DISCOURS DU PAPE PIE XII
AUX DIRIGEANTS DES AGENCES DE PRESSE*
Vendredi 26 octobre 1956
Nous sommes heureux, Messieurs, de vous recevoir et de vous souhaiter la bienvenue à l'occasion du Congrès des Agences de presse.
Plusieurs fois déjà, depuis le temps où Nous étions Nonce Apostolique en Allemagne, durant la première guerre mondiale jusqu'en 1929, Nous Nous sommes adressé à ceux qui s'occupent de la presse et aux journalistes ; en chacune de ces circonstances, Nous avons souligné l'importance et la responsabilité de leur profession. Mais pendant les trente ou quarante dernières années, cette importance, et par là aussi la responsabilité qui en découle, se sont accrues considérablement.
Les raisons de ce fait, vous les connaissez. Elle doivent être cherchées sans doute dans les relations qui unissent étroitement les gens de la presse à l'opinion publique. Celle-ci, dit-on, est le sort du journaliste.
L'opinion publique a toujours existé, même au moyen-âge et dans l'antiquité. Ceux d'entre vous qui ont fait de l'histoire évoqueront les « libri de lite », le commentaire public de la lutte des investitures au XIe siècle. Mais deux circonstances devaient contribuer à faire de l'opinion publique actuelle une puissance plus forte que jamais, pour le meilleur ou pour le pire, dans la vie des peuples : aujourd'hui la grande masse, tous les hommes et même bon nombre de femmes, prennent activement part à la vie publique. Qu'on songe seulement au suffrage universel et puis, pour créer cette opinion, on dispose maintenant de moyens qui dépassent de loin ceux des âges précédents. Déjà la presse à imprimer moderne est une merveille de mécanique. Et il faut y ajouter des acquisitions techniques, dont on ne pouvait encore se faire la moindre idée au début du siècle dernier : la photo avec le film et la télévision, ainsi que la radio, qui vers 1920 était encore à ses débuts.
C'est principalement l'agence de presse, le journaliste, qui se servent de ces instruments pour former l'opinion. Grâce eux leur parole atteint immédiatement des millions d'hommes, tout un peuple, toute l'humanité. Si donc il est vrai qu'il informe l'opinion publique, bien qu'il en dépende aussi, le principe vaut pour les agences de presse au suprême degré. Plus que l'homme de la rue, elles ont la possibilité de guider l'opinion publique sur les chemins de la vérité et du droit. Mais elles peuvent aussi, au mépris de toute conscience, se mettre à la disposition d'une opinion publique pervertie par les erreurs et les préjugés et porter ainsi la responsabilité principale, lorsque celle-ci en vient à contaminer toute la vie sociale. Le siècle actuel fournit assez d'exemples et de noms pour illustrer ces deux aspects, le dernier surtout.
Telles sont aujourd'hui, Messieurs, l'importance et la responsabilité de votre profession.
Nous ne Nous dissimulons pas les obstacles qui se dressent devant le journaliste, quand il veut être fidèle à sa tâche devant Dieu et devant les hommes soucieux de justice. D'abord la presse et la radio le tyrannisent, en lui fixant des échéances, et cette difficulté, la moins grave de toutes, est déjà bien suffisante. Il est trop souvent forcé par là de fournir aux rédactions impatientes des travaux inachevés, insuffisamment contrôlés, réfléchis, mûris.
La situation est incomparablement plus sérieuse, lorsque les professionnels de la presse et de la radio ne peuvent pas disposer librement de ces puissants moyens de diffusion de la pensée, parce qu'ils dépendent d'autres mains plus fortes, d'organisations, de partis ou de bailleurs de fonds qui les régentent. Et finalement, le journaliste doit tenir compte de ce que ses lecteurs et ses auditeurs pensent et désirent, c'est-à-dire de l'opinion publique elle-même, qu'il faut diriger dans le bon sens. S'il ne s'en préoccupait pas, il ne serait ni lu ni écouté, et faillirait aux exigences de sa profession.
L'idéal consiste donc à conserver l'objectivité la plus franche sans perdre jamais le contact avec le public. Nous ne pouvons que vous exhorter à tendre toujours vers cet idéal, en tous cas, à ne jamais sacrifier la vérité, le précepte divin et le bien commun pour satisfaire les maîtres du jour ou le goût des lecteurs et des auditeurs. Si vous suivez cette ligne de conduite, vous aurez alors l'appui de deux forces : la protection divine et l'approbation des hommes de bien, et ces deux forces sont, en définitive, les plus décisives.
L'opinion publique est le sort du journaliste : faites que ce soit vrai en maîtrisant vous-mêmes, pour le profit du bien commun, ce sort, cette opinion publique qui se révèle toujours à quelque degré et parfois même dangereusement instable et passionnée. Vous en serez capables, si vous l'abordez avec une conviction personnelle, nette et déterminée, portant sur des vérités universelles, qui ne soient jamais purement historiques, même si elles prennent pour se manifester une forme historique, alors qu'elles sont essentiellement au dessus du temps. Vous trouverez ces vérités dans ce qu'on nomme la « philosophia perennis », dans la philosophie du réalisme critique, qui aboutit à l'affirmation inconditionnée de Dieu et de l'ordre de sa création. Faites-les pénétrer de plus en plus dans l'opinion publique. Tous les hommes qui ont conservé leur rectitude de jugement les acceptent sans réserve. C'est ainsi que vous maîtriserez votre sort et que vous rendrez de précieux services à votre nation, à votre patrie et à la grande famille des peuples.
Nous prions Dieu de vous accorder cette faveur et Nous implorons sur vous à cet effet sa toute-puissante Bénédiction.
* Discours et messages-radio de S.S. Pie XII, XVIII,
Dix-huitième année de Pontificat, 2 mars 1956 - 1er mars 1957, pp. 609 - 611
Typographie Polyglotte Vaticane
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