DISCOURS DU PAPE PIE XII
AUX PARTICIPANTS AU VIIe CONGRÈS DE LA
FÉDÉRATION ASTRONAUTIQUE INTERNATIONALE*
Salle des Suisses, Castel Gandolfo - Jeudi 20 septembre 1956
À l'occasion du VIIe Congrès de la Fédération Astronautique Internationale qui vous réunit à Rome cette année, Messieurs, vous avez exprimé le désir de Nous associer en quelque sorte au déroulement de vos travaux. Nous en sommes très heureux et vous disons Notre admiration pour la conviction, la ténacité, l'audace de tous ceux qui depuis un demi-siècle conquièrent pas à pas cet immense domaine.
À vrai dire, le profane qui pour la première fois s'informe de vos activités et du but de votre société, ne peut manquer d'éprouver quelque surprise ; le mot même d'« astronautique » suggère l'idée de voyages fantastiques à travers des espaces vertigineux et dans des conditions spécialement redoutables pour l'organisme humain ainsi projeté hors de son milieu naturel. Il semble encore à beaucoup que le projet d'une telle expédition ne puisse germer que dans une imagination sans frein, peu soucieuse de s'appuyer sur des données solides et livrée à tous les caprices de sa fantaisie. Cependant dès le début de ce siècle, les principes fondamentaux, sur lesquels l'astronautique devait s'édifier, avaient déjà trouvé une formulation claire et logique. On affirmait la possibilité d'échapper à l'attraction terrestre, en appliquant à un mobile une accélération suffisante, et l'on précisait (lue cette accélération pouvait être obtenue par l'utilisation d'une fusée ; bientôt on envisagea aussi l'éventualité du transport d'êtres humains.
C'était beaucoup déjà d'avoir énoncé ces idées avec conviction. Mais restait à déterminer les modalités concrètes de leur application. Puisque la fusée constituait le seul moyen de propulsion utilisable pour le vol interplanétaire, il s'agissait de surmonter un à un tous les obstacles techniques et de construire engins capables d'atteindre des altitudes de plus en plus c es accélérations de plus en plus notables. Cette phase expérimentale débuta à partir du second quart de ce siècle: en 1926, on lançait en Amérique la première fusée à carburant liquide. En Europe les amateurs d'astronautique désireux de conjuguer leurs efforts se groupaient dans le « Verein für Raumschiffahrt», car il devenait clair que la complexité de l'entreprise exigeait une collaboration aussi large que possible. Pendant que la société allemande se développait rapidement, d'autres se créaient bientôt dans différents pays. En 1930 se fondait en Amérique l'« American Interplanetary Society » nommée ensuite « American Rocket Society » destinée à propager l'idée du vol interplanétaire et à pousser l'expérimentation; en Angleterre aussi la « British Interplanetary Society » née en 1933 acquit rapidement une grande influence dans les questions astronautiques.
Mais d'autres forces plus puissantes et plus impérieuses allaient imprimer aux travaux de ce genre une allure fiévreuse. L'approche de la guerre mondiale attira l'attention des autorités publiques sur la valeur stratégique des nouveaux engins et le déclenchement des hostilités stimula davantage la recherche ; le célèbre V 2, lancé pour la première fois en 1944, marquait une réussite sensationnelle dans la construction des fusées à carburant liquide. Le retour de la paix allait permettre d'exploiter heureusement cette découverte à des fins scientifiques. On multiplie actuellement, au moyen d'appareils similaires, les explorations de la haute atmosphère; on a pu ainsi obtenir des mesures directes de sa pression, de sa densité, de son ionisation; et pousser l'étude des radiations solaires et des rayons cosmiques.
Si la recherche scientifique constitue maintenant la fin immédiate qui justifie l'emploi pacifique des fusées, cette utilisation ne constitue pour vous qu'une étape vers un terme plus important, le vol interplanétaire. En 1949, la « Gesellschaft fuir Weltraumforschung » et la « British Interplanetary Society » proposaient l'organisation d'un Congrès international d'Astronautique, qui se réunit à Paris en 1950 et formula la résolution de constituer une société internationale pour l'étude et le développement du vol interplanétaire. Le second Congrès, tenu à Londres en 1951 voyait prendre corps la « Fédération Astronautique Internationale » et contribuait à fixer les détails de son organisation; il représentait ainsi un premier essai systématique pour intensifier la coopération mondiale entre les spécialistes d'astronautique. Ce caractère allait s'affirmer plus encore lors des Congrès suivants, en même temps que croissait l'autorité de la Fédération. Votre second Congrès aborda aussi — et ce fut son apport scientifique principal — la question du satellite terrestre artificiel. L'idée s'approfondit durant les années suivantes, en même temps que l'on évaluait plus exactement les multiples avantages qu'elle comporterait pour l'astronomie, l'électronique, les recherches nucléaires, la biologie, la cartographie; elle s'affirma davantage, lorsque le Comité spécial pour l'Année géophysique internationale recommanda en 1954 la construction d'un petit satellite scientifique. Enfin, le 29 juillet 1955, les États Unis annonçaient officiellement qu'ils lanceraient à l'occasion de l'Année géophysique un satellite terrestre artificiel.
Vous avez souligné, Messieurs, que le présent Congrès prenait de ce fait une importance toute particulière. Outre le satellite artificiel, la prochaine Année géophysique verra lancer de nombreuses fusées destinées à l'exploration de la haute atmosphère. Ce grand effort de collaboration internationale et le sentiment d'accomplir une œuvre hautement profitable à l'humanité vous invitent à aller de l'avant avec un optimisme accru ; d'innombrables difficultés pratiques restent encore à vaincre et vous devrez les aborder une à une, en vous aidant de toutes les ressources des sciences et de la technique moderne, entre autres, des admirables calculatrices électroniques, qui réduisent dans des proportions extraordinaires la durée des travaux mathématiques. Mais aussi n'hésitez-vous pas à envisager déjà les problèmes plus généraux, que pose la conquête de l'espace interplanétaire; et même, comme il apparaît dans les documents que vous Nous avez communiqués, quelques-uns d'entre vous sont allés jusqu'à examiner la possibilité abstraite de vols intersidéraux, que le nom même d'Astronautique indique comme but ultime de vos travaux.
Sans entrer dans les détails, il ne vous échappe pas, Messieurs, qu'un projet de pareille envergure comporte des aspects intellectuels et moraux qu'il est impossible d'ignorer ; il postule une certaine conception du monde, de son sens, de sa finalité. Le Seigneur Dieu, qui a déposé au cœur de l'homme le désir insatiable de savoir, n'avait pas l'intention de mettre une limite à ses efforts de conquête, quand Il lui dit : « Soumettez la terre » (Gen. 2, 28). C'est toute la création qu'Il lui a confiée et qu'Il offre à l'esprit humain, pour qu'il y pénètre et puisse ainsi comprendre toujours plus à fond la grandeur infinie de son Créateur, Si jusqu'à présent l'homme se sentait, pour ainsi dire, enfermé sur la terre et devait se contenter des informations fragmentaires qui lui parvenaient de l'univers, il semble maintenant que la possibilité s'offre à lui de briser cette barrière et d'accéder à de nouvelles vérités et de nouvelles connaissances, que Dieu a déposées à profusion dans le monde. Le seul mobile de la curiosité ou de l'aventure ne réussirait jamais à orienter correctement des efforts d'une telle ampleur. Devant les situations nouvelles qu'entraîne le développement intellectuel de l'humanité, la conscience doit prendre position ; l'homme devrait approfondir sa connaissance de lui-même et de Dieu, pour se situer avec plus d'exactitude dans l'ensemble du monde, pour mieux mesurer la portée de ses gestes. Cet effort commun de toute l'humanité vers une conquête pacifique de l'univers doit contribuer à imprimer davantage dans la conscience des hommes le sens de la communauté et de la solidarité, pour que tous aient davantage l'impression de constituer la grande famille de Dieu, d'être les enfants d'un même Père. Mais pour pénétrer cette vérité, il ne faut pas moins de respect; du vrai, de soumission au réel, de courage, que pour la recherche scientifique. Les plus audacieuses explorations de l'espace ne serviront qu'à introduire entre les hommes un nouveau ferment de division, si elles ne vont pas de pair avec une réflexion morale plus approfondie et une attitude plus consciente de dévoûment aux intérêts supérieurs de l'humanité.
Nous souhaitons vivement, Messieurs; que le Congrès actuel vous fasse progresser sur un chemin encore long et difficile, et Nous voudrions surtout que l'ampleur des découvertes spirituelles, dont il sera le principe, ne le cède en rien à son acquis scientifique.
En implorant sur vous la protection et les faveurs de Dieu, qui a créé l'univers pour l'homme et: qui veut par là se faire connaître et aimer de lui, Nous vous en donnons comme gage pour vous-même, pour vous familles et vos collaborateurs, Notre Bénédiction Apostolique.
* Discours et messages-radio de S.S. Pie XII, XVIII,
Dix-huitième année de Pontificat, 2 mars 1956 - 1er mars 1957, pp. 459-462
Typographie Polyglotte Vaticane
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