DISCOURS DU PAPE PIE XII
AUX PARTICIPANTS À LA XIe ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE
DU MOUVEMENT « PAX ROMANA »*
Salle Royale - Samedi 27 avril 1957
Rassemblés du monde entier au centre de la chrétienté pour célébrer la XIe Assemblée plénière du Mouvement International des Intellectuels catholiques, vous avez tenu, chers fils, à saluer d'abord le Père commun et à obtenir pour vos travaux ses encouragements et sa bénédiction. Bien volontiers et de grand cœur Nous accueillons votre demande, et c'est un bonheur pour Nous que de vous recevoir ici au temps des joies rayonnantes de Pâques. Les nombreuses délégations, qui représentent 64 organisations affiliées à Pax Romana dans sa branche aînée, magnifique élite mondiale de toutes les professions, sont accompagnées du Comité Directeur de la section des Étudiants, la plus jeune et la plus ancienne à la fois, puisqu'elle a donné naissance, en 1947, au mouvement qui fête aujourd'hui si brillamment son Xe anniversaire. À tous, Nous adressons la bienvenue la plus cordiale.
Pour résumer en quelque sorte et couronner les divers thèmes abordés dans les assemblées précédentes, votre réflexion se portera cette année sur un sujet très vaste et très actuel : la situation et le rôle des Intellectuels Catholiques dans la communauté mondiale en formation. Bien que d'éminents orateurs doivent illustrer au cours de vos réunions les principaux aspects du problème, vous avez sollicité de Notre part, en guise d'introduction, quelques paroles sur le même thème. C'est pourquoi, en réponse à ce filial désir, Nous Nous proposons de jeter avec vous un regard sur la communauté mondiale en formation pour rappeler ce qu'elle doit être aux yeux de la raison et de la foi, et dégager plus clairement l'attitude qui convient de votre part.
Depuis quelques années surtout, les hommes et les peuples assistent, non sans étonnement ni angoisse, à l'évolution accélérée des structures internationales ; si les merveilleux progrès des relations humaines en de nombreux domaines, matériel, intellectuel et social, les réjouissent, ils ne peuvent s'empêcher parfois de craindre que l'unification, vers laquelle le monde marche à grands pas, ne s'effectue dans la violence et que les groupes les plus puissants ne prétendent imposer à l'humanité entière leur hégémonie et leur conception de l'univers. L'inquiétude est d'autant plus grande que, d'un conflit mondial, les armes modernes feraient un désastre épouvantable. Certains se demandent donc si l'évolution précipitée du monde ne conduit pas toute la famille humaine vers la catastrophe ou la tyrannie. Et ceux qui, comme vous, perçoivent par la foi l'immense et éternelle tragédie du salut des âmes, ressentent un plus profond besoin de lumière et de certitude.
Comment le Vicaire de Jésus-Christ pourrait-il ne pas entendre cet appel et apporter une fois de plus à l'anxiété du monde le réconfort de la vérité catholique ?
Quand il s'agit de définir le rôle que certains hommes sont invités à jouer dans la communauté mondiale en formation, il est nécessaire de rappeler d'abord le but le plus élevé, celui auquel tous les autres demeurent subordonnés. Pour un chrétien, la volonté du Christ est la raison dernière de ses choix et de ses décisions. Or le Sauveur s'est fait homme et a donné sa vie « pour rassembler dans l'unité les enfants de Dieu dispersés » ; il a voulu « être élevé de terre » sur la croix pour « attirer tous les hommes à lui », les réunir sous sa conduite en « un seul troupeau et un seul bercail », « afin que Dieu soit tout en tous » (cf. Io. II, 52; 12, 32 ; Io, 16 ; 1 Cor., 15, 28).
Un chrétien ne peut donc rester indifférent devant l'évolution du monde : s'il voit s'ébaucher, sous la pression des événements, une communauté internationale de plus en plus étroite, il sait que cette unification, voulue par le Créateur, doit aboutir à l'union des esprits et des cœurs dans une même foi et un même amour. Non seulement il peut, mais il doit travailler à l'avènement de cette communauté encore en formation, car l'exemple et l'ordre du Divin Maître constituent pour lui une lumière et une force incomparables; tous les hommes sont ses frères, non seulement en vertu de l'unité d'origine et de la participation à une même nature, mais encore d'une façon plus pressante par leur commune vocation à la vie surnaturelle. Appuyé sur une telle certitude, le chrétien mesure à quel point Dieu « veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité ; car Dieu est unique, unique aussi le médiateur entre Dieu et les hommes, le Christ Jésus, homme lui-même, qui s'est livré en rançon pour tous » (1 Tim. 2, 4-6).
La vérité révélée, dont il est question dans cette affirmation de l'Écriture, a été confiée au magistère infaillible de l'Église, mais elle forme le patrimoine de la communauté catholique, qui s'en nourrit et en vit. Elle fournit à chaque fidèle un cadre de pensée, une norme selon laquelle il juge les hommes et interprète les événements. Ce point de vue catholique, il vous appartient, chers fils, d'en pénétrer toujours davantage la grandeur et la beauté, d'en apprécier et d'en mettre en valeur la cohérence et la profondeur. Qu'il soit vraiment la lumière de votre intelligence, le ressort de votre action, le réconfort de vos âmes. Mais vous n'êtes pas des chercheurs isolés, des penseurs autonomes ; vous êtes des intellectuels catholiques, c'est-à-dire chargés d'une responsabilité sociale universelle en ce qui concerne le rayonnement de la vérité chrétienne et son application concrète dans tous les secteurs d'activité. Par l'autorité que vous confèrent votre culture et la compétence acquise dans votre profession, vous constituez pour votre entourage une question et une réponse. Vous êtes par la grâce de votre vocation chrétienne une lumière, qui attire et qu'on/ ne peut rejeter sans se condamner implicitement, si du moins il s'agit de la véritable lumière du Christ. Cette réserve, que l'imperfection humaine justifie toujours quelque titre, mesure cependant toute la responsabilité des intellectuels catholiques dans le désarroi d'une société, où les questions essentielles sont le plus souvent laissées de côté, soit dans les affaires courantes, soit dans les décisions de portée universelle qui engagent l'orientation politique, sociale, culturelle des pays ou des continents.
