Typographie Polyglotte Vaticane

 



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