DISCOURS DU PAPE PIE XII
AUX REPRÉSENTANTS DES ÉTATS DE PERFECTION
PARTICIPANT AU IIe CONGRÈS GÉNÉRAL*
Salle du Consistoire - Mercredi 11 décembre 1957
Sous la maternelle protection de Marie Immaculée, la plus sublime de toutes les créatures et le modèle de ceux qui tendent à la perfection de la vie chrétienne, vous avez voulu chers fils et chères filles, vous réunir à Rome pour étudier les problèmes actuels des états de perfection, en même temps que vous célébriez le cinquantième anniversaire de l'ordination sacerdotale du très digne et zélé Cardinal Préfet de la S. Congrégation des Religieux.
En plus de vingt-cinq nations de tous les continents, existent aujourd'hui des associations de Supérieurs majeurs, religieux et religieuses, qui, en liaison étroite avec le Saint-Siège et la Hiérarchie ecclésiastique de leur pays, s'attachent à mener en commun les tâches d'organisation et d'adaptation, que requièrent l'ampleur et la complexité de l'apostolat actuel. Nous savons que de nombreuses initiatives ont vu le jour ces dernières années sous l'impulsion éclairée de vos associations. Qu'il suffise de mentionner les congrès nationaux ou régionaux des états de perfection des sessions de prière et d'étude, et surtout la création d'instituts de formation et de culture religieuse supérieure destinés aux membres des états de perfection.
Le présent Congrès qui répond tout entier au désir de réaliser une insertion toujours plus complète des états de perfection dans l'Église, Corps Mystique du Christ, se propose de faire le bilan des progrès enregistrés partout dans l'organisation des états de perfection et dans leur travail d'adaptation aux exigences de l'Église, puis d'exposer clairement les fins à poursuivre, les limites à respecter et les principes à observer dans l'action des conférences, unions et comités de Supérieurs majeurs, enfin, d'élaborer un programme d'activités et d'initiatives, qui assurera l'efficacité du mouvement de rénovation, en resserrant les liens des organisations entre elles et avec le Saint-Siège.
L'ensemble des rapports et des exposés de ce Congrès vise à commenter les trois Constitutions Apostoliques Provida Mater, Sponsa Christi et Sedes Sapientiae, ainsi que le décret de la S. Congrégation des Religieux Salutaris atque, où sont énoncées les normes, qui doivent guider l'effort d'adaptation et de rénovation. Nous n'avons pas l'intention d'aborder ici les questions particulières que vous comptez traiter dans vos sessions mais plutôt de souligner certains points de caractère général concernant le problème de la perfection et celui de la rénovation et de l'adaptation des moyens par lesquels y tendent les individus et les communautés. Nous parlerons d'abord de la perfection de la vie chrétienne en général, ensuite de sa réalisation dans les groupements qu'on appelle « états de perfection », en considérant d'abord les relations qu'ils ont avec leurs membres, puis celles qu'ils ont entre eux et avec le Saint-Siège.
I - LA PERFECTION DE LA VIE CHRÉTIENNE
Il importe d'abord de rappeler que le concept de « perfection » au sens strict ne s'identifie pas avec celui d'« état de perfection » et qu'il le déborde même largement. On peut en effet rencontrer la perfection chrétienne héroïque, celle de l'Évangile et de la Croix du Christ, en dehors de tout « état de perfection ».
Nous entendons donc la tendance à la perfection comme une disposition habituelle de l'âme chrétienne, par laquelle, non contente de remplir les devoirs qui lui incombent sous peine de péché, elle se livre tout entière à Dieu pour l'aimer, le servir, et se consacre dans ce même but au service du prochain. La perfection de toute activité humaine libre, comme celle de toute créature raisonnable, consiste dans l'adhésion volontaire à Dieu. Pour une part qui découle de la condition même de la créature, cette perfection est obligatoire ; il faut y tendre sous peine de manquer sa fin dernière. Nous n'avons pas à en préciser ici les éléments. Nous entendons uniquement parler de la tendance habituelle et permanente qui, dépassant tout ce qui tombe sous le coup de l'obligation, prend l'homme tout entier pour le consacrer sans réserve au service de Dieu. Cette perfection consiste par excellence dans l'union à Dieu, laquelle s'effectue par la charité ; elle s'accomplit par conséquent dans la charité. On l'appelle aussi un holocauste perpétuel et universel de soi-même, poursuivi pour l'amour de Dieu et afin de lui manifester délibérément cet amour.