Est-ce à dire qu'on ne peut collaborer au service de la communauté mondiale dans des institutions, où Dieu n'est pas reconnu expressément comme l'auteur et le législateur de l'univers ? Il importe ici de distinguer les niveaux de coopération. Sans oublier en effet que son but ultime est de contribuer au salut éternel de ses frères, le chrétien se souviendra que l'avènement du Règne de Dieu dans les cœurs et dans les institutions sociales requiert le plus souvent un minimum d'épanouissement humain, simple requête de la raison, à laquelle tout homme se soumet normalement, même s'il n'a pas la grâce de la foi.
Le chrétien sera donc prêt à travailler au soulagement de toutes les misères matérielles, au développement universel d'un enseignement de base, en un mot à toutes les entreprises visant directement l'amélioration du sort des pauvres et des déshérités, certain en cela de remplir un devoir de charité collective, de préparer l'accession d'un plus grand nombre d'hommes à une vie personnelle digne de ce nom, de favoriser ainsi leur entrée spontanée dans le grand concert d'efforts, qui les achemine vers un état meilleur, qui leur permet de regarder en haut, d'accueillir la lumière et d'adhérer à la seule vérité qui les fera vraiment libres (cf. Io. 8, 32).
Ceux, toutefois, qui jouissent d'une certaine notoriété et peuvent par là influer sur l'esprit public, se sentent chargés d'une tâche beaucoup plus considérable, car la vérité ne tolère, de soi, ni mélange ni impureté, et leur participation à des entreprises incertaines pourrait sembler cautionner un système politique ou social inadmissible. Là encore, cependant, il existe un vaste domaine, sur lequel les esprits affranchis de préjugés et de passions peuvent se mettre d'accord et s'entr'aider en faveur d'un bien commun réel et valable, car la saine raison suffit à établir les bases du droit des gens, à reconnaître le caractère inviolable de la personne, la dignité de la famille, les prérogatives et les limites de l'autorité publique.
C'est pourquoi la coopération des catholiques est souhaitable dans toutes les institutions qui respectent, en théorie et en pratique, les données des lois naturelles. Ils chercheront en effet à les maintenir dans leur droite ligne et à jouer par leur présence active un rôle bienfaisant, que le Divin Maître compare à celui du sel et du ferment. Ils trouveront dans les organismes, qui se proposent un but humanitaire universel, des âmes généreuses et des esprits supérieurs, qui sont susceptibles de s'élever au dessus des préoccupations matérielles, de comprendre qu'une destinée vraiment collective de l'humanité suppose la valeur absolue de chacune des personnes, qui la constituent, et l'établissement en dehors du temps de la véritable société, dont la communauté terrestre ne peut être que le reflet et l'ébauche.
Soulignons aussi une composante essentielle de l'esprit en formation, celle d'une plus grande abnégation. Des chrétiens ne s'étonneront pas de Nous entendre prononcer ce mot. C'est d'ailleurs un fait d'expérience et une nécessité logique : une communauté réelle impose des sacrifices mutuels. Vous vous rappellerez comment le Fils de Dieu fait homme enseigna aux homme les conditions de l'unité, lui qui « n'est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie pour la multitude » (Matth. 20, 28). C'est par là en effet qu'il a voulu illustrer lui-même la nécessité et la fécondité du sacrifice pour susciter une forme de vie supérieure, à laquelle les hommes sont invités par vocation surnaturelle : former l'unité des fils de Dieu.
Est-il besoin d'évoquer pour finir la victoire et la joie de Pâques? Oui, vraiment, vous avez, chers fils, une belle mission à remplir : au milieu d'un monde inquiet, portez l'espérance et la paix d'un dévouement fraternel à l'échelle de l'univers ; soyez le sel, sans lequel tout risque de dégénérer et de se corrompre ; soyez le ferment, qui soulève la masse compacte et qui fera d'une pâte amorphe le pain de la communauté humaine ; que chacun, grâce à vous, comprenne qu' « il y a plus de bonheur à donner qu'à recevoir », plus de noblesse à servir qu'à se laisser servir, plus de joie à donner sa vie pour ses frères qu'à la réserver pour soi seul.
C'est le vœu que Nous formons pour vous tous et la faveur que Nous implorons du Sauveur ressuscité pour chacune de vos associations et pour l'ensemble de votre mouvement. En gage de quoi Nous vous accordons dans l'effusion de Notre cœur paternel la plus ample et plus affectueuse Bénédiction apostolique.
* Discours et messages-radio de S. S. Pie XII, XIX,
Dix-neuvième année de Pontificat, 2 mars 1957 - 1er mars 1958, pp. 125-129
Typographie Polyglotte Vaticane
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