L'idéal de la perfection chrétienne s'attache aux enseignements du Christ, en particulier aux conseils évangéliques, à sa vie, sa passion et sa mort, sources inépuisables où s'alimente l'héroïsme de toutes les générations chrétiennes. Il embrasse aussi l'œuvre du Christ, c'est-à-dire le service de l'Église accompli par amour du Seigneur, à la place et selon la fonction qui reviennent à chacun dans l'ensemble du Corps Mystique.
Cet idéal, chaque chrétien est invité à y tendre de toutes ses forces, mais il se réalise d'une manière complète et plus sûre dans les trois états de perfection selon le mode décrit par le Droit Canon et les Constitutions Apostoliques déjà citées. En particulier, la Constitution Provida Mater du 2 février 1947 sur les Instituts séculiers ouvre l'accès des états de perfection au plus grand nombre possible des âmes qui aujourd'hui aspirent ardemment à une vie plus parfaite. Sans doute cette Constitution affirme que les associations, ne satisfaisant pas aux normes prescrites, ne constituent pas des « états de perfection », mais elle ne prétend nullement qu'en dehors de ceux-ci, il n'existe pas de tendance véritable à la perfection.
Nous pensons en ce moment à tant d'hommes et de femmes de toutes conditions, qui assument dans le monde moderne les professions et les charges les plus variées et qui, par amour de Dieu et pour le servir dans le prochain, lui consacrent leur personne et toute leur activité. Ils s'engagent à la pratique des conseils évangéliques par des vœux privés et secrets connus de Dieu seul, et se font guider, pour ce qui regarde la soumission de l'obéissance et la pauvreté, par des personnes, que l'Église a jugées aptes à cette fin et à qui elle a confié la charge de diriger les autres dans l'exercice de la perfection. Aucun des éléments constitutifs de la perfection chrétienne et d'une tendance effective à son acquisition ne fait défaut chez ces hommes et ces femmes. Ils y participent donc vraiment, bien qu'ils ne soient engagés dans aucun état juridique ou canonique de perfection.
Il est clair que la perfection chrétienne dans les éléments essentiels de sa définition et de sa réalisation ne prête à aucune rénovation ou adaptation. Mais, puisque les conditions de la vie moderne subissent de profonds changements, la manière de s'y appliquer demandera de son côté des modifications. Celles-ci affecteront ceux qui vivent dans les états de perfection et ceux qui n'en font point partie, mais plus encore ceux-ci, surtout s'ils occupent un rang social élevé et de plus hautes charges. Ne sont-ils pas contraints alors de s'entourer d'un certain appareil d'aisance, de participer à des fêtes officielles, d'utiliser des moyens de transport coûteux, toutes choses qui paraissent difficilement conciliables avec le souci constant de mortification de quiconque désire suivre et imiter le Christ pauvre et humble ? Et pourtant, au milieu des biens matériels, ils ne s'écartent en rien de l'entière consécration d'eux-mêmes à Dieu et ne cessent d'offrir au Seigneur un holocauste sans réserves. Telle est l'œuvre de la grâce qui opère dans l'homme selon la parole du Christ. « Ce qui est impossible aux hommes est possible à Dieu » (Lc 18, 27).
II - LES ÉTATS DE PERFECTION
Les problèmes d'adaptation et de rénovation à l'intérieur des états de perfection retiendront davantage Notre attention et Nous considérerons d'abord les personnes qui en font partie, puis les communautés elles-mêmes, dans leur tendance à la perfection.
1) LES MEMBRES DES ÉTATS DE PERFECTION
Au sujet des personnes individuelles, Nous ne soulignerons qu'un seul point, ce que Nous avons dit dans la première partie de Notre discours sur la perfection de la vie chrétienne en général, s'applique aux membres de tous les états de perfection et forme leur devoir premier et essentiel, qu'ils soient inférieurs ou supérieurs: ils doivent s'unir à Dieu par la charité et s'offrir à lui en holocauste, imiter et suivre le Christ, sa doctrine, sa vie et sa Croix, se consacrer au service de l'œuvre du Christ, l'Église comme des membres choisis et actifs du Corps Mystique. Mais une fois bien établie cette obligation essentielle, il ne leur est pas interdit de penser à la rénovation et à l'adaptation des moyens de s'en acquitter, sans manquer toutefois au respect dû à la tradition, et sans déroger aux prescriptions que les Constitutions considèrent comme inviolables. Les inférieurs observeront en outre la discipline religieuse, qui leur interdit de s'arroger ce qui relève de la compétence des Supérieurs et d'entreprendre de leur propre initiative des réformes qu'ils ne peuvent tenter sans leur autorisation.
2) LES COMMUNAUTÉS ELLES-MÊMES
Un premier point s'offre à l'examen, celui des relations mutuelles entre la communauté comme tout, et les individus, supérieurs ou inférieurs, qui la constituent. Deux éléments importants demandent ici considération : d'abord, l'esprit caractéristique, par lequel s'expriment les relations mutuelles des communautés avec leurs membres ; puis, les obstacles qu'engendrent certains préjugés contre l'obéissance religieuse, de laquelle dépend essentiellement la rénovation de l'esprit propre à la communauté.
Une société organisée constitue un tout et possède une physionomie typique que chacun des membres contribue pour sa part à déterminer. Tout effort d'adaptation, entrepris à l'intérieur de ce groupement, entraîne nécessairement certaines modifications de son esprit propre. C'est dire qu'on touche en quelque sorte à ses fibres les plus intimes. Or chaque société tient à conserver cet esprit intact, comme c'est son droit et son devoir, elle désire en voir ses membres imprégnés et préoccupés d'en pénétrer leur vie. L'Église de son côté et les Souverains Pontifes, en approuvant un genre de vie déterminé, entendent qu'il se conserve dans toute sa pureté et y veillent avec soin.
Si l'on tombe d'accord pour reconnaître aux Supérieurs majeurs le droit de dire aux inférieurs quel est l'esprit de leur communauté, une question reste posée pour tous : où trouver l'expression objective de cet esprit ? Les Supérieurs majeurs ne peuvent en décider selon leur goût ou leur impression, même en toute bonne foi et sincérité. Si le Supérieur majeur est aussi le fondateur, et s'il a reçu de l'Église l'approbation de ses idées personnelles comme norme d'un état de perfection, il lui est toujours loisible d'en appeler à ses intentions propres. Mais dans le cas contraire, il doit revenir à l'idée du fondateur, telle qu'elle est exprimée dans les Constitutions approuvées par l'Église. Il ne lui suffit donc pas d'une conviction subjective, même étayée par tel ou tel passage des Constitutions. Lorsque le Supérieur propose aux membres de sa communauté l'esprit véritable du fondateur, il exerce son droit et les inférieurs doivent en conscience lui obéir. Les droits des Supérieurs et les devoirs des inférieurs sont en cela corrélatifs. L'Église et les Souverains Pontifes entendent toujours défendre les droits et urger les devoirs, mais sans sortir des justes limites. Pour éviter d'exaspérer les uns et les autres et conserver la paix, il suffit que chacun reconnaisse et pratique cette norme qui fut depuis des siècles celle de l'Église et des Papes et reste toujours en vigueur.
Pour en venir aux difficultés actuelles de l'obéissance religieuse, on remarque que le mouvement d'adaptation a provoqué en ce domaine une certaine tension. Non que fasse défaut un désir sincère de tendre à la perfection au moyen de l'obéissance, mais parce qu'on en accentue aujourd'hui certains traits que même des religieux sérieux et de conscience délicate voudraient voir disparaître. On l'accuse en particulier de mettre en péril la dignité humaine du religieux, d'entraver la maturation de sa personnalité, de fausser son orientation vers Dieu seul. Ces objections, semble-t-il, s'appuient sur certaines désillusions éprouvées personnellement ou remarquées chez d'autres et font appel aussi à diverses considérations juridiques.
Afin de dissiper un sentiment de tristesse issu d'une interprétation erronée des principes qui gouvernent la vie religieuse ou d'erreurs pratiques dans leur application, qu'on se rappelle d'abord la parole du Seigneur : « Venez à moi, vous qui peinez et ployez sous le fardeau, et je vous soulagerai... Devenez mes disciples, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos de vos âmes » (Mt 11, 29). Si le Seigneur exhorte ainsi les hommes à se charger de son joug, c'est pour leur enseigner qu'au delà de l'observance légale, facilement onéreuse et dure à porter, ils ont à découvrir le sens de la vraie soumission et de l'humilité chrétienne. Bien loin d'offenser la dignité de celui qui s'y soumet, elles le libèrent intérieurement, lui représentent l'acceptation de son état de sujétion non comme une contrainte imposée du dehors, mais comme une remise de soi entre les mains de Dieu dont la volonté s'exprime à travers l'autorité, visible de ceux qui ont mission de commander. Le Supérieur de son côté exercera ses pouvoirs dans le même esprit évangélique : « Que le plus grand parmi vous, se comporte comme le plus jeune et celui qui commande comme le serviteur » (Lc 22, 26). La fermeté nécessaire s'accompagnera donc toujours chez lui du respect profond et de la délicatesse d'un cœur paternel.
L'état religieux fait-il obstacle à l'évolution harmonieuse de la personnalité humaine ? La contraint-il à rester dans un certain « infantilisme », comme d'aucuns le prétendent ?
Qu'on observe donc sans préjugé le comportement des hommes et des femmes, qui appartiennent aux états de perfection. Personne n'oserait certes affirmer que la plupart d'entre eux souffrent d'infantilisme dans leur vie intellectuelle et affective ou dans leur action. Mais, poussant plus loin l'objection, on ne pourrait pas non plus prétendre que du moins les communautés et les Supérieurs les contraignent, au fil du temps, à adopter des manières de penser et d'agir qui prêteraient à ce reproche. Ceux qui s'en plaignent doivent se souvenir que saint Paul, fixant aux fidèles le but d'une vie ordonnée selon la foi, les invite à croître dans « l'édification au Corps du Christ », jusqu'à constituer « l'homme parfait, dans la force de l'âge, qui réalise la plénitude du Christ ». Ainsi, continue-t-il, « nous ne serons plus des enfants hésitants » (Ep 4, 12-13). L'Apôtre ne permet donc pas aux fidèles de céder à l'infantilisme, mais il exige qu'ils deviennent des « hommes parfaits ». D'ailleurs, dans la première Epître aux Corinthiens, il rejetait de la façon la plus explicite chez les chrétiens adultes les modes de penser et de sentir, qui caractérisent l'enfance. « Quand j'étais enfant, je parlais en enfant, je pensais en enfant, je raisonnais en enfant. Mais devenu homme, j'ai fait disparaître ce qui était de l'enfant » (1 Co 13, 1).
Ce texte, Nous le citions déjà dans Notre allocution du 18 avril 1952 sur l'éducation de la conscience chrétienne, pour rappeler que le rôle d'une saine éducation est d'apprendre à l'homme à user judicieusement de sa liberté et à se passer de l'éducateur. Que chaque membre des états de perfection, Supérieur ou inférieur, s'applique les paroles de l'Apôtre. Alors tout danger d'infantilisme s'évanouira, sans pour autant mettre en cause le respect de l'autorité légitime ni la soumission sincère à ses décisions.
Nous ne revenons pas non plus sur ce que Nous avons dit dans Notre allocution du 8 décembre 1950 au premier Congrès des Etats de perfection, en réponse aux objections avancées contre une prétendue diminution de la valeur personnelle et sociale du religieux. Si ses droits subissent une certaine limitation, l'état auquel il appartient, l'offrande qu'il fait de lui-même par l'obéissance, lui confèrent une dignité qui compense largement le sacrifice consenti.
L'on tire encore argument contre l'obéissance du fait que la dépendance de l'homme à l'égard du Supérieur s'opposerait au domaine suprême et direct de Dieu sur les consciences. Prétendre que l'homme dépend d'un autre jusque dans sa vie personnelle et son activité, n'est-ce pas conférer au Supérieur des prérogatives réservées à Dieu seul ?
En fait, l'Église n'a jamais défendu ni approuvé pareille thèse. Elle regarde l'obéissance comme un moyen pour mener l'homme à Dieu. Parce que le motif qui l'inspire est celui de l'union à Dieu et qu'elle est ordonnée finalement à l'accroissement de la charité, le Supérieur ne constitue nullement un obstacle interposé entre Dieu et l'inférieur et détournant à son profit l'hommage adressé à Dieu seul. Le Supérieur ne peut commander qu'au nom du Seigneur et en vertu des pouvoirs de sa charge, et l'inférieur ne doit obéir que par amour du Christ et non pour des motifs humains d'utilité et de convenance, encore moins par pure contrainte. De la sorte, il conservera dans la soumission la plus complète l'empressement joyeux de qui ratifie par l'engagement concret de chaque jour, la donation totale de soi-même au Maître unique.
Le programme de votre second Congrès Général montre qu'il doit traiter abondamment des relations des communautés entre elles, dans la ligne du mouvement de rénovation et d'adaptation que vous poursuivez. Aussi n'est-ce pas Notre dessein d'entrer ici dans les détails. Nous sommes certains d'ailleurs que l'on observera fidèlement les règles fixées par la S. Congrégation des Religieux. Il Nous suffira de rappeler que, tout en conservant les distinctions qui existent, et doivent exister, entre les communautés, il faut tendre avec sincérité et bienveillance à l'union et à la collaboration. Il existe en effet une sorte de « bien commun » des communautés, lequel suppose que chacune est prête à tenir compte des autres, à s'adapter aux exigences d'une coordination qui comporte nécessairement aussi quelque renoncement en vue du bien général.
De vos communautés, unies par la grâce divine dans le Corps de l'Église, vaut par analogie ce que saint Paul expose dans le passage bien connu de la première Épître aux Corinthiens (12, 12-27), sur les rapports des membres entre eux : chacun de ceux qui appartiennent au Corps mérite à ce titre le secours de la collaboration de tous en vue de l'unique bien commun, celui de la Sainte Église. Il est aisé d'en déduire les sentiments d'estime, de bienveillance, d'obligeance, le désir de collaborer, la sainte émulation, le désintéressement magnanime, qui présideront aux rapports des communautés entre elles. Chaque membre doit assurément tenir à sa nature et à sa fonction propre dans le corps, mais il doit aussi comprendre et respecter la fonction des autres et savoir composer avec eux en vue du plus grand bien commun.
Ce qui concerne les rapports des états de perfection avec le Vicaire du Christ et le Saint-Siège, n'a guère besoin d'être rappelé. Les prérogatives du Siège Apostolique fondées sur l'institution du Christ lui-même et que l'Église au cours des siècles n'a fait qu'élucider et préciser, doivent demeurer inébranlables et sacrées. Si tout fidèle les respecte et s'y conforme, ceux qui sont dans un état de perfection sauront sur ce point donner l'exemple à tous. Il importe donc de chercher et de maintenir le contact avec lui. Dans l'Encyclique Humani generis, Nous avons souligné que la volonté d'éviter le contact et de se tenir à distance fut une raison importante des erreurs et des déviations qui s'y trouvent signalées, et cette attitude regrettable fut le fait en particulier de certains membres des états de perfection. Ce contact, pour être efficace, sera plein de confiance, de sincérité, de docilité.
Le Siège Apostolique désire recevoir de vous des informations non seulement véridiques, mais encore franches qui permettent de connaître le véritable état de chaque communauté en ce qui concerne la doctrine et la vie, la formation ascétique et l'observance, la discipline religieuse et l'administration temporelle, et ainsi du reste. C'est alors seulement qu'il est possible de promouvoir le bien et de corriger à temps le mal, car dans les dispositions d'esprit favorables dont Nous parlons, les réponses, règles et instructions du Saint-Siège portent leurs fruits.
Il est encore une chose sur laquelle Nous ne voulons pas manquer l'occasion de dire un mot, c'est la volonté de « centralisation », que beaucoup prêtent au Saint-Siège et lui reprochent. Le mot « centralisation » peut désigner un système de gouvernement, qui prétend tout appeler à soi, tout décider, tout diriger, réduisant les subalternes au simple rôle d'instruments. Cette centralisation est absolument étrangère à l'esprit des Pontifes Romains et du Siège Apostolique. Mais le Saint-Siège ne peut renoncer à sa qualité de centre directeur de l'Église. Tout en laissant aux Supérieurs constitués les initiatives prévues par les Constitutions, il doit réserver son droit et exercer sa fonction de vigilance.
Ce qu'il conviendrait de dire au sujet de la rénovation et de l'adaptation des rapports des communautés entre elles et avec le Saint-Siège se trouve suffisamment indiqué, Nous semble-t-il, dans votre programme. Les principes que Nous avons rappelés, vous offrent une direction et Nous ne doutons pas que vous saurez les approfondir avec fruit.
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Le domaine de la perfection dans lequel Nous avons fait avec vous quelques pas est fort vaste et fort beau, mais il y reste encore des zones à explorer. Nous avons attiré votre attention sur la perfection en général et sur la perfection dans l'état de perfection. Nombreux sont aujourd'hui non seulement les clercs et les religieux, mais aussi les laïcs qui s'intéressent à ces questions. En les confrontant avec certaines idées et principes modernes, ils y entrevoient des problèmes sérieux et complexes, dont la solution leur échappe cependant malgré le vif désir qu'ils ont de la trouver. C'est pourquoi Nous avons voulu leur apporter quelque lumière, en rappelant les principes qui permettent d'y répondre.
En terminant ce discours, Nous vous laisserons encore une pensée de saint Paul dans son Épître aux Colossiens (3, 14) : « Par dessus tout, ayez la charité, en laquelle se noue la perfection ». Au delà des problèmes et des discussions, cherchez surtout l'union à Dieu, et vous approcherez sans cesse davantage de la perfection. Telle est la grâce que Nous vous souhaitons et que Nous implorons sur vous du Très-Haut, en vous accordant du fond du cœur Notre paternelle Bénédiction apostolique.
* Discours et messages-radio de S. S. Pie XII, XIX,
Dix-neuvième année de Pontificat, 2 mars 1957 - 1er mars 1958, pp. 647-656
Typographie Polyglotte Vaticane
